* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


lundi

15 novembre LETTRES DE JULIETTE DROUET à VICTOR HUGO

SUR DES LETTRES D'AMOUR
*
III
*
Il était courant, pour un écrivain, d'écrire des dizaines de milliers de lettres au cours de sa vie, – et la correspondance de Voltaire occupe XIII volumes de la Pléiade – mais les correspondants étaient multiples. Le nombre de lettres adressées à Hugo par une seule femme, et pendant un demi-siècle, la constance d'un amour d'une telle durée, sans fléchissement, se conçoivent malaisément, et l'esprit tente de démêler les tenants de ce qui semble relever du conte de fée.
L'erreur de ceux que la présence physique de l'autre représente le comble de la félicité (« Je n'ai pas d'autre pensée, d'autre besoin, d'autre désir que vous voir, vous voir et toujours vous voir »), en bref, de ne pas se quitter et de vivre en symbiose, c'est que la désaimantation s'ensuit, plus prompte chez l'homme, la beauté de sa compagne, précaire, lui important plus que ses grâces intérieures.
Attente, présence toujours trop brève, absence : le couple Victor Hugo – Juliette Drouet aura vécu sous le signe de l'alternance, sans rien de commun avec la vie de ceux que le mariage a réunis, pour le meilleur et le pire, l'existence de ceux-ci se passant bientôt de tout langage autre que relatif aux habitudes domestiques. Le passé commun, jamais ravivé, ne venant vivifier le présent, confirmer à chacun la chance de s'être rencontrés.
Les amoureuses ont une vive mémoire affective. Juliette ne fait pas exception et l'anniversaire des jours fastes, celui des deuils, tant pour elle que pour Hugo, est sans cesse rappelé. Mais la date du 16 février 1833 sera toujours, le temps passant, « le grand, le bel anniversaire » – l'équivalent, pour des souverains, du jour de leur intromission ; celui qui vous revêt d'une dignité neuve et parfois insoupçonnée.
Juliette n'était pas innocente ; elle avait été la maîtresse du sculpteur Pradier, dont elle eut une fille qu'il négligea, en homme peu délicat qu'il était.
Les lettres de Juliette publiées sont chastes, et l'on s'étonne qu'un si grand amour, où le désir est manifeste, soit si pudique. D'où la tentation du lecteur d'augurer d'une femme à la sensualité mesurée, ou qui sait brider sa plume.
Or, le préfacier Paul Souchon nous avertit que certaines lettres sont « impubliables » ; et de nous citer ce passage, bien anodin, de 1834 : « 1 heure 1/2 du matin ; dans quelques heures au plus, je t'aurai là à côté de moi, dans mon lit, sur ma bouche, sur mon cœur, sur… ma foi devinez ! »
Certes, se donner tout entière pour la première fois à l'homme qu'on aime, est une date mémorable, mais ne peut-on présumer que Pradier s'était conduit avec Juliette comme avec ses autres maîtresses, sans grand souci de leur plaisir, et qu'avec Hugo, elle découvrit plus que le plaisir : la volupté qui seule sacre une femme, fait d'elle une Femme capitale, l'accomplit, et rend inoubliable ce qui a, pour elle, valeur de seconde naissance ; d'admission dans le cercle de celles qui ont reçu la révélation et peuvent à bon droit invoquer le Ciel et le mêler à ce qu'elles éprouvent ? Cela, par l'entremise d'un homme aimé, admiré, partant, unique. Un homme qui ne voit plus en vous un objet de plaisir, mais une sujette, consciente de ses pouvoirs, égaux, elle l'écrit, aux fruits des plus brillants esprits, mais pouvoirs qui inoculent en votre chair le venin corrosif du désir.
De là, la souffrance quand l'aimé est absent ; quand il s'adonne à des tâches qui vous semblent secondaires, comparées à tout ce que vous aviez à lui donner et à recevoir de lui. De là, la morsure atroce de la jalousie à la pensée de n'être plus la préférée, celle qui rend asexuée tout autre femme et fait de vous la seule inspiratrice.
Juliette n'ignore pas que certaines, sans vergogne, sont attirées par les hommes en vue (et le leur font savoir). Or, qui l'est plus que Hugo, poète, romancier, dramaturge, homme politique ? Elle doit donc faire bonne garde en amante sourcilleuse qui peut-être connaît le vers de Vigny : « Ton amour taciturne et toujours menacé. »
*
Taciturne avec l'amant, Juliette ne l'est pas. La reviviscence de leur passé commun, les jalons heureux, malheureux, de leur existence, recevront d'elle une vie nouvelle avec ses couleurs, sa saveur. Impossible, pour Hugo, à la faveur de ces anniversaires, d'oublier la force, l'ampleur, la durée, de l'amour à nul autre pareil, qu'on lui porte ; d'autant qu'on les relate avec des accents frais, charmants, mutins, toujours à votre gloire.
Les amours s'étiolent de non-dits, d'allant-de-soi qui n'ont pas à être formulés. Alors que le langage, le dialogue, quelque peu soutenus, ne laissent pas l'habitude s'immiscer dans le couple.
Et c'est ainsi qu'on atteint le grand âge, ayant aux yeux, au cœur, une ingénuité qui n'exclut pas la lucidité.
Si l'âge et ses infirmités mettent Juliette au désespoir de ne plus pouvoir accompagner son grand homme dans sa vie publique, la jalousie ne cesse de tirer de beaux cris de la « vieille Juju » : « pardonne-moi mon inflexible amour, pardonne-moi de préférer la mort sous toutes ses formes à la torture de te céder, pour si peu que ce soit, à une autre femme. »
Elle lui dit encore, non sans pertinence, que « l'âge ne compte que pour la femme ». Surtout ceci, et combien d'hommes âgés y souscriraient : « Tu souffres de la plaie vive de la femme qui va s'agrandissant toujours »
Hugo eut, dans sa vie affective, des maîtresses plus cultivées, plus racées – les innombrables redites des lettres de l'attestent. Et sans doute le poète eut-il à déplorer, comme Rilke pour Merline, la méconnaissance de Juliette des « chaînes » – dont la solitude – qu'implique toute haute création. Pourtant, elle en a l'intuition puisqu'elle a pu lui écrire : « Il faut que rien ne fasse obstacle à ton inspiration […] depuis les rayons du soleil jusqu'aux multiples beautés de la femme que le désir et la volonté attirent autour de toi » tout en se voulant seule, sans partage « dans une adoration sans limite au risque de rendre Dieu jaloux », cependant qu'on vous murmure – qui vous donne mauvaise conscience : « Je sais bien que tu travailles, mon Toto chéri, mais tu pourrais peut-être ajourner ton travail. »
*
Cette correspondance met en évidence la complexité de l'être humain. Qu'une passion sans frein l'anime, et l'inconséquence gouverne ses propos, écrits, réactions. Ainsi surprendrons-nous, dans la même lettre, une Juliette lucide, aveugle, impulsive, raisonnable, constante et versatile, sensible, douée pour l'introspection, possédant une mémoire affective sans faille.
Ses lettres et billets pourraient, pour des lecteurs d'aujourd'hui, engendrer lassitude et ennui. Pourtant, nous goûtons, à peine moins que le destinataire, ses belles trouvailles d'amoureuse ; maintes tournures nous retiennent par leur originalité, leur savoureuse naïveté, ainsi que nombre de remarques teintées d'humour et d'ironie.
*
Alitée depuis novembre 1882, Juliette s'éteignit le 11 mai 1883. Elle eût été bien surprise de voir ses « gribouillis » édités pour partie et, à présent, intégralement mis en ligne par une équipe universitaire. Que les derniers mots de sa dernière lettre soient : « JE T'AIME » résume une vie de dévouement absolu et devrait lui assurer une place majeure dans la littérature amoureuse.
*
*
*
       Citations extraites des lettres de Juliette *
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Être ensemble, vivre ensemble, respirer ensemble, regarder ensemble, sentir ensemble, admirer, aimer ensemble.
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Je suis si heureuse, si joyeuse, si amoureuse, que c'est à faire envie au bon Dieu.
Je suis bête comme une oie au-dehors, mais je suis sublime d'amour au-dedans. Lequel vaut le mieux, je ne le dis pas, c'est à toi à décider.
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Tout à l'heure, je te voyais lumineux et phosphorescent comme la mer, le soir.
Tu étais beau et sublime et je te regardais avec mon âme comme on doit regarder Dieu au ciel dans toute sa gloire.
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Voilà ce qui rend mes regrets si amers quand je pense à ce que j'étais pour  toi il y a quatorze ans et à ce que je suis maintenant. J'en veux presque au bon Dieu de m'avoir laissé vivre aussi longtemps, et pourtant je sens que je ne pourrais pas rester sans toi dans le Paradis.
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Je m'agite dans mon amour comme un écureuil dans « sa cage ». Il a beau courir toute la journée après sa liberté, il n'a pas fait un seul pas et il se retrouve dans sa cage comme s'il n'avait pas bougé.
*
D'ailleurs, à quoi te servirait mon esprit si j'en avais ? Tu dois être tellement blasé sur cette belle qualité qu'un peu de stupidité de temps en temps doit te sembler bon et te raviver le goût. Dans ce cas-là tu n'as qu'à parler et te faire servir, je suis à tes ordres à toute heure de la nuit et du jour.
*
Mais je t'assure que je serais moins bête que ça si je ne t'aimais pas jusqu'à l'idée fixe.
Je t'aime avec toute la fierté de mon infériorité.
*
Qu'est-ce que cela me fait d'être bête, d'être ignorante et stupide puisque je t'aime ?
*
Je ne t'écris pas parce que je m'ennuie, je t'écris parce que je t'aime et que c'est ma consolation de te l'écrire quand je n'ai pas la suprême joie de pouvoir te le dire à bout portant …
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Mon amour est un tohu-bohu de points d'exclamations, de tendresse, d'extase, de baisers, de merveilles, d'attendrissements et d'éblouissements et, comme je ne peux pas me tirer de là, je m'y abîme avec délices, quitte à y disparaître tout à fait.
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Tu es en moi plus que moi-même. Je suis faite de toi, par toi et pour toi. Je t'adore.
*
Si je n'avais été ton amante j'aurais voulu être ton amie. Si tu m'avais refusé ton amitié, je t'aurais demandé à genoux d'être ton chien, ton esclave.
*
*
*Juliette Drouet « Mon grand petit homme »
                  Mille et une lettres d'amour à Victor Hugo
                  Choix, préface et notes de Paul Souchon
                                                        Éditions Gallimard

dimanche

1er novembre LETTRES DE JULIETTE DROUET à VICTOR HUGO (2)


SUR DES LETTRES D'AMOUR*
II
*
- « Dix-huit mille lettres d'amour ? Comment ne pas ressasser, et dans les mêmes termes ? Un génie littéraire y renoncerait ! »
Juliette en est consciente. Le préfacier de Mille et une lettres d'amour* relève qu'elle écrit, le 28 novembre 1844 :
    «Je voudrais trouver une manière nouvelle de te dire mon amour, mais je n'en connais pas. Je ne puis donc que te répéter avec les mêmes mots le même sentiment exclusif ardent, admiratif, et passionné que j'éprouve depuis bientôt douze ans. »
    « Mais si je n'ai qu'une seule manière d'exprimer mon amour, j'en ai mille de le sentir, toutes plus tendres et plus douces les unes que les autres. D'une heure à l'autre, je trouve des millions de raisons pour t'aimer davantage. Tu vois que mon amour, pour être monotone n'est pas routinier. Seulement, je te répète, je n'ai qu'une façon de te le dire : Mon Toto, je t'aime... »
    Eût-elle lu Chamfort, qu'elle aurait pu répondre qu' « il n'est point de redites pour le cœur »
    Elle était surtout en droit de reprendre le mot de Diderot : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour », tant elle aura manifesté de sollicitude, de tourments, pour le simple bien-être, la santé, la sécurité du « grand petit homme » et ce, avant, pendant l'exil et jusqu'en leur vieillesse.
*
    Qu'elle l'ait suivi dans l'exil ne saurait surprendre. Qu'elle se soit alors intégrée dans la famille au point de se faire aimer des enfants et de devenir l'amie de Mme Hugo, de partager leurs joies et leurs deuils, semble probant de ses qualités intrinsèques. Auxquelles ses lettres apportent des nuances qui durent maintes fois mettre la patience de Hugo à l'épreuve. Amoureuse ardente, exclusive, ses lettres mêlent très vite les récriminations, les reproches plus ou moins fondés, les proclamations d'amour comme il n'y en eut jamais de semblables, le tout saupoudré d'enfantillages. Lucide, elle parle de ses « inconséquences », de ses « incohérences », de sa « méchanceté ». « Je suis bien méchante, n'est-ce pas mon Toto ? N'est-ce pas que l'amour rend bien méchant ? »
    La claustration où l'amant la maintient d'abord, l'abandon de sa carrière de comédienne, ne peuvent qu'exacerber cet amour « si longtemps comprimé, lui écrit-elle, qu'il dégénère en maladie, presque une folie furieuse. Je souffre à propos de tout et presque de tout. J'ai peur de tout ».
    On croit entendre souvent des reproches d'épouse déçue : « Je ne me fais plus d'illusions. […] Je sais bien que depuis plus de deux ans tu n'as plus d'amour pour moi quoique tu en aies conservé toutes les apparences dans le langage et dans les manières. Cela prouve que tu es un homme bien élevé, voilà tout. »
    « Pourtant, doit se dire la scriptrice, si l'aimé allait prendre ombrage de mes éternels griefs ?» La fin de la lettre l'assurera que nonobstant, on l'aime et on l'admire par dessus tout.
    Qu'on lise, à cet égard, sa lettre du 24 juillet 1845 écrite après qu'elle vient d'appendre, irrécusable, la trahison de Hugo : c'est un modèle de pudique détresse, de dignité blessée, mais aussi de discernement envers soi-même :
    « Tu me vois maintenant telle que je suis : une femme sans éducation, sans esprit, dont l'amour t'importune, et que ton exquise délicatesse te fait garder en l'excluant le plus que tu peux de ton intimité. »
    Lettre qui se termine par : « Je t'aime. Je t'aime » comme aux plus heureux de leurs jours. Elle lui dira même, plus tard, dans un mouvement d'abnégation : « Que tu sois heureux, toi, c'est mon suprême vœu » ; « Agis donc sans crainte et sans scrupule, et comme si j'étais morte. »
*
*
           III
*
    Non seulement Hugo ne se formalisait pas des billets quotidiens de Juliette, mais il les réclamait et les prisait en ces termes, cités par Paul Souchon dans la préface à son anthologie : « Tes lettres, ma Juliette c'est mon trésor, mon écrin, ma richesse. Notre vie est là, déposée jour par jour, pensée par pensée. Tout ce que tu as rêvé est là, tout ce que tu as souffert est là. Ce sont autant de petits miroirs charmants, dont chacun reflète un côté de ta belle âme. »
    Que saurions-nous de Hugo au quotidien, dans sa maturité et sa vieillesse ; de l'homme Hugo pendant les dix-huit ans de son exil ; de ses dernières années en France ?
    Nous savons les faiblesses – de l'homme – et peut-être est-il, en ce domaine, de ces êtres courtisés qui, par bonté d'âme, ne savent décevoir. A coup sûr, c'est Juliette qu'il faut croire quand elle le voit « si adorablement bon et doux, si dévoué et si affectueux, si beau et si noble », et d'abord dans le deuil et le dénuement quand il se substitue au médiocre Pradier dans ses carences envers sa fille. Ses visites quotidiennes à celle-ci, malade, sa présence auprès de la mère, quand Claire Pradier meurt prématurément, quand on l'enterre, tirent de Juliette cet hommage : « Mon Victor, sois béni, car tu es encore plus grand par le cœur que par le génie. »
    Avant l'exil, elle vivait à l'attendre en des logis où elle se déplaisait. À Guernesey, la maison qu'elle habite étant malsaine, il lui en achète une autre qu'il meuble en ébéniste consommé qu'il est aussi.
*
    En 1863, pendant l'exil, Mme Hugo écrit un Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie auquel le « héros » collabore. Les lettres de Juliette doublent l'ouvrage et le complètent pour les biographes et tous ceux que retient la rayonnante personnalité de l'écrivain et de l'homme public. Avec le recueil des lettres, nous avons une manière d'éphéméride qui ne s'interrompt que le temps des voyages à deux en pays limitrophes ; et l'on comprend l'intérêt que Hugo porte à la lettre quotidienne comme on consulte le baromètre pour connaître l'humeur du ciel, en l'occurrence celle de la femme aimée, même et surtout si l'on se sait imperturbablement adoré, encensé.
    Le biographe trouve, dans les dates, pieusement remémorées, l'équivalent, pour le croyant ou l'incroyant, du calendrier ecclésiastique. Pour Juliette, chaque date rappelée à Hugo était chargée d'un message implicite : « ENSEMBLE, ce jour-là, nous avons été heureux (ou navrés) ; nous avons partagé félicité ou douleur. Qu'un tel jour mérite bien d'être hissé au-dessus de la foule des jours sans éclat ! » L'occasion, pour elle, de mesurer le temps passé depuis le Jour inaugural, et de souligner la constance immuable de ses sentiments ; et c'est ainsi que passent cinquante ans d'un présent perpétué.
    Quand, de surcroît, ce présent s'émaille de frais coloris toujours inattendus dans l'attendu, pourquoi Hugo se lasserait-il de revivre, chamarré de plaisantes fioritures, ce qui va lui inspirer « Tristesse d'Olympio » et autres poèmes ? Au reste, ne lui a-t-elle pas écrit, pour l'inviter à faire écho à ses propos : « Un mot de ta main m'est plus précieux que tous les billets de banque du monde. » ?
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*
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·       Citations extraites des lettres de Juliette *
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Mon Victor, aime-moi, n'aime que moi, et je serai ta femme, ton amante, ton esclave, ton chien. Je baiserai tes pieds. Je mendierai s'il le faut. Mais aime-moi, n'aime que moi.
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C'est stupide de priver une pauvre femme comme moi de son bonheur et de sa vie sous prétexte qu'elle dort ! Allez, je le répète, c'est stupide, c'est admirable, c'est adorable !
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Je t'écris tout ce qui me passe par le cœur.
*
Je t'aime plus que tout au monde, plus que la vie, plus que … cette dernière comparaison est au ciel, là, je dirai que je t'aime plus que Dieu lui-même.
*
Je suis dans un paroxysme de bonheur, de joie et d'orgueil. Je suis heureuse de t'aimer. Je suis fière de t'appartenir.
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Oui, mon cher petit Toto, au lieu de gribouiller de l'amour cul par-dessus tête dans mon encrier, j'aimerais mieux trifouiller pêle-mêle avec vous.
*
Mon Dieu, est-ce que tu m'aimerais moins, c'est-à-dire plus du tout, parce que le moins en amour, c'est moins que rien ou plutôt c'est le désespoir et l'enfer ?
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Quand viens-tu coucher avec moi ? La question est un peu féroce, n'est-ce-pas ? Mais moi, je n'y vais pas par quatre chemins, si j'ose m'exprimer ainsi, et ce n'est qu'au lit que je me sens de force à lutter avec toi pour l'abondance et la richesse d'expressions qui me manquent absolument, chaussée et corsetée.
*
Te désirer toujours dans la solitude et dans l'oubli, t'aimer toujours seule, c'est un fardeau bien lourd quand on aime comme je t'aime …
*
*
*Juliette Drouet « Mon grand petit homme »
                  Mille et une lettres d'amour à Victor Hugo
                  Choix, préface et notes de Paul Souchon
                                                        Éditions Gallimard

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