* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
*

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

*
LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
*
L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

*
L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

*
L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

*
EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


dimanche

15 décembre 2014 L'ARBRE EN SES SAISONS (1)

l'arbre en ses saisons
*
automne
*
1
 *
    Entouré de grands arbres, je ne reçois pas ces lignes sans quelque mauvaise conscience, tant je méconnais ma chance :
    – « Je vivrais mal en un pays sans saisons, sous des cieux immuables, réputés "bénis". Regards, sensations, sont renouvelés quand se modifient les paysages. On redécouvre des lieux pourtant connus. Les vêtements changent ? Le moi sensible, bien davantage. »
 *
    De fait, que savent des saisons les citadins impénitents ? Ce que leur en apprennent les devantures, les platanes des trottoirs, les jardins publics, la mise des passants. Les façades des immeubles, le bitume, la tôle des voitures, n'ont de saisons. L'infime chuintement du temps qui passe n'a de modulations que diurnes. Une même palette de couleurs vous établit en une durée égale, vécue comme stagnante, au point de vous rendre étonné, un jour, d'être si proche de votre fin
    La compagnie de grands feuillus vous épargne un tel aveuglement.
   On vivait, depuis des jours, dans la tonicité des verts, et l'on s'avise qu'une feuille, plusieurs, un rameau, virent leur pigmentation native, ainsi que certaines peaux atteintes de vitiligo.
   Quelques jours encore, et des touches de jaune d'or, de jaune indien, allègent, aèrent la masse austère du vert émeraude ou véronèse.
   Si l'automne est, pour maints végétaux, la saison où les feuilles rouillent, prennent des teintes de vieux parchemins, il est, pour d'autres, le temps où notre œil découvre en eux quels substrats chaleureux nous dissimulait le vert.
   Nous attachions, à cette couleur, des sensations de fraîcheur, de froideur – ô noyer ! Nous allons vivre pendant des jours dans des enluminures de Livre d'Heures.
   Voici, avec la gamme des rouges – du vermillon, de l'écarlate, de la garance au carmin –, le climat de l'ardeur, de la flamme, de la passion. De l'opulence. L'or natif mêlé au vieil or, au vermeil, au cuivre. Et de nous souvenir du mot de Mallarmé à Valéry devant la fin de l'été, à Valvins : « C'est le premier coup de cymbale de l'automne sur la terre. » Coup de cymbale qui gagne, en ce qui sera fanfare, le geyser du peuplier, le médaillier du bouleau – et la vigne-vierge qui ensanglantera les façades.
 *
   On dit que certaines agonies voient s'empourprer des joues blêmies par la maladie ou l'âge ; le moribond faisant preuve d'une étonnante agitation.
   Faut-il entendre, s'élevant de la Nature à l'automne, une modalité de l'antique déploration – sous des lambris dorés : « Le Roi se meurt, le Roi est mort ! » ? Ou voir, en cette féerie colorée, les multiples avatars du vert en son mûrissement, ainsi qu'une pomme verte devient, avec les jours, blonde ou cramoisie ?

lundi

1er décembre 2014 L'ARBRE FLUVIATILE




Arbres sous le vent
             Camille Corot

*L'ARBRE FLUVIATILE

     À moins qu'il ne doive rechercher l'espace, la lumière ; qu'il soit sous un vent constant, un arbre pousse droit et non déjeté. Chaque branche ou rameau a son contrepoids – sa contre pesée – adverse, ce qui fait, de l'édifice, un étagement d'équilibres. La sensation même qui gagne à le contempler.
     À l'arbre, le sage demande, jamais refusé, un modèle de retenue, de maîtrise de soi, d'harmonie, mais aussi de laconisme, de résignation, de patience. Aussi, à l'aurore, se réjouit-il de retrouver ses arbres à leur place assignée.
     Est-ce stupeur d'avoir été si longuement plongés dans le noir ? Incrédulité devant la résurgence du jour ? De faire, à nouveau, du ciel, une lumineuse mosaïque ? Étonnement de voir se prolonger la paix que la nuit leur apporta ?
     Pas une feuille ne remue, comme occupée à vérifier ses contours, découpures, folioles, que l'ombre avait estompés, chargés d'un impondérable limon, mais que le jour nettoie, redessine avec une précision grandissante ; que la jeune lumière fait reluire, argente, de part et d'autre de la nervure médiane. Et voici que l'arbre recouvre son nom : ici l'érable, là le châtaignier, là-bas l'accacia, tout de folioles, le hêtre aux belles enfourchures – aux lisses entre-cuisses.
Nulle feuille ne bouge ? Si, et l'on croit discerner, dans une circonvolution cérébrale, une idée se former, un signal se faire.
     Ou n'est-ce pas clignement distrait, comme au terme d'une trop longue contention ? Mais non, ce sont, à la périphérie du feuillage, balbutiement à lèvres minces, proéminentes. En marge d'une muette assemblée, à très bas bruit, vient de naître une rumeur. Des feuilles voisines la reprennent, la propagent. Tout un rameau s'en émeut ; une flamme invisible gagne de proche en proche. Des signes d'affolement collectif font penser au Bal des ardents, à l'incendie du Bazar de l'Hôtel de ville. Ce qui était ruisseau, rivière, aériens, devient fleuve.
       L'arbre s'enfle, saisi d'un accès de fièvre. Le frêne, le bouleau, le tremble, semblent atteints d'une fébrilité récurrente. Mais ce chêne ? Lui aussi, le fleuve le traverse.
     Il est des plantes fluviatiles, telles la myriophylle, l'élodée, la fontinale, que le courant peigne, effile en chevelure indéfinie. C'est tout un arbre qui peut devenir fluviatile, quand le vent s'en saisit.
     Arrimé par ses racines, il est la permanence même. À vie, scrutant les mêmes horizons. Or, l'Ailleurs vient à lui, l'envahit, s'efforce de l'entraîner vers un point de fuite et déjà, tout le feuillage s'y oriente, ainsi que se tourne vers le terme de leur migration, une troupe d'oiseaux.
*
     L'arbre, hormis le tronc, connaît une « difficulté d'être ». Quelle séduction a ce scintillant Ailleurs, pour qui pourrait reprendre le vers de L'horizon chimérique : « Car j'ai de grands départs inassouvis en moi ». Mais « la force du site » !
     Stable, le sol ; immuable, le tronc. Le déséquilibre vient d'un feuillage partagé entre l'acquiescement et la rétractation, la dénégation. Qui n'est plus que remous, va-et-vient, où des bras feraient les gestes de qui se noie. À moins que l'arbre, en transes, ne rappelle les convulsionnaires de Saint-Médard…
     Il est des cours d'eau réguliers. Y aurait-il, dans le lit de ce fleuve, des ruptures de pente qui en précipiteraient le cours, et nous vaudraient ces accès de fièvre qui rendent le feuillage haillonneux, dilacéré ? Ou un pêcheur s'efforcerait-il, par intermittence, de fatiguer un poisson vigoureux, pris aux ouies, pour le ramener à lui ? Une poigne amorce parfois un mouvement de rotation – pour déraciner l'arbre ? Là-haut, une cime multipliée pèse le pour et le contre, mouline et baratte l'espace.
     L'arbre est de ces malades gagnés par une impatience des membres, qui ne peuvent trouver le repos. Il est l'image de la répulsion et de l'effroi. De quoi témoigne son arc-boutement.
     La rumeur, d'abord rive de ruisseau, est devenue berge de torrent.
*
     Que fut la nuit ? À l'aube, je retrouve la verticale qui unit le collet à la cime ; le poids de chaque branche annulé par celui de la branche opposée.
     Sa ramure prise en un vitrail, il ne peut être que figé. Nulle trace de fièvre ou d'inquiétude ; pas même d'expectative. Équanime, il est la contention même. Du moins en apparence. Organisme vivant, son feuillage, – stylite sur sa colonne –, médite ce qui accroît ce grand être qu'est un arbre souverain. Et quel ne l'est, sur l'aire circulaire de son ombre ? Échanges avec le sol et l'air, assimilation, circulation des sèves, insertion dans l'espace, quête de la lumière, formation des stries d'accroissement, à l'apathie du tronc, s'oppose la mobilité des innombrables antennes foliées.
     L'arbre fluviatile ? Il le fut, à son corps défendant, et il n'était alors qu'émulsion de formes, et de couleurs, d'air et de bois. À présent qu'il baigne en un lac sans rides, et que sa silhouette lui restitue son identité, que son ordonnance n'est plus bousculée, je lui sais gré de me donner, comme avant, une leçon de droiture, de hauteur sans condescendance. Il en impose comme César, « le pied sur toute chose », mais il est d'abord pour moi, comme pour l'Isabelle d'Intermezzo, « le frère immobile des hommes ».
*
Arbres sous le vent
Soutine

 

 

Arbres sous le vent 

Soutine


mardi

EN MARGE DU SITE DE MIREILLE SORGUE

NOTE 2
*
Cette note complète la série des textes parus sous le titre « En marge du site de Mireille Sorgue » (juin 2009 - juin 2010)
 *
Craignant de se faire oublier, la « petite sœur » chez qui l'opiniâtreté est une vertu cardinale, enjoint, une nouvelle fois, le Conseil Général du Tarn-et-Garonne de lui restituer ce que dont, dans le fonds Mireille Sorgue dont il est à présent propriétaire (par legs), un vil suborneur s'est emparé ; autant dire, tout.
A mon notaire, soucieux d'y voir plus clair, j'ai conseillé de lire, sur mon blog, la chronique en quinze chapitres « En marge du site de Mireille Sorgue ».
Ce qu'il m'en a dit ? « On peut concevoir l'amertume de la « petite sœur » de voir Mireille vous désigner pour exclusif exécuteur testamentaire quant à ses écrits. (chapitre XI, Le testament). Car Mireille avait une sœur, certes coquette en diable, « aux terribles coups de griffes », mais cultivée, passionnée de littérature, comme sa mère, ayant en ce domaine un goût très sûr, le sens des valeurs, et qui allait, pour la seconder, s'entourer d'admirateurs authentiques et non désireux de se faire valoir. (Aussi a-t-elle pu, en toute justice, les mettre  à l'honneur en maintes occasions -chapitre XIV, Exister )
Une soeur, de surcroît, d'une grande distinction de sentiments ; ainsi, « au nom de la vérité » - quitte à malmener sa native et sourcilleuse délicatesse – a-t-elle bien souligné à la ronde que sa sœur s'était suicidée (chapitre X, La fin ) ».
Et mon avocat de poursuivre : « Et vous voudriez l'empêcher d'éditer les inédits, alors que dans L'Amant réédité en livre de poche, elle a donné sa mesure en fait de critères éditoriaux, que ce soit pour la magistrale préface, ou dans les remerciements; l'individu qu'elle hait à bon droit étant tout juste bon à ces besognes subalternes que sont l'établissement et l'annotation d'un texte  (encore a-t-il multiplié les coupures - chapitre II, Les coupures - qui pouvaient le gêner). On se demande d'ailleurs comment Mireille a pu s'aveugler au point de célébrer un être aussi médiocre… »
Ainsi ne me parla pas mon notaire.
Je vais donc redire aux responsables du Conseil Général du Tarn-et-Garonne que le fonds Mireille Sorgue sera inventorié, et l'inventaire mis en ligne, quand l'œuvre tombera dans le domaine public. Sa communication étant ouverte aux chercheurs dans les conditions que j'ai déjà formulées; l'ayant-droit patrimoniale exclue.
« J'ai tout mon temps » m'écrivit cette dernière en manière de défi. Moi aussi : rien qui vous tienne en belle santé comme d'être l'objet d'une inexpiable détestation. 
Et rien de tel qu'une haine bien recuite pour vitrioler un visage de femme et le révéler tel que le fard le dérobait, pareil à celui des Vieilles de Goya. Ce dévoilement se faisant dans une solitude grandissante. Car les yeux s'ouvrent, me dit-on, tant il est vrai qu'on ne peut toujours faire illusion.
*
* * *  
*
Le texte habituel du quinze du mois (ici, la fin de Maigre immortalité) est à la suite de cette Note, en date du 15 novembre.






samedi

15 novembre 2014 MAIGRE IMMORTALITE (fin)




 MAIGRE IMMORTALITE (fin)
*
     Faut-il poursuivre, en augurant, avec tous les risques d'erreur, de la situation présente de la poésie, les recueils du XXe siècle qui ont chance de survivre ?
    Aux causes circonstancielles du déclin des Lettres que dénonce Valéry dans « L'Avenir de l'Intelligence », « La Crise de l'Esprit », d'autres me semblent condamner la poésie, genre littéraire longtemps révéré, sommité des activités de l'esprit ; le poète faisant figure de prince.
 *
     J'ai grandi dans une campagne qui n'avait changé depuis des siècles. Mi-plaine, mi-bocage, elle admettait la haie, et l'arbre. De ceux-ci, il en était qui, par leur taille, leur silhouette, proclamaient leur essence : « Je suis le chêne ; je suis le peuplier. Je dis les saisons ; je compose avec le vent, l'averse – et je regorge d'images pour qui sait voir et prend le temps de contempler … » Ce que disaient, à leur façon, les fleurs sauvages au bord des fossés, les nuages d'Ouest ou de beau temps … Et l'enfant que je fus se faisait éponge et commençait de tendre des « comme » et des « tels que » au sein du visible, heureux d'en retrouver confirmation dans les poésies qu'on apprenait en classe, par cœur et, pour moi, avec cœur.
La haie et l'arbre devenus obstacles, on fit table rase, et il n'y eut plus même de chemins creux pour école buissonnière. Dès lors, quelles alliances percevoir ou tisser entre une terre asservie au seul profit, bâillonnée de n'être qu'une étendue, et un espace aux rares échanges entre oiseaux ?
    Une source fut tarie, et les vers qui célébraient la nature se virent privés de caution.
 *
    Les jeunes filles « à l'ancienne » chérissaient le lyrisme. Il est si malaisé d'exprimer l'exaltation d'un cœur aimant, le navrement d'un cœur blessé … Par chance, des poètes avaient eu des cris que l'on pouvait faire siens et qui, par la mélodie sous-jacente, se gravaient sans peine en la mémoire. Et qu'il y avait de contentement à se les redire ; à ne pas se sentir seule dans la joie ou l'affliction !
    On n'a plus le loisir de rêver ; les sentiments, qui causèrent tant de déboires à nos aïeules, doivent être tenus en bride, et leur expression peut s'accommoder du laconisme, voire de l'implicite.
    «- La poésie amoureuse convenait aux oisives, aux romanesques, aux esseulées ; à celles qui croyaient au pouvoir des mots et rêvaient de soupers aux chandelles, et autres appeaux, autres leurres.
    « Nous sommes à présent des filles positives, des femmes sans franges, pour qui accoler amour et toujours ne mérite que dérision. »
 *
    Le coup de grâce porté à la poésie sera venu de penseurs en chambre, convaincus qu'elle procédait du seul intellect.
    La poésie classique, corsetée, nous fait rarement oublier le labeur du poète. Nous voyons celui-ci multiplier les « coups de dé » afin de se soumettre aux règles de la prosodie. Nous percevons la raison gouvernée par la rime, parfois jusqu'au burlesque involontaire ; le mètre imposer des chevilles, ou engendrer l'obscurité. Ce qui conduit le lecteur de La Jeune Parque à dire, à son auteur, que si l'esprit peut se nourrir de gemmes, de joyaux, le corps aspire parfois à prendre part au festin.
    Du moins les poèmes de tous les temps qui ont survécu conjuguent-ils  – éléments consubstantiels au poétique – pensée, rythme et sonorités. Ils infléchissent notre souffle de leur respiration propre ; leurs agencements sonores font, de notre corps, une caisse de résonance ; ils nous délivrent des images qui vont nous conduire, dans le visible ou nos ténèbres, d'évidence en évidence. D'où notre sensation d'être accru, d'avoir mieux part à l'intelligence du créé.
 *
    Il faut beaucoup de naïveté ou d'outrecuidance, pour penser que, « pulvérisé » (un titre de René Char), le « poème » conservera ses pouvoirs de faire, de l'être entier, un réceptacle tout d'assentiment au message qu'on lui adresse. Que le moi dont on a dédaigné tant de ressources, est disposé à une adhésion autre que cérébrale, et qu'il est enclin à préserver en lui le dit d'un poète qui fait si manifestement fi de la mémoire.
 *
    Tel est le discrédit présent de la poésie, que la seule vue d'un poème en vers réguliers fait fuir nos yeux ; l'alexandrin entre tous les mètres, n'ayant plus droit de cité.
    Non qu'il suffise d'aligner des vers mélodieux : sinon, un Albert Samain, une Anna de Noailles, un Henri de Régnier, auraient encore maints fervents. Mais qu'est une poésie qui ne s'inscrit aussi en notre part viscérale, fût-ce, comme sur la roche, l'empreinte des fougères fossiles ?
    On abuse et le regard et l'esprit, quand on dispose en lignes parallèles, inégales, une prose exsangue ou qui semble de la poésie traduite. On les abuse en faisant voler en éclats sur la page, une troupe de concepts, de mots, qui n'ont d'affinités, et dont la rencontre, chez le lecteur, ne produit de lueur.
    Et c'est ainsi que la poésie devient une langue morte qui ne sera lue, demain, que par devoir, ainsi qu'on fait ses « humanités » ; des « pédagogues » nous exposant l'inutilité d'étudier « Le Promenoir des deux amants », « Le Balcon », ou « Le Bateau ivre ».
    Prose déguisée ou désintégrée, la « poésie » présente et à venir est vouée à être lue comme telle et à passer sur le lecteur ainsi que l'eau sur les feuilles cireuses.
    Genre exténué, désuet, on la lira sans que notre système organique, sensitif, y ait la moindre part. et de sourire, si on les rencontre, des cris de gratitude envers elle qu'ont pu pousser de grands poètes. « Poésie, raison sacrée », s'exclame l'un, la poésie « mode de vie – et de vie intégrale », assure l'autre, cependant qu'un troisième, rêve d'« une vie recluse en poésie ».
    « À la question toujours posée : "Pourquoi écrivez-vous ?" , déclarait Saint-John Perse, la réponse du Poète sera toujours la plus brève : "Pour mieux vivre" »
    Mais qu'avons-nous à faire du « Grand Testament » de Villon, ou des Odes à Cassandre ? Quel besoin avons-nous d'images poétiques ? Les millions de pixels de mon appareil me permettent d'obtenir, en un clin d'œil et sans effort, l'image qui seule m'importe : celle que me procure le seul dieu qui vaille – le seul qui subsiste – à présent que la terre, les ondes et les cieux en sont dépourvus : l'Instant.
 *
    Pourtant, que se consolent les innombrables dont les livres prendront place dans la bibliothèque des ILLISIBLES. Il se trouvera bien l'un de ces esprits qu'aucun écrit ne rebute, pour gloser sur l'homme et l'œuvre aux fins de paraître, avec satisfaction, dans la « Revue d'Histoire littéraire de la France » !
 *
    Mes choix sont subjectifs, partant, aventureux ? Assurément.
    Ils sont d'un homme du XXe siècle qui trouva, dans son temps, beaucoup à admirer. « J'aime à louer. Je suis heureux quand j'admire », disait Diderot dans son « Salon de 1750 ». D'un homme qui voudrait que les générations futures prissent autant de plaisir que lui à la lecture, pêle-mêle, de La Symphonie pastorale, du Diable au corps, de La Jument verte, du Rivage des Syrthes, des Mémoires d'Hadrien… Et l'on pourrait poursuivre le liste à l'infini, tant le XXe siècle aura compté, dans tous les domaines de l'esprit, de talents et de génies. Au point, pense-t-on, de pouvoir nourrir, à soi seul, les aspirations, curiosités, inclinations, de foules de lecteurs futurs.
 *
    Augurer de ce qui en survivra est d'autant plus déraisonnable, utopique, que ce trésor de l'esprit rencontrera des êtres gavés d'images, fixes ou animées ; que les préoccupations d'ordre spirituel auront déserté pour la seule quête de l'immédiat et de toute nouveauté. Des êtres à qui des critiques qui n'auront eux-mêmes connu que l'éphémère, persuaderont, semaine après semaine, que de nouveaux chefs-d'œuvre ont paru, à connaître au plus tôt.
    Cependant que feront florès ceux qui se donnent pour mission de divertir, au sens pascalien, leurs semblables accablés de la difficulté de substituer en un monde minéral.
    bien que l'ultime chance qu'auront Raboliot, Derborence, ou Le Mas Théotime, sera l'apparition, dans quelques âmes simples, de ce sentiment doux-amer : la nostalgie.
*
    « Maigre immortalité »… Me revient ici la voix de Chateaubriand retrouvant Vérone, dix ans après le Congrès de 1822.
    « Combien s'agitaient d'ambitions parmi les acteurs de Vérone […] ! Que d'avenirs rêvés […] ! Faisons l'appel de ces poursuivants de songe […].
    « Monarques ! Princes ! Ministres ! Voici votre ambassadeur, votre collègue revenu à son poste : où êtes-vous ? Répondez. »
Suivent vingt noms de dignitaires avec, en face, répétée comme un glas, la mention : « mort ». Noms auxquels il serait aisé de substituer des noms d'écrivains du XX siècle qui furent glorieux. Et la conclusion du mémorialiste vaudrait pour eux : « Qu'est-ce donc que les choses de la terre ? »
    Sauf que Chateaubriand ajoute : « […] mais, ô puissance du génie ! aucun voyageur n'entendra jamais chanter l'alouette dans les champs de Vérone, sans se rappeler Shakespeare. »
    Et qu'il suffit de remplacer Vérone par Illiers-Combray et Cabourg, pour Proust ; Tipasa et Lourmarin, pour Camus, pour apaiser leurs mânes, à supposer qu'elles craignent encore l'oubli – seule véritable mort pour un créateur.
*
*
*
________________________________________
Ouvrages critiques cités
Gilbert Joseph : Une si douce Occupation, Albin-Michel, 1991.
Bianca Lamblin : Mémoires d'une jeune fille dérangée, Le grand Livre du Mois, 1993 ; Le Livre de poche, 1994.
Michel Onfray : L'Ordre libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus, Flammarion, 2012, et Éditions « J'ai lu ».
Renaud Meltz : Alexis Léger dit Saint John Perse, Flammarion, 2008.

Archives du blog

Compteur pour blog gratuit