* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


jeudi

1er août


en marge du site de Mireille sorgue

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IV les deux mireille *


*


Il n'y eut jamais pour moi qu'une Mireille : une petite fille qui avait reçu la grâce d'écrire (ses maîtres se montrant ses rédactions), qui grandit, s'accomplit, et dont l'œuvre, quand elle parut en partie, étonna le public lettré et le fit crier au miracle.

Mais pour sa famille, il y en eut deux. D'une part l'enfant, l'adolescente, non seulement brillante élève, fierté de ses parents, mais qu'on louait à l'envi pour sa bonne grâce, sa disponibilité envers chacun, sa loyauté à toute épreuve, son sens des responsabilités – et de l'autre, l'exigeante jeune femme qui prend ses distances avec le petit monde qui l'entoure et défend farouchement sa solitude pour se cultiver, écrire – et aimer !

Certes, on respectera sa volonté, mais jamais il n'y aura entre elle et le reste de la famille le moindre échange d'ordre littéraire. Ils sont « les profanes » : « C'est chez moi une pudeur peut-être excessive, mais il m'est impossible d'évoquer une activité créatrice devant des… profanes, de m'y livrer au milieu d'eux. » (Août 1965)


L'orgueil commun lui étant parfaitement étranger, il faut bien en conclure qu'elle a pris la mesure de chacun en ce domaine. Sa sœur « fait des études » ? J'ai relevé, dans le précédent chapitre, le sentiment de celle-ci quant au meilleur moyen de… servir l'humanité ! Pas une ligne, dans les lettres à l'amant, qui fasse état du plus mince intérêt de la cadette pour l'un des auteurs que l'aînée fréquente et révère – ce que celle-ci n'eût pas manqué de noter avec le même plaisir que lorsqu'elle voit son père lire Camus. Au vrai, on peut vivre « entouré de l'affection des siens », selon le cliché, et s'y éprouver irrémédiablement seul. Ce sera son cas.


Or, Mireille, si riche de dons du cœur et de l'esprit qu'elle soit, manquera toujours de confiance en elle. Elle se juge à maintes reprises « médiocre » ; tout lui est motif à se déprécier. Obscurément, elle aspire à être reconnue, au moins dans le domaine de l'écriture où éclate son aptitude à s'exprimer. Une… reconnaissance qui ne lui viendra jamais des siens, de son vivant. Sans doute sa famille apprendra-t-elle par la critique l'étendue de son talent, mais « les femmes » n'auront ensuite de cesse de mettre au pinacle des textes de jeunesse (poèmes, souvenirs d'enfance) qu'elle avait explicitement reniés. Quant à son père, découvrant le premier volume des Lettres, il eut ce mot que sa femme me rapporta – par écrit : – « Dire que nous ne savions pas que nous avions une fille pareille ! »


Quoi, Monsieur ? Passe encore que vous n'ayez pas discerné, par ses compositions françaises, les exceptionnels dons littéraires de votre fille ; mais enfin, vous avez lu sa copie du Concours Général – publiée dans « Le Figaro littéraire » ! Si deux éditeurs ayant pignon sur rue, auxquels se joignent deux… intellectuels, écrivent à son auteur, ce n'est pas seulement pour féliciter une brillante lauréate : c'est parce que sa copie révèle, à qui sait lire, un sens des ressources de la langue – « nombre » des phrases, saveur des images, culture sous-jacente – qui sont de la maturité.


N'auriez-vous pas lu cette copie, que vous ne pouviez ignorer sa lettre de septembre 1963 qui figure dans les notes du tome II et qui vous émut fort . (« Mon père en fut bouleversé – car il en a pleuré, m'a dit Maman. ») Et vous n'avez pas salué l'épistolière de race qui s'y exprime ? Il faut croire que non puisque Mireille m'écrit, le 26 septembre 1964 : « Pour mon père, il ne rompra pas le silence auquel il m'a derechef invitée cet été, après cette lettre exultante et indiscrète que je lui envoyai, mais il est avec moi très gentil, très attentif, et, je le crois confiant. » Derechef : c'est dire que dès la lettre de septembre 1963, on enjoignit à l'impudente de ne plus récidiver. Ce qu'elle fera pourtant, de Provence, en juillet 1965. Et j'imagine que cette lettre de jeune femme, heureuse, extasiée, débordante d'affection filiale, et dont j'ai publié quelques lignes dans L'Amante, suscita de votre part la même réaction.


Que, malgré cela, ce soit à vous seul, parmi les siens, qu'elle croit pouvoir confier la « Célébration de la main » qu'elle vient d'achever, témoigne assez de sa solitude intellectuelle au sein d'une famille où savoir et culture devraient être à l'honneur.


Conservateur des hypothèques, le père de Paul et Camille Claudel prit tôt conscience de leur génie et il infléchit le cours de sa carrière en conséquence ; la mère de Balthus sut, dès qu'il eut quatorze ans, que son enfant était un dessinateur d'exception et elle ne lui ménagea pas les encouragements. Mireille n'aura pas cette chance. Elle devra s'affirmer à son corps défendant, dans la solitude morale et l'angoisse : « Il y a seulement cette angoisse de ne pas savoir ce que je suis, entre l'incohérence, le désordre de mes états, et cette image de moi que me propose la sympathie d'autrui […] (13 février 1963)


*

Pis : pour nourrir une mauvaise conscience toujours prompte à renaître en elle, il y aura, qui la déchirent, les reproches et les pleurs de sa mère. Et ici, en fait de citations, on n'a, comme on dit, que l'embarras du choix.

« Nous nous disputons souvent, mais c'est toujours de ma faute, et parce que je ne sais pas m'expliquer ; ma mère les larmes aux yeux, me prend sur ses genoux en soupirant : " Je ne te comprends pas mon minou, comment es-tu donc faite ?" Mais au-delà de cette incompréhension, nous nous rejoignons dans la certitude d'un amour réciproque. » (8 février 1963)


« "Ce que je te reproche, dit ma mère, c'est ton manque de mesure en toutes choses…" Oui. » (18 février 1963)


« Je me suis trop longtemps complue à m'écouter seule. Ma mère a raison. Écoute ce qu'elle dit. Je t'engage à la croire, car m'ayant faite, pour sa douleur, elle me sait par cœur.


"Tu es profondément égoïste. Tu n'as jamais pensé qu'à toi. Tu veux tout et tout de suite. Éternellement insatisfaite. Tu as le cœur sec. Tu es amorale. Et comme une pierre entre nous. Tu te moques de tout…"


Et me reconnaissant à ce portrait, j'acquiesce, disant seulement : "C'est vrai."


Non, il ne faut pas sourire. Si je ne t'ai pas semblé telle, c'est que tu m'exorcisais, c'est que tu me sauvais de moi-même, en me proposant ton être. Et m'éprouvant sous un Regard, j'étais Autre, comme délivrée. Ce n'était pas caprice lorsque je te demandais de me parler de Toi… Mon amour, "je suis la diable", véritablement ; crains de me parfaire par ton indulgence ; il est temps pour toi de prendre une lourde trique, et de me corriger avant que je ne sois au pire. Tant que je fus sous la férule paternelle, je fus une enfant charmante au dire de tous, d'une complaisance extrême, et d'une bonne grâce inépuisable, mais je suis aux yeux des autres devenue l'envers de moi-même, et voilà qu'ils souffrent par moi, ne me reconnaissant pas » (Mars-avril 1963)


« Maman m'accuse d'égoïsme. Je crois bien, oui, que je suis égoïste – c'est-à-dire que je ne m'immole pas sur l'autel des "principes", c'est-à-dire que je me sens vivante – et me devant à moi-même de vivre mieux – mais est-ce un si grand défaut ? » (25 mai 1963)


[Ayant rechigné à se joindre à ses parents, invités par des amis à un repas de fête, elle relate ceci : ]


« Maman se mit à pleurer : " Tu manques de générosité…"


C'est vrai, et je te l'écrivais tout à l'heure, te disant mon angoisse devant le mal que je fais, et ce vertige qui me prend parfois lorsque je vois comme je sais mal aimer, hors Toi. Cet hiver, j'ai rompu mes amarres, et ce durcissement que j'éprouve, c'est peut-être le cal de la cicatrice… Il ne faut pas que tu m'aimes telle, dépouillée, détachée de tout ce qui fut avant Toi, mais que tu exiges de moi que je sois au monde, de bonne grâce ; pas seulement au monde des éléments, mais aussi au monde des personnes. Je suis devenue égoïste, c'est vrai ; il ne faut pas, non, que tu m'aimes telle. Puisque tu es le garant de mon enfance, il faut m'apprendre à donner d'aussi bon cœur qu'avant. […]


Capable de faire souffrir. Ce pouvoir que je mesure lorsque je vois pleurer Maman me déconcerte – me restituant mon angoisse de la fin des vacances de Pâques… – "Je fais du mal. Jusqu'où ferai-je du mal ? Jusqu'à quand ?... Je ne sais faire que du mal…" […]


Autrefois je pensais aux autres, jamais à moi. Autrefois les amis de mes parents étaient mes amis. Autrefois je n'existais pas tellement, et les gens m'aimaient bien pour ça. Je change et je ne sais pas qui je deviens, sinon qu'il faut que tu puisses m'aimer demain. Tu m'aideras, dis, tu me garderas ?... » (30 juin 1963)


(Mais toute la lettre est des plus admirable, qui dit les tensions, les déchirements d'un être sensible, scrupuleux à l'extrême, enclin à plaider coupable, qui ne peut se réaliser qu'en faisant souffrir ceux qu'il aime.)


(Pourquoi cette image me vient-elle, d'une chrysalide que deux doigts l'enserrant empêcheraient de s'ouvrir ?)


Jusqu'à ce qu'éclate la révolte indignée :


« M'ont-ils donc élevée pour leur perpétuelle jouissance ?


Ne peuvent-ils s'en remettre à moi pour ce qui est de mon bonheur ? […] l'amertume me point à prendre mesure de l'écart qui me sépare d'eux tous… Et cette pensée latente depuis le jour où je la formulai : Ah, fuir… La rancœur me sied mal. M'y contraindra-t-on ?


Inconsciente, à ce que l'on me dit. Anormale. Peu s'en faut que l'on aille jusqu'à " monstrueuse" . Et puis on se tait, puisque de toute évidence je ne m'éprouve pas telle. » (Mars-avril 1963)



« Quand j'aimerai quelqu'un, m'avait-elle écrit le 7 février, serai-je encore parente de qui que ce soit ? Je sais que ce que je dis peut sembler monstrueux.– J'aime pourtant beaucoup mes parents… Mais je ne peux m'accommoder de la vie de famille. »


Sans qu'il y ait rupture avec les siens, c'est ce sentiment qui prévaudra : « Je suis rentrée [dans ma famille] et c'est comme un enlisement ; plus que jamais j'essaie de me défendre contre tout ce qui, ici, englue ou dissout ; plus que jamais, je me retranche, me rassemble, refuse d'être bue par cet environnement de terres grasses… » (16 août 1965)


Et ce qui s'exprime ici, n'est-ce pas l'instinct de conservation ?


«


Je disais n'avoir connu qu'une Mireille, mais il y en eut bien deux : celle des charmants souvenirs d'enfance de « La Revue du Tarn », et l'autre, dont mieux vaut, pour la famille, ne pas parler.

Il y a, dans le domaine de l'édition, des biographies « non autorisées » – par le personnage ou ses proches ; il y a de même des évocations qui n'ont par reçu l'aval de la famille. Je puis bien avoir partagé les cinq dernières années de sa vie l'intimité, et d'abord spirituelle de Mireille, quand la petite soeur apprit que l'éditeur des Lettres s'apprêtait à publier L'Amante, elle se fit un devoir d'écrire au Directeur littéraire, à la fin d'août 1987: " [...] la publication des textes de F.Solesmes [ne serait ] pas une heureuse opportunité; l'oeuvre de Mireille n'a nul besoin de ce genre de "soutien", et les textes de F.Solesmes [souffriraient] de ce "voisinage"."


On ne s'étonnera donc pas de voir ce livre omis dans la bibliographie (maison) figurant sur le site. De quoi je me félicite : il est, parmi les travaux qu'on y signale, un "voisinage" au moins qui m'eût déplu. Quant à mes lecteurs, puissent-ils me pardonner, puisqu'ils n'auront pas trouvé en mes pages la "vraie Mireille". Que du moins la petite sœur sache combien je lui sus gré de sa sollicitude touchant la défaveur qu'allaient connaître mes textes si cette publication avait lieu.

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*** N.B. Seules, les citations de Mireille sont en italique.


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mardi

15 juillet


EN MARGE DU SITE DE MIREILLE SORGUE

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III Mireille et les siens



« Non, un père et une mère, ce n'est pas sacré ! »
Mireille n'est pas toute dans cette saillie formulée lors d'une réunion de famille et demeurée dans les annales. Nature éminemment aimante, elle ne cessa de manifester envers les siens une affection chaleureuse, profonde, où se déployait sa rare intelligence du cœur. Et la maison fut toujours le refuge où restaurer des forces amoindries par l'épuisement, la maladie, la désespérance, ainsi quand, à la fin de 1962, elle retrouve à Toulouse, indifférent, énigmatique, le garçon dont elle s'était crue aimée, l'été précédent : « Ami, je suis venue à la maison. Pour guérir. […] Mon père et ma mère m'entourent d'une sollicitude poignante, maladroite parfois, mais touchante. […] Auprès d'eux, je me sens préservée de toute folie, je reprends pied. » (10 décembre 1962)

*

La figure du père n'est pas très souvent évoquée dans les Lettres à l'Amant, mais chaque fois en des termes qui témoignent d'une véritable révérence : « Cher papa… Je crains bien qu'il ne sache combien je l'aime et le vénère. » (12 avril 1965) C'est que l'homme incarne la droiture (jusqu'à la rigidité), la probité, la rigueur, le dévouement – toutes vertus qui le font unanimement respecter dans le bourg où il dirige, de façon exemplaire, école puis collège. Il est, pour sa fille aînée, l'homme sans reproche qui ne saurait pas plus errer que faillir. Et il s'agira toujours pour elle de mériter sa confiance et son estime ; de lui faire honneur par des succès scolaires et universitaires de premier plan. Mireille et son père pourront se heurter (n'a-t-il pas la responsabilité d'une fille qui, en 1963, est encore mineure, à dix-neuf ans ?), on chercherait en vain dans les Lettres la moindre réserve touchant cette intransigeance laconique dont elle a parfois à souffrir mais qu'elle comprend, justifie, excuse en invoquant « l'orgueil des Pacchioni », père et fille. « Sa sévérité n'est qu'un vernis pudique couvrant une tendresse presque douloureuse ; ma sincérité brutale souvent, appelle la sienne – il se découvre, terriblement vulnérable – blessé par la vie. » (31 janvier 1963). N'est-il pas, de surcroît, le seul dans la famille à partager son goût pour l'étude ? N'a-t-il pas, comme elle, le dédain du futile, du « divertissement » ? Les promenades en campagne, dans les bois, en sa compagnie, ne sont-elles pas délicieuses et de grand profit ? Estime et tendresse, confiance et crédit, s'avivant à demeurer tus.
"L'étude à laquelle [mon père] s'est remis en peu d'années [l'] a transformé. La division de la famille cet été est assez révélatrice ; nous sommes tous deux face "aux femmes", un peu en retrait, circonspects. […] Comment Maman ne comprend-elle pas que la seule façon de nous rejoindre est d'entrer dans l'étude ? Comment aimant mon père comme elle le dit, comme je le crois, le laisse-t-elle aussi seul ? Quand il aurait tant besoin que quelqu'un progresse auprès de lui, comme lui ? Quelle vieillesse sera la sienne si dès maintenant elle n'apprend pas à jouir d'elle-même ? » (3 septembre 1965)

*
Consciente que sa mère l'aime « intempestivement mais bien fort » ; lui sachant gré de la dispenser des tâches quotidiennes (« Ah, qu'il est bon de la laisser veiller aux choses matérielles ! » (29 décembre 1965)), elle lui reproche néanmoins d'être faible, indiscrète, de manquer de dignité, de borner ses lectures à des hebdomadaires féminins.
Songeant au mot de Camus, dans ses Carnets, sur « l'ignoble chantage de la tendresse », je montrerai qu'il est des reproches plus graves à faire à cette mère sensible, non dépourvue de finesse, mais qui aurait bien dû lire et relire le conte d'Andersen : « Le Vilain Petit Canard ».

*
On n'imagine pas que Mireille n'ait pas eu pour la petite sœur gracieuse à souhait, une véritable affection. J'ai relevé, dans le chapitre II consacré aux coupures, des différends où la générosité, la délicatesse de l'aînée, furent mal payées de retour. Mais il est surtout, pour celle-ci, une cause d'irritation maintes fois exprimée dans la correspondance et qui touche au mode de vie de la cadette.
Celle qui se lève, par discipline intérieure, dès six heures ; qui s'affaire, se cultive par prédilection dès qu'elle le peut, supporte mal qu'une… « intellectuelle » paresse au lit, se conduise avec nonchalance, passe des heures devant son miroir ou parmi ses vêtements. Et de s'en indigner : comment peut-on dissiper ainsi, en occupations dérisoires, un temps qui devrait être mieux employé, et d'abord au perfectionnement de soi-même ?
Cette petite sœur, écrit-elle, est « faite pour honorer la famille, faite à la semblance de sa mère pour la consoler d'avoir élevé cette fille aînée si folle, si résolument folle. » (Mars-avril 1963)
« Lundi. Bientôt dix heures déjà. Les matins en famille se déroulent nonchalamment jusqu'à ce que tous enfin soient prêts. À huit heures, j'ai porté le café à Maman et le déjeuner à Marie-France – au grand scandale de mon père qui déplore ces dissolvantes habitudes; mais avant que ces paresseuses soient levées, il s'est écoulé un long temps de désordre, de confusion. Manou cependant va son train, fait le marché, épluche les légumes, astique les meubles de sa chambre. M.Pacchioni n'est déjà plus là. » (29 janvier 1963)

Un tel passage suggère assez l'existence d'un clivage parmi les commensaux ; comme l'écrit Mireille, il y a bien d'une part « les femmes » – mère et sœur –, qui ne connaissent guère l'urgence de vivre, et de l'autre, sa grand-mère maternelle, première levée, effacée, diligente, son père également matinal, et elle qui se retrouve pleinement en lui, dans une même rigueur de vie, un pareil gouvernement de soi.

*
Le père est au-dessus de toute critique. La grand-mère maternelle est tout simplement « merveilleuse » et Mireille entretient avec elle une complicité qui se passe de paroles. Qu'il est donc tentant d'esquisser un parallèle entre les deux aïeules ! Parlant de celle qui vit à Cannes, Mireille écrit :
« Et dieu que l'argent file entre ces doigts de cuisinière gourmande et prodigue ! Comme Manou est différente, Manou petite souris, économe, discrète…Décidément, je la préfère. Je ne le manifesterai pas, car ma grand-mère nous aime si évidemment que lui faire de la peine en lui rendant mal sa tendresse serait bien cruel, mais à toi je peux l'avouer. Il y a quelques années, j'admettais mal cet autoritarisme ménager, ainsi qu'un sens très développé des convenances, et une inconsciente futilité dont je crois n'avoir rien reçu. Aujourd'hui, comme une très vieille petite fille indulgente, je ferme les yeux sur ces travers et je ne vois que son amour immense. » (30 septembre 1964)

Plus tard, au terme d'un séjour chez elle avec son père, elle se montre plus sévère encore. « C'est hélas, un personnage selon Balzac – je ne veux pas, et je n'ose dire selon Zola. » […]
« Toute violence m'a délaissée. Je me sens de son, répandue. Je sais devoir me reprendre quand je partirai d'ici avec mon père, jeudi. Quelle délivrance pour lui-même ! Je ne le vois pas sans peine demeurer chez ma terrible, incorrigible grand-mère, dans cet appartement suffocant de vieilleries amassées avec obstination, de bibelots tous plus vains les uns que les autres, de journaux illustrés stupides, coussins, tapis au point de croix… Ce doit être un grand malheur que de ne pouvoir estimer sa mère. […] Aujourd'hui encore, elle gaspille l'argent avec une frivolité révoltante. Mon père est admirable, et mon amour pour lui s'accroît ; il travaille avec une patience, une humilité qui me feraient pleurer. Je voudrais pouvoir l'aider, lui donner confiance, le défendre, je voudrais qu'il réussisse, et moi-même réussir pour le satisfaire. » (25 août 1965)

Élevée droitement, Mireille qualifiait elle-même son enfance d'heureuse, et nous pouvons la croire. Ce qu'elle doit à ses parents, à l'évidence, mais aussi à sa nature. L'enfant, l'adolescente qu'elle fut, aurait pu faire sien le vers de la jeune Captive : « Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux. » Elle n'étonne pas seulement ses maîtres, ses professeurs ; ses précoces talents d'animatrice, d'organisatrice au sein de groupements péri-scolaires, joints à une disponibilité entière, lui valent l'affection de tous ceux qui l'approchent.
« Il faut la voir, m'écrit sa mère, avec les enfants les plus déshérités, les turbulents, les sales, les instables : elle les charme et les subjugue… » Aussi grandit-elle – en paix avec les Puissances – dans un murmure d'estime et de considération.
Un état, une condition, où elle va de plus en plus se sentir à l'étroit :
« Désir de crever cette insignifiante apparence gentille pour que mon vrai visage respire au jour. » (22 juin 1963)


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