* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


jeudi

15 mars 2018 "CORPS FEMININ QUI TANT ET TENDRE..."



CHAPITRE V 
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L'IMAGE
*

Celle qui pose nue pour un peintre, un sculpteur, un grand photographe, peut estimer de bonne foi servir l'art. Elle peut croire qu'à sa représentation, transcendée par la vision du créateur, ne s'attacheront que des regards purs ou plu­tôt désarmés : entre son image – sa chair – et l'oeil de l'homme, toujours enclin à la convoitise, le style ne s'interpose-t-il pas jusqu'à faire écran ?
Mais cette fille qui, pour un magazine érotique, se plia aux exigences d'un photo­graphe retors en fait d'attitudes suggestives, de contorsions du corps où s'exhibe le plus intime, cette fille apparemment n'est pas gênée de l'i­mage qu'elle donne d'elle. Ne la met pas au supplice, la pensée que des millions d'hommes vont se complaire à parcourir du regard ses formes, pour revenir âprement au plus creux, se heurtant à cette touffe d'ombre avec l'obstination de l'insecte qu'une paroi de verre sépare de la source lu­mineuse. Elle ne sent pas une infinité de mains flatter sa croupe ; de poignes se crisper sur son enfourchure avec un mélange de délectation et de frustration. Elle ne s'éprouve pas, en réponse à son invitation implicite, chevauchée sans ménagement, lardée de sexes furieux, enchaînée, flagellée... en esprit. Elle n'est pas effrayée de la violence qu'elle fait lever, de ce désir d'avilir ce qui vous tente, vous provoque, et qu'on ne possédera pas... Elle accepte, sciemment, d'avoir son corps soupesé, démantelé, par notre désir ; et, déjà réduite à sa part la plus animale, de n'être qu'une image qu'on épingle ou affiche – ceux mêmes qui s'en repaissent y trouvant matière à nourrir leur mépris d'une espèce impudique et toujours prête à se vendre.
 *
Le passé nous légua nombre de gravures licencieuses, mais si nous y retrouvons, avec les postures, la crudité du détail, il y a là une interprétation du réel qui maintient le modèle à distance de notre œil, alors que la photographie en couleurs nous jette au visage, aux mains, un corps instant, actuel, où tout alerte notre sens tactile : le modelé des chairs, la carnation ambrée, le grain de la peau. Immédiats sont cette croupe, ces cuisses, ces seins, ces luisantes lèvres charnues qu'on entrouvre pour nous et sur lesquelles passe et repasse notre regard altéré, irrité.
À la gravure la plus libre, nous ne nous mêlons pas ; en revanche, nous sommes hap­pés par les formes pleines et la peau dorée que fixa la photographie. Nous y adhérons avec d'autant plus de force, que  les attitudes, les galbes suggèrent le sexe ou plus souvent l'exhibent.
En quelques décennies, périodiques, cinéma, télévision, auront divulgué le corps de la femme jusqu'en ses intimes replis. Une entreprise, il est vrai, qu'amorce la plage : l'oeil s'y autorise l'incursion et la rapine – ce que certaines civilisations tiendraient pour une profana­tion majeure, et le signe de l'effacement du sacré en nos vies.
Gavé de nudités, notre œil demeure pourtant insatiable : ce réel, dont nous voilà si proche par la photographie, une nouvelle image ne nous l'apporterait-elle pas ? Ou plutôt une profusion, une multiplicité de représentations érotiques, ne parviendraient-elles pas à avoir force, enfin, de réalité ?
Nombre de filles et de femmes s'offusquent des regards d'hommes qui, dans la rue, supputent leurs formes, et expriment sans détour l'usage qu'ils feraient de celle qui passe. Les plus sourcilleuses vivent cela comme autant de viols infimes, à la fois humiliants et lassants par leur répétition, surtout quand, au regard, s'adjoignent gestes équivoques, claquements de lèvres, mots vulgaires, invites explicites.
Pourtant, la femme qui se plaint à bon droit qu'on l'importune serait déconcertée si, s'étant mise en frais pour sortir, elle ne rencontrait que des regards absents. Faut-il croire celle qui vous assure ne se maquiller, ne s'habiller avec recherche, que pour son seul agrément et pour se sentir à l'aise au dehors ? Dès lors que la voici pimpante et fraîche parmi les passants, il lui faut bien consentir à être objet de contentement pour l'oeil. À longueur de jour, dans la rue, nous lisons la prose la plus grise. Que notre oeil se réjouisse et le manifeste quand il rencontre l'équivalent d'un bonheur d'expression, n'est-on pas mal fondée à s'en plaindre quand l'hommage que vous rend le regard est de même nature que l'éloge muet qu'il adresse à un massif de glaïeuls, un arbre souverain, un ciel de beau temps, une colonnade intrépide ?
Las ! L'hommage est trop souvent d'un prédateur et non d'un... esthète ; il fait baisser les yeux de celle qui le reçoit et la met à la gêne. Mais celle qui se sent agressée à distance ne devrait-elle pas s'en prendre d'abord aux légions de filles qui, par vanité, par vénalité, se font les complices de l'homme et vulgarisent le corps féminin, donnant de celui-ci l'image d'un bien de consommation livré à qui le désire ? Comment le regard de l'homme pour la femme qui passe s'affranchirait-il tout à fait de l'image mille fois rencontrée d'un corps qui se dispose avec complaisance à ce qu'on fasse main basse sur lui et, pour tout dire, qui se prostitue à la multitude ? Et il ne s'agit bien que d'un corps, tant l'inanité du regard, de l'expression, chez le modèle, l'accoutrement infantile auquel certaines consentent, les postures qu'elles adoptent, nous assurent qu'il n'y a vraiment là rien d'autre à considérer, à prendre, qu'une chair – encore le mot semble-t-il trop noble –, et que les scrupules seraient ici hors de saison puisque l'esprit est absent ou, à l'instar du corps, méprisable.
 *
Nul besoin d'ailleurs d'invoquer les publications érotiques : la publicité nous donne si bien l'illusion d'un monde chatoyant de filles vacantes, que nous n'y verrions pas sans malaise une femme mûre, comme s'il y avait quelque inconve­nance de sa part à nous rappeler qu'abondent sur cette terre les femmes entre deux âges, au teint gris, mal coiffées, vêtues sans recherche, qui n'arborent pas des dents éclatantes, n'ont pas ce regard haut levé qui s'accorde aux poings sur les hanches, et surtout qui ne font guère penser à leur corps.
Tandis qu'une femme que son sexe irise toute, même quand l'image est « décente » !.... Proche à la toucher, voici la terre des délices. Le modèle peut bien tout devoir au décor, aux lumières, aux fards, à la pose, à la mise : nous n'opérons jamais la transposition qui nous ramè­nerait de l'image au réel. Nous ne nous disons pas qu'à maints modèles, nous ne prête­rions pas attention si, par un jour maussade, nous les croisions dans la rue. Nous te­nons pour vrais cette image chaleureuse, ce nimbe diffus : une photographie n'est-elle pas l'objectivité même ? Et pas davantage ne nous vient l'idée que si elle nous voyait réellement, nous n'aurions pas la moindre importance à ses yeux : n'est-ce pas nous qu'elle a distingué, qu'elle regarde fixement ? Et c'est ainsi qu'on nous entraîne à  inférer, du charme de l'entremetteuse, l'excellence du produit.
Se vendre pour faire vendre, utiliser ses appas pour servir d'amorce, telle est la fonction de la femme qui pose ici avec complaisance ; la publicité osant les rapprochements les plus saugrenus entre ce corps et ce qu'il valorise par une sorte d'irradiation. Qu'il s'agisse de voiture, de parfum, de Champagne ou d'ustensile, l'expérience prouve qu'il n'est pas de présentoir plus efficace, d'écrin – celui du sexe, en définitive – mieux propres à rehausser ce qu'on lui confie. Ce qui exclut d'associer le produit à un modèle féminin d'âge indéterminé, qui eût à peine pris le temps de se coiffer.
Au vrai, les créatures des magazines, des affiches, font plus ou moins office de miroir pour la femme commune. Et d'abord, elles sont femmes comme elle. Plus jeunes ? Plus belles ? Mais qui pousse la cruauté envers soi jusqu'à se voir sans la moindre indulgence ? Surtout, dans l'inconscient, une voix vous murmure qu'à se procurer le produit vanté, on ob­tiendra du même coup un peu de l'éclat, de la belle santé, de l'assurance, qui émanent du modèle. Celle qui feuillette le périodique n'est pas assez sotte pour croire que le seul achat de cette lingerie, de ce chocolat, suffit à vous donner l'air radieux et la peau ambrée dont la femme de l'image fait parade ; que se faire offrir cette voiture ou un diamant « éternel » vous apportera une félicité indéfinie : il reste qu'un lien de cause à effet s'esquisse entre l'objet et le bonheur affiché.
Personne ne se dit que ce sourire de façade couvre une condition analogue à la nôtre ; que le masque arraché, on retrouverait, sur un visage terne, l'ennui et les soucis qui nous sont propres. L'illusion nous est nécessaire. Elle sert d'antidote aux femmes qui, chaque jour, se mesurent aux tâches serviles. Ainsi s'établit une sorte de consensus entre celle qui a posé et qui, selon toute apparence, a la chance délectable d'être femme, et la lectrice ordinaire encline aux nostalgies.
Hommes, nous ne priserions, au féminin, que jeunesse, beauté, attraits ? Qu'il s'agisse d'acheter ou de se faire offrir, de séduire ou seulement de se plaire, les femmes n'accorderaient aucun crédit au message d'une ouvrière, d'une ména­gère semblables à elles-mêmes. Tandis que cette fille à la peau sans défaut, avec des ombres, des reflets à leur juste place, dans leur exacte étendue comme autant de caresses qui vous gagnent à seulement la regarder ; cette fille qui respire l'aise, la disponibilité, qu'il ferait bon, à son exemple, être quelqu'un à qui tout va, et qui n'a pas plus de soucis de peau ou de poids, qu'elle ne connaît de migraines ou de jambes lourdes... « Je sais n'avoir ni sa grâce, ni sa minceur, mais peut-être qu'à l'imiter dans ses goûts, ses choix... »
*
A suivre









1er mars 2018 "CORPS FEMININ QUI TANT EST TENDRE..."

CHAPITRE IV
µ
 sans pouvoirs ?
*
*
De la souveraine à la servante, passerions-nous de « plein pouvoir à sans pouvoir », pour reprendre un titre de Giraudoux ? Mais la banale expression de maîtresse de maison, déjà, suppose l'exercice d'un pouvoir : celui d'ordonner, de régenter un domaine. Une charge qui échoit parfois à de redoutables « fées du foyer » – de celles qui bornant leur ambition à sans cesse tenir à l'œil meubles et objets, sols, murs et fenêtres, font peser une véritable tyrannie sur un entourage accusé de perpétuelle négligence.
Il est surtout des dévouements sans borne, plus ou moins ostentatoires, qui aliènent ceux qui en sont l'objet. Il n'y faut qu'une certaine façon de se rendre indispensable, irremplaçable, en laissant flotter un implicite : « Que deviendriez-vous sans moi ? » Des femmes y excellent, dont la pesante sollicitude entrave, étouffe ceux qu'elles « aiment » – d'un amour dont elles font un savant usage en le donnant ou le retirant à 1'enfant, selon sa conduite. À quoi suffit une remarque en appa­rence anodine, émise comme en passant, mais qui suffit pour s'éprouver fils ingrat ou « mauvaise » fille.
Elles mettent, au service de « l'ignoble chantage de la tendresse » que dénonce Camus, une disposition de nature qui laisse l'homme et l'enfant désemparés : le don des larmes. « Faut-il, se dit l'homme, que sa douleur soit vive, à en juger par ce qui, moi, m'arrache des pleurs !... Je suis une brute de l'avoir poussée à cette extrémité. » (À moins qu'inflexible, il n'ait la surprise de voir bientôt les larmes se tarir pour faire place à la hargne et à un réquisitoire en règle.)
Sans pouvoir, la servante ? Que de fils et plus encore de filles n'auront jamais conquis leur autonomie, leur identité ; n'auront pas épousé la personne aimée, embrassé la carrière de leur choix ! Sans même qu'on ait recours à des défenses explicites, un insidieux usage des larmes sapa leurs velléités d'indépen­dance, d'éloignement du foyer, et les persuada de leur dureté, de leur égoïsme, s'ils passaient outre aux prières !... Sans pouvoir, l'épouse serve ? Sauf celui de l'être possessif qui, au nom de l'amour, vous désarme, vous enveloppe, vous englue, vous dissout.
Sans pouvoir mais sachant dissimuler, feindre, ruser, louvoyer, circonve­nir ; ce qui est certes user des armes dont on dispose quand, faible et dépourvu d'appui, on doit affronter la force physique ou l'injonction. Des millénaires de sujétion ayant appris aux femmes à plier pour ne pas rompre, se trouverait-on en présence de caractères acquis ? Il ne manque pas, en tout cas, de femmes qui se montrent sans nécessité méandrines dans les actes de leur vie ; qui ont le goût et la science de l'intrigue ; que l'immérité comble par-dessus tout ; que la duplicité laisse sans états d'âme.
Elles sont sans pouvoir mais savent assez bien jouer de leur faiblesse et la convertir en force. Qui a vu les mines de certaines, qui a entendu leurs exclamations convenues de surprise, de saisissement et d'admiration qui leur tiennent lieu de reparties, sait que des femmes choisissent de se comporter en éternelles enfants, fraîches et naïves à souhait, et que tout émerveille.
Ce qui est avoir estimé les pouvoirs sur l'homme de la puérilité. Comment l'enfantine fragilité qui paraît en ce désarmant babil, n'éveillerait-elle pas son instinct de protection ? Il se doit de mettre sa force au service d'un être aussi démuni, face aux rigueurs de la vie. Et c'est ainsi que s'établissent des rapports d'aimable tyrannie assez semblables à ceux que  les enfants savent si bien instaurer avec des parents débonnaires.
*
Une enfant. Ce qu'on prend sous son aile est une enfant. Cependant qu'à l'instinct de protection, un autre se mêle, ce que n'ignorent pas les femmes. Le sexe ne tiendrait-il en soi qu'une place mesurée dans leur vie, qu'elles n'y penseraient pas moins avec constance, à seulement pressentir l'importance qu'il revêt aux yeux de l'homme. De celui qu'elles aiment, mais de tous les autres encore. Quand les conduites, les mœurs, les écrits, les images, vous persuadent que votre sexe filigrane nos pensées de mâle, force est bien de régler son attitude en conséquence, quitte à s'agacer, à s'indigner, d'être objet de désir.
La sexualité de la femme est d'attente, d'accueil, de réception. Une pose provocante la rend manifeste, mais, par nature, elle s'intériorise ; les intumescences sont bien enfouies, les fantasmes tenus en lisières. Celle de l'homme, impulsive, agressive, centrifuge, tire de nos compagnes une surprise souvent nuancée de condescendance, devant des comportements d'affamé.
Il reste que l'exemple général, le bénéfice escompté, vous invitent à composer avec ces mœurs, pour étranges ou aberrantes qu'elles vous semblent. – « Puisqu'il aime tant me dévêtir, que ma lingerie l'excite, que ma nudité l'éblouit et lui fait des mains fébriles, une voix détimbrée ; puisqu'il se montre avide de m'étreindre, me pénétrer, autant y consentir pour maintenir entre nous la concorde, pour le profit que j'en retirerai, pour l'enfant que je désire … »
Que l'homme n'oublie jamais qu'à être importunée, voire agressée, la femme prend la mesure de la convoitise dont elle est l'objet, du parti qu'elle en peut tirer ! Les meilleures s'interdisent de recourir à leurs appas ; elles voient, même, dans la beauté, moins un atout qu'un embarras sur la voie de leur accomplissement intérieur. Beaucoup, pourtant, ont une trop vive conscience de posséder un bien dont l'homme ne saurait se passer, pour que leur conduite n'en soit pas infléchie. Et sans doute pouvons-nous en jouir de force, mais son usage accoutumé se concède par une sorte de contrat, tacite ou explicite, qui s'assortit de compensations modiques dérisoires ou fastueuses selon les circonstances.
Le jeu serait égal si nos compagnes avaient, du sexe de l'homme, un besoin aussi primordial, aussi instant. Mais pour une minorité qui vit, en ce domaine, en état de dépendance, la plupart de leurs congénères – par constitution, éducation, calcul – ont bel et bien les pouvoirs du possédant par temps de famine.
Nulles mieux que les favorites de l'Histoire où brillent des noms tels que ceux d'Agnès Sorel, La Montespan, La Pompadour, n'ont saisi l'ascendant qu'on peut exercer sur un souverain qui mendie vos faveurs. Gouvernant leurs instincts, gérant leurs grâces, elles mirent leur beauté, leur sexe, au service de leur ambition qui était de régner – fût-ce dans l'ombre.
C'est qu'il est grisant de l'emporter, de supplanter, de se maintenir, souvent hors de tout mérite. Outre les honneurs et les richesses qui vous échoient, cela vous permet d'obtenir la disgrâce d'un authentique serviteur de l'État qui vous blâme en silence.
Au vrai, nombre de femmes, en des millénaires de sujétion et d'asservissement, surent, de mille manières, transformer leur statut d'objet en celui de sujet ; et d'abord parce qu'elles détenaient cela qui, représente, pour l'homme, le délice en sa démesure, issue et dépassement confondus.
Jouant à l'occasion de leur infériorité physique, elles résistèrent à la façon du roseau. À la force péremptoire, elles opposèrent, qui travaillait comme pâte sous l'apparente passivité, la virulence à dents serrées de la rancune et de la détestation. Chaque fois qu'un couple s'édifia selon des rapports de maître et d'esclave, celle-ci en secret l'emporta, ne fût-ce que pour tout savoir de son maître et pour avoir dressé, face à sa parole de médiocre et de pleutre, une inexpugnable citadelle de silence, d'où l'épier par des meurtrières étrécies de lucidité.
Les entraves que sociétés et religions ont mis ou mettent encore à l'autonomie des femmes ; la hargne, les humiliations, les brutalités domestiques qu'elles essuient, et jusqu'au viol et au meurtre, dénoncent la peur de l'homme en présence d'une force qui lui est impénétrable et dont il sait ne pouvoir venir à bout. Et quand il a conscience de se conduire en oppresseur, il perçoit ou pressent toute la densité de ce noyau de rancœur, d'amertume, d'aversion indéfiniment tues, de ce rognon de silex, autour duquel s'organise celle qu'il asservit.
Quand il nous faut compter avec le for intérieur d'un homme, nous disposons de références : de même sexe, nous savons nos communes faiblesses et les défauts de nos cuirasses ; dans l'antagonisme même, nous pouvons nous entendre. Mais quelle prise avoir sur cette concrétion de mutisme, sécrétée par qui nous est inconnue et ne relève ni de notre  logique, de nos impératifs, et ni de nos modes de sensibilité ? Comment se soumettre le réduit où elle se réfugie sous les vexations, les emportements, les cris ; sous une tyrannie qu'elle accepte avec une inquiétante résignation – ô soudaines traîtrises des eaux qui dorment, ô fonds ténébreux où sûrement grouillent des monstres ? ...
« Faibles femmes... » L'expression, à l'évidence, veut qu'on la nuance. Garantes de la vie, de la survie, elles font mieux que nous face à la maladie, aux épreuves, aux privations, aux drames, aux deuils. Le dénuement, la ruine, la faim de ceux qu'elles ont en charge, exacerbent leur ingéniosité ; les hordes guerrières qui les foulent, les saccagent, découvrent tôt ou tard la puissance de régénération des survivantes. Dans le combat perdu d'avance du quotidien, elles sont la résistance à l'usure ; elles sont l'endurance, au point parfois de prendre rang parmi les bêtes de somme.
Elles sont encore, pour parvenir à leurs fins, l'entêtement même. Celui des sai­sons à reparaître, des sources à couler, de l'arbre à monter la garde. Et comme elles ont l'expérience des brusqueries de l'homme, de ses emportements d'enfant rageur dont on contrarie le caprice, elles optent pour la patience de la nappe d'écume qui, à bas bruit, ronge et sape. D'instinct, elles croient aux vertus des voies obliques ou sinueuses, et elles choisissent le contournement. Les plus rouées renchérissant sur les reproches subis afin d'affermir leur singularité et nous devenir plus étrangères encore.
Faibles femmes ? Mais quelles forces en migration ne les empruntent ? On pense aux fluides appelés par le sourcier – ou le sorcier noir ; à ce qui s'insinue entre deux assises rocheuses ; à ce qui dérive à la surface des marais ; se coule sous le couvert des fougères, ou frôle sans fin les grèves. Sans parler de cet affût de son propre sang, durant la meilleure part de sa vie ; de l'attention au viscéral qui lui en vient. Ni de ses accointances avec la part féminine de la création, les prairies aux herbes hautes, les ombres qui s'allongent sur la terrasse au soir, les premières et lointaines semonces de l'orage, dans la senteur du foin qui sèche …
Faibles femmes ? Toutes-puissantes, au vrai, de notre soif d'elles ; de nos nostalgies d'un climat d'enfance qui fait, des gracieuses, des bénévoles – des savoureuses ! – son domaine d'élection.
*
 *
A suivre



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