* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


samedi

15 décembre Ecrire au féminin VII, Textes (2)



 ECRIRE AU FEMININ VII   
 *
 TEXTES (2 )
*
EN MARGE
DES
« MÉMOIRES D'UNE JEUNE FILLE DÉRANGÉE »
 *
Il est des personnages, des artistes, des écrivains, sur lesquels on a tant écrit, que la plume vous tombe des doigts à la pensée d'ajouter aux gloses dont ils furent l'objet.
Ainsi de Simone de Beauvoir. Mais Michel Onfray l'ayant réduite à ses dimensions, dans son cours de «  Contre-histoire de la philosophie »1, je viens enfin de lire l'ouvrage qu'il cite à plusieurs reprises : Bianca Lemblin, Mémoires d'une jeune fille dérangée, Balland, 1993, et j'y ai trouvé ample confirmation des sentiments que m'inspiraient l'œuvre et la personne de l'auteur du Deuxième Sexe.
L'ouvrage de Bianca Lemblin relate l'amour passionné de la jeune fille pour son professeur de philosophie, Simone de Beauvoir. Laquelle, en bonne rabatteuse, la poussa de sa propre couche dans celle de Sartre – dont elle était la pourvoyeuse en chair fraîche. Il dit son effondrement, sa douleur, quand elle découvre, par le biais de publications posthumes (lettres, journaux, carnets des deux protagonistes), à quel point elle fut manipulée, et en quels termes désobligeants celle qu'elle vénérait convainquit, par jalousie, Sartre à se séparer d'elle – ce qu'il fit avec sa muflerie coutumière.
On pourrait douter de l'objectivité de ces « mémoires » si tant de citations de Michel Onfray prises dans l'œuvre publiée du célèbre couple, ne venaient corroborer les jugements de Bianca Lemblin quant à la duplicité, au cynisme, au machiavélisme de la philosophe. Alliés à un « farouche égoïsme », une « ambition dévorante », un « égocentrisme infantile ». Telle nous apparaît, en maintes circonstances, celle en qui ses dévots voient un parangon de véracité, d'authenticité. Il n'y manque même pas « la violence quand elle se sent menacée », des velléités de racisme envers les Arabes (cela est sensible dans ses lettres à Nelson Algren) et envers les Juifs – ce que perçoit Bianca, d'origine juive. Cette phrase : « Castor [S. de B.] s'accommodait aisément du mal qu'elle faisait aux autres » résumant assez bien sa conduite envers son élève, bon exemple de « ce qu'on jette quand cela vous devient inutile. » (Bianca aurait pu ajouter qu'elle avait la voix coupante de ceux à qui furent chichement départis tendresse, altruisme – et modestie.)
N'importe : on est, pour l'une de ses thuriféraires, « une femme qui fut dans sa vie et demeure dans ses textes une guerrière de lucidité, de l'élégance et de l'honnêteté intellectuelle, de la liberté » (« Les Temps modernes », janvier-mars 2008). Par parenthèse, il est plaisant de voir louer sa lucidité quand on sait les errements politiques du couple à l'égard du communisme, de Cuba, et de cette Chine maoïste à laquelle elle consacra un livre enthousiaste, La longue Marche !
Et la thuriféraire citée de se déchaîner quand parut le livre de Bianca. En substance : Quelle naïveté ou quelle prétention, chez celle qui se pose en victime ! Elle aurait dû savoir que l'on court certains risques à mêler sa vie à celle de gens supérieurs régis par une éthique à leur seul usage. Avoir été l'une des maîtresses de Sartre aurait dû lui être un suffisant titre de gloire. L'adulatrice avait d'ailleurs, dans le numéro des « Temps modernes » mentionné plus haut, défini ainsi la « philosophie » de son icône : « S'acharner à être heureux. Choisir et se choisir, quel qu'en soit le prix. Préférer, à tout, sa liberté, quel qu'en soit, là aussi, le prix. » Ce que devait déjà penser Mme de Merteuil des Liaisons dangereuses.
La fin justifiant les moyens, il suffit de savoir se donner bonne conscience. Une brillante intelligence, réputée, encensée, n'est pas astreinte à la morale du commun. On appartient, par l'esprit, à une caste supérieure qui a des droits ; ce qui justifie l'arrogance péremptoire dont on fait preuve, les libertés que l'on prend avec la vérité, quitte à s'empêtrer dans ses mensonges.
On a la diffamation aisée, le décri prompt et large. Camus en fit les frais, mais aussi bien les écrivains auprès de qui Simone de Beauvoir aurait pu prendre des leçons de style.
On est boulimique de paysages, de monuments, d'œuvres d'art, ainsi que l'attestent les volumes des mémoires, mais comme on est dépourvue de toute sensibilité, hormis pour son moi, mieux vaut consulter un guide touristique si l'on veut se faire quelque idée de… ce qui vaut le détour.
*
« On ne naît pas femme, on le devient ». La formule fit le tour du monde des têtes pensantes. Et combien, certes, étaient disposées à l'entendre, dont la servitude était le lot ; qui avaient, de quelque façon, à souffrir de l'homme ! Combien vouées aux tâches subalternes, prises au piège du mariage, accablées de criailleries d'enfants ! Combien d'humiliées dont on avait bridé, étouffé les dons ; bafoué ou tranché net en elles toute résurgence de la dignité !…
L'assertion était irrécusable et méritait d'être gravée au fronton des établissements scolaires. Elle avait l'autorité du cogito cartésien, d'une vérité révélée. Il faut donc une belle dose d'inconscience à la cinéaste Agnès Varda pour déclarer, dans un entretien, que cette formule « est bonne pour les philosophes », et d'ajouter : « On naît avec un corps de femme […] Être femme, c'est être aimée avec un corps de femme. »
Une pensée assurément simpliste. Néanmoins, parce que, pendant mille pages une femme va écrire sur la condition féminine, il n'est pas superflu d'examiner dans quelle mesure elle était fondée à le faire.
Simone de Beauvoir n'aimait pas son corps. Nous ne songeons pas à le lui reprocher : est-il tant d'hommes pour se rêver pourvu d'un corps qui, de l'adolescence à la ménopause, est soumis à toutes les sujétions de la physiologie féminine et, de surcroît, l'objet de sollicitations importunes, humiliantes ; vulnérable à l'effraction ; gîte d'angoisse à la pensée de l'enfant conçu sans que le cœur y souscrive, et dont on ne se débarrassera qu'en risquant sa propre vie comme il advient encore en maints pays ? Un corps condamné à paraître plaisant puisque vous serez d'abord estimée sur votre apparence, n'importe votre richesse intérieure.
Il reste qu'à entendre disserter sur le sort des femmes, j'accorderais plus de prix à ce qu'en eût dit une Anna Magnani qu'à la compagne de Sartre, « piètre amant » dont Bianca, qui connut sa brutalité et sa goujaterie écrit : « Je sentais bien qu'il était incapable de se laisser aller physiquement, de s'abandonner à une émotion sensuelle. Son intelligence, toujours vigilante, brisait tous les liens entre son esprit et son corps. » (p.56). Celle qui écrit en 1949 Le Deuxième Sexe, et qui n'aime pas son corps, n'aura connu… l'orgasme vaginal qu'avec l'amant américain, si l'on en croit ses lettres à Nelson Algren. (Lequel ne reçut pas, pour autant, une page d'amante extasiée…)
On sait le pacte, imposé d'emblée par Sartre à Simone de Beauvoir, sur l'amour nécessaire et les amours contingentes – ce qui nous vaudra, de celle-ci, une apologie de l'amour libre. Quitte à découvrir que, toute femme libérée qu'on se proclame, on peut connaître les affres d'un sentiment bien bourgeois : la jalousie.
Le mariage est bien sûr condamné : il engendre l'ennui ; il instaure et légalise la domination de l'homme sur la femme. Que n'a-t-elle lu des confessions de lesbiennes avérées : toujours on y trouve une dominante et une dominée, et les scènes – d'abord de jalousie – y ont non moins de virulence qu'entre sexes différents.
Le corps, l'esprit de l'essayiste, exècrent la maternité : l'enfant, grevant une existence qui se veut libre, est un obstacle au plein épanouissement de vos facultés. Au demeurant, l'instinct maternel n'existe pas, ou il est le produit du conditionnement par la famille, les proches, la société.
Ici, entre autres, se manifeste une propension à la généralisation qui fut souvent reprochée à la philosophe. En bref, toute femme, à moins qu'elle n'ait été aliénée par l'homme, ne peut que souscrire à ses prises de position. Elle n'a rencontré, à l'évidence, de femmes qui, dépourvues de ses carences, s'accommodaient assez de leur corps pour rêver d'être aimées en femmes riches de leurs viscères spécifiques et résolues à en payer le prix. La récompense étant, outre de se réaliser à leurs yeux, d'accéder à des sensations à jamais refusées à l'homme.
Il fallait assurément donner conscience au peuple des femmes de son aliénation ; prêcher la conquête de son autonomie – en ne taisant pas que s'accomplir implique plus de refus que d'acquiescements et que, femme, les choix sont plus déchirants que pour l'homme, tant les meilleures de nos compagnes ont de possibilités, de ressources et, partant, d'aspirations contradictoires entre lesquelles devoir opter, à son corps défendant. (Combien de femmes « en vue », illustres, souscriraient au mot amer de Mme de Staël selon lequel, au féminin, « la gloire est le deuil éclatant du bonheur » !)
On ne demandait pas à Simone de Beauvoir de vouloir connaître, comme Simone Weil, la condition ouvrière. Convenons seulement qu'il est plus aisé de devenir femme quand, née dans la bonne bourgeoisie, ayant fait de fortes études, on est auteur fêté, sans souci d'argent, maîtresse de son corps, côtoyant le génie, voyageant à son gré – plutôt que paysanne des hauts-plateaux andins ou hôtesse de caisse dans un grand magasin.
On naît bel et bien femme, ou homme. Et quand la nature a balancé, c'est à grand douleur qu'adolescent, adulte, on s'efforce de conformer le corps, l'allure, à l'identité foncière que l'on croit sienne.
On naît femme et on le devient, par le complet accomplissement de vos dons, de vos desseins, dans la mesure où, à résolution égale (le statut d'objet a tant de séduction !), les circonstances, les mœurs, les lois des hommes, n'y mettent pas obstacle. Ou ce sera au péril de votre vie.
La cause des femmes méritait une avocate qui ne fût pas une infirme du cœur et des entrailles, mais une essayiste ayant la sensibilité, l'équité, la hauteur de vues, la rectitude de vie, d'une Marguerite Yourcenar.
Dommage : il y fallait quelque noblesse ; nous n'eûmes droit qu'à la roture entachée de vulgarité sous-jacente ; on attendait un constant bonheur d'expression, hommage à « la faveur d'être femme » : on nous servit l'une de ces proses tout unies qui nous importent moins, dès le lendemain, que sur l'instant.
__________________
   1 Publiée, en CD, par Frémaux et associés
    2 Voir en annexe 
    3 « Je n'aime pas l'opposition des sexes. Je trouve qu'il y a déjà assez d'oppositions dans le monde sans y ajouter celle-là. Je vois les hommes et les femmes complémentaires. Je ne les vois pas devant nécessairement s'opposer … » (Entretien avec Claude Servan-Schreiber, « F.Magazine », mars 1980)
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ANNEXE
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Extraits d'une lettre de Sartre à Colette Gibert [début 1940?] proposée dans un catalogue d'autographes :
« Je ne t'ai jamais aimée, je t'ai trouvée physiquement plaisante quoique un peu vulgaire, mais j'ai un certain sadisme que ta vulgarité même attirait un peu. Je n'ai jamais – et cela du premier jour – entendu avoir avec toi autre chose qu'une brève aventure.  […]
« J'avais décidé que cette histoire finirait le 1er octobre et tu le savais. […] Depuis longtemps le goût que m'avait inspiré ta personne était tombé, on se lasse du sadisme et de la vulgarité. […]
« Tu dépeins complaisamment nos rapports physiques et tu donnes des détails à faire rougir. Où les as-tu pêchés ? Dans des livres spéciaux ? Je ne me souviens pour ma part que de quelques premiers feux qui venaient surtout de mon sadisme et qui s'éteignirent vite. […] »
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jeudi

1er décembre L'ECRITURE AU FEMININ, VII, 1.



l'écriture au féminin
 **
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vii   textes (1)
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Une lettre
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Monsieur,
Je lis peu mes contemporains : les « classiques » ont tant à nous dire ! Mais une amie m'ayant communiqué votre diatribe contre les « érivaines », je me suis écriée : « Cette charge en règle est d'un misogyne ! » J'étais donc bien décidée à vous dire votre fait, car nous sommes dénigrées à peine entrons-nous en compétition avec vous ! Est-il , au reste, de nos jours, tant d'hommes de lettres qui sachent qu'« écrire est un art » ?
Je viens de lire deux ouvrages d'écrivaines des plus notoires, et je vous communique mes notes de lecture. Elles vous rendront justice. Vous en excuserez la crudité : je me suis mise au diapason !
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Le Marché des amants          
Une pauvreté de vocabulaire désolante (combien de mots ? 200 ? )
Une platitude d'écriture abyssale ; par exemple, dans certaines pages, prises au hasard, j'ai noté 25 « je » (p. 66), 20 (p.80), 14 (p.209). (Pour être dans l'autofiction, on y est !) Cependant que les  « il » surabondent : 19 page 7, 13 page 10…
Ni imagination, ni émotion, ni délicatesse dans les propos ; dans le fond : on se masturbe, on suce, on coïte, sans commentaires. Le dire tout crûment suffit bien !
Ni grossier, ni pervers, cet ouvrage est seulement d'une vulgarité continue, et affligeante.
Et de quoi parle-t-on ? De soi, et de quelques hommes dans des termes où ne passent ni respect, ni tendresse, encore moins les diaprures des sentiments amoureux, ou la fiévreuse variabilité des émotions. Les rencontres charnelles se font quasi sans rime ni raison, autres que celles de la pure animalité. Le monde d'alentour étant réduit à quelques ombres, en guise de faire-valoir.
Aucun projet d'écriture autre que la logorrhée insane de qui se raconte avec toutes les manifestations de sa pauvreté d'esprit et de cœur. Et quelque suffisance : « Voyez comme moi j'ose faire et dire les choses : en femme libre ! »
Bref. De quoi donner la nausée en pensant qu'il y a des éditeurs pour ça, des critiques pour ça, et des lecteurs pour ça : le zéro absolu de la nullité, en fait de sujet, d'écriture, de sensibilité, de sentiment.
Le livre finira dans le grand brasier que j'allume de temps à autre à la campagne pour détruire branchages et hautes herbes ; pas dans la cheminée : j'ai trop de respect pour elle !
 *
L'Amour, roman         
Là, on change un peu… d'optique, mais la vacuité du propos, elle, ne change guère !
Après les deux premières pages qui, de toute évidence, sont de provocation en même temps qu'elles font office d'hameçon pour le lecteur friand du genre, on se demande où l'on va. Mais apparaît La Rochefoucauld et, avec lui, les relations de couple dans l'Ancien régime. Le temps de comprendre que La Rochefoucauld n'est ici qu'un prétexte littéraire (cela fait bien ! on a des Lettres…) et l'on vous fait tourner en rond, dans un bavardage indéfini, sans aboutissement, dont l'amour ne sortira ni élucidé, ni grandi ; d'autant qu'il semble se réduire, pour l'auteur, à un appel des sexes qui trouverait le plus souvent son exutoire, de façon expéditive, entre deux portes…
Aucun apport strictement et finement féminin. On mime les écrivains masculins ; on fait cru comme eux, pour ne pas être en reste ! On reste à la surface de tout ; on « surfe ».  Aller chercher en soi ce qu'on possède d'essentiel, de spécifique, de très secret, d'irréductible, supposerait un attitude moins complaisante envers sa personne, et plus de travail ; cela exigerait temps et rigueur, toutes choses étrangères à l'auteur qui cède à la facilité avec une complaisance confondante.
Un peu au-dessus du zéro absolu de l'autre « roman » ? Oui, en apparence ; non dans le fond. Dans les deux cas, il y a accumulation de mots redondants, de phrases inutiles, de paragraphes entiers creux, plus vides que vides. On laisse aller sa plume avec une satisfaction de soi, une délectation, qui laissent pantois : est-il possible, quand on est un écrivain édité, lu, d'abdiquer à ce point toute rigueur ? La fréquentation de La Rochefoucauld n'est, à l'évidence, que superficielle ; elle n'a rien appris à l'auteur, puisque la concision des maximes n'eut d'effets sur sa propre écriture. Plus il concentre, plus elle délaye ! C'est de la poudre aux yeux, tout de surface ; glacé comme une vitre, lisse, neutre comme elle.
*
Et je ne dis rien de la… légèreté avec laquelle ces femmes livrent, dans leurs ouvrages, l'intimité de ceux qui leur furent proches. Pour moi, c'est là une manifestation de l'aspect foncièrement égocentrique, égoïste, très réducteur, de l'autofiction ainsi considérée. On déballe tout, sous prétexte que parler de soi conduit à parler des autres, et que la… vérité du propos ne saurait aller qu'avec une totale et radicale sincérité. Et tant pis pour les dégâts collatéraux, seraient-ils ravageurs… Que pèsent-ils, n'est-ce pas, en regard du moi… surdimensionné ? La « vérité » littéraire a ses impératifs !
Des livres haïssables  à tous égards, dont une lectrice sort humiliée.
Ah ! que vous aviez donc raison d'écrire que toutes les femmes ne se reconnaissent pas dans ces sinistres et dérisoires silhouettes !
Pour moi, qui ne dédaigne pas la littérature érotique, je continue à la demander à Lawrence, à l'Apollinaire des Lettres à Lou, au Claude Louis-Combet de Blesse, ronce noire et de l'origine du cérémonial.
La présente lettre n'appelant pas de réponse, je me borne à signer :
                                                                                                               Bénédicte
¶*
*
2   Sur la critique
 *
Les journaux littéraires  devraient être la digue opposée au gribouillage sans conscience de notre temps et au déluge de plus en plus envahissant des livres inutiles et mauvais. Grâce à un jugement incorruptible, juste et sévère, ils flagelleraient sans pitié chaque bousillage d'un intrus, chaque griffonnage à l'aide duquel le cerveau vide veut venir en aide à la bourse vide, c'est-à-dire au moins les neuf dixièmes des livres, et se mettraient ainsi en travers de l'écrivaillerie et de la filouterie, au lieu de les favoriser par leur infâme tolérance, qui pactise avec l'auteur et l'éditeur, pour voler au public son temps et son argent.
                                                                                                       Schopenhauer,
                                                                                       Écrivains et style, 1851.
 *
3
 *
– « Vous avez dit plusieurs fois que vous n'aimiez pas le roman du Moi, le roman subjectif, mais je pense que tous les romans contemporains sont en quelque sorte subjectifs ?
– Pas tous, pas les très grands. Mais comme il y a très peu de très grands, vous avez raison, presque tous les romans contemporains sont subjectifs, et c'est pourquoi je ne les lis pas. Au bout de quelques lignes, on s'aperçoit que l'auteur dit : "moi, je…", et je ne suis pas particulièrement intéressée dans ce moi, dans ce je. Et le livre, par conséquent, va au panier. »
                                                                                     Marguerite yourcenar
                                                                Portrait d'une voix, Gallimard, p.366.

*  *  *  

VOIX

J'ai, dans l'oreille, la voix de Colette, celle de Yourcenar, de Duras, interrogées par un journaliste ou un critique. C'était, pour elles, l'occasion et de nous éclairer sur leur dernier ouvrage, et de s'élucider elles-mêmes. Et l'on sent bien à leur parole posée, parfois hésitante; à leurs mots choisis avec le scrupule de l'écrivain soucieux de rigueur, que, par le biais d'une question, elles découvraient ou mettaient à nu pour nous un aspect de leur personnalité.
Il faut prendre garde aux voix. Certaines nous atteignent en n'ayant traversé, dirait-on, que des masses osseuses; et nous avons le souvenir de belles caqueteuses dont la tête nous semblait une coque vide où se fût agité, avec frénésie, un grelot. Les voix qui nous retiennent, et d'abord chez les femmes, procèdent d'un réduit charnel que nous ne saurions localiser mais qui a affaire avec les viscères. Par elles, se manifeste un moi chaleureux, indulgent, enclin à l'introspection
*
Nous voici entrés dans un temps de logorrhée universelle. S'édifie une Tour de Babel ayant pour assise toute terre habitée . Et comme chacun y est tout à l'urgence de se faire entendre de la multitude, vous ne pouvez délivrer votre message que dans la précipitation, par formulation elliptique.
Quand Gide, Claudel, Mauriac, s'entretenaient à la radio avec Jean Amrouche, le silence "des espaces infinis" ciselait leurs propos, l'échange relevant de la maïeutique. Certes, un Montherlant, un Chardonne, un Aragon, parlaient... comme un livre, mais les "grands entretiens" que j'évoque et que l'on jugea dignes de paraître en librairie, souffraient les hésitations, suspens, correctifs, retours en arrière. Deux esprits de bonne compagnie dialoguaient comme ils l'eussent fait... aux Enfers, environnés d'illimité.
Les femmes nous ont, à bon droit, fait grief de dédaigner leur parole. À présent qu'elle est partout recueillie, souvent avec faveur, peut-on espérer que les écrivaines interrogées ne nous donnent pas l'impression de la bouteille de mousseux que l'on débouche, ou celle de nous trouver en l'un de ces salons "où l'on cause" – où dévider à... "haut débit", à dents à peine desserrées, des propos qui nous font augurer une écriture à l'image de cette écume de mots?
Car nous nous souvenons de la pensée du poète Pierre Emmanuel, qui vaut si éminemment pour la femme: "Qui veut connaître un homme, qu'il écoute non les mots qu'il dit, mais la musique qu'ils font".   
*
*  *  *  *  *  *  *  *  *  *   



15 novembre 2012 L'ECRITURE AU FEMININ VI, 3.


L'ÉCRITURE AU FÉMININ
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VI  SEXE ET CRÉATION
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Aux misogynes d'hier qui assignaient aux femmes, en art, le rôle de pâles disciples, de suiveuses attardées ; qui les voyaient condamnées à la reproduction, quelques-unes, cependant, auront infligé le démenti d'une œuvre qui ne devait à personne. Dira-t-on, comme telle féministe, qu'elles furent « réduites à se désolidariser de leur sexe, à le mettre entre parenthèses, sous peine de se couper de la masse des œuvres écrites (...) » ? Des générations de lecteurs à l'oreille peu sensible ont pu attribuer à une femme les Lettres de la Religieuse portugaise ; mais qui songerait à créditer un homme, des Lettres d'Héloïse, des sonnets de Louise Labé, de l'œuvre de Sand, de Colette ou de Catherine Pozzi ?
À les lire, on ne doute pas, chaque fois, qu'une femme est là (non plus, hélas, qu'à lire Gérard d'Houville ou Gyp !), une femme unique et qui n'a rien renoncé d'elle-même, de ce qui est spécifique de son sexe ; une femme qui ruine la distinction entre ce qui serait plutôt de l'homme : la personne, la conscience, la création, la transcendance..., et ce qui relèverait de sa compagne : l'espèce, l'organique, la reproduction, 1'immanence. Et nul lecteur de bonne foi ne qualifierait ces œuvres d' « ouvrages de dames », alors même qu'il y trouve un regard féminin, une sensibilité féminine, un rapport féminin au monde, à la nature, à l'homme.
C'est que chacun des auteurs invoqués se forgea l'instrument unique, sans répondants, qui le mieux servait son regard, sa sensibilité : un style assez neuf pour nous imposer une vision, féconder notre mémoire, et qui possédât ce que Du Bos appelait « le naturel de la rigueur ». Mais à quelle œuvre importante de femme, au reste, ne s'appliqueraient ces lignes, où il loue l'écriture de Commentaire, de Marcelle Sauvageot : « Si l'intelligence est féminine, en cette acception positive où la qualité de la femme ajoute à 1'immédiateté et à la délicatesse des prises intuitives, l'usage en est viril par l'absence de toute complaisance. »
Bien loin que les femmes aient à se désolidariser de leur sexe pour se faire entendre, c'est leur qualité même de femme qui nous rend précieuses leurs productions dès lors que celles-ci ressortissent à l'art – et la restriction, certes, est essentielle tant à lire maints ouvrages contemporains, nous avons peu souhaité connaître plus avant les furieuses qui s'y exprimaient avec hargne, infantilisme et vulgarité ; tant nous les avons crues incapables de donner naissance à une grande figure féminine, de celles qui peuplent l'imaginaire. Il y faut un autre souffle, une autre carrure, quelque noblesse, un cœur qui ne paraît pas en de tels écrits – lesquels nous persuadent plutôt que leur auteur n'eut que ce qu'il méritait, et qu'il n'est vraiment pas étonnant qu'il ait été mal aimé.
L'art n'a pas de sexe, et il n'y a pas de littérature féminine. Il y a les œuvres qui relèvent de l'universel et les productions mineures ; il y a la littérature et puis, innombrables, les livres sans nécessité. Qu'on soit homme ou femme, il ne faut jamais, portant une œuvre en soi, que se donner jusqu'à l'extrême rigueur les moyens de l'amener au jour. Séraphine de Senlis a en elle un prodigieux monde végétal, floral, qui veut naître. Elle n'a pas appris la peinture ; elle ne dispose d'abord d'aucun appui ; elle est pauvre, solitaire – femme de ménage ! – et voilà qu'en recluse, quasi en hallucinée, elle nous donne une œuvre de génie. (Malraux lui-même, le misogyne, emploie le mot.)
Et ce, sans penser un seul instant à clamer : « Écoute ma différence » ou à revendiquer un art distinct, soumis à d'autres normes que celles de l'homme. Pas plus que ne l'avaient fait avant elle une Louise Labé ou après, une Marie Noël, une Colette, une Marguerite Yourcenar. Il leur suffit bien de manifester la spécificité d'un regard de femme et de nous l'imposer, irrécusable, par sa seule force, sa seule nécessité.
« Écoute ma différence » ? Quel homme, plus ou moins interdit devant un monde qui toujours lui restera fermé, quelque bienveillance qu'il ait pour lui, n'espère voir paraître une œuvre de femme lui révélant, avec une puissance torrentueuse, dans un style aussi efficace, définitif, que les plus grands, les arcanes de cet univers et jusqu'aux tréfonds du « continent noir » ? Quel, ne rêve qu'une femme déroule devant ses yeux, majestueuse, la coulée d'une vie de femme, en sorte que cette vie soit inoubliable, qu'elle accroisse notre constellation de figures féminines – jusqu'ici presque uniquement dessinées par des hommes, ainsi que vous nous le reprochez ? Par parenthèse, s'agissant de figures, quel ne serait pas notre bonheur de rencontrer aussi, dans une grande œuvre de femme, un personnage qui ne soit ni un inconsistant objet de rêves, ni le compagnon buté, brutal, grossier ou fat avec qui on règle ses comptes par fiction interposée. Seulement un homme considéré, rendu dans sa complexité, avec autant de sympathie, d'... inclination, que de lucidité.
Une telle œuvre verra-t-elle le jour ? Ce qu'on peut affirmer, c'est qu'elle ne sera pas écrite par une femme mesquine et agressive, et non plus par celle qui penserait qu'il suffit de prendre une plume et de s'épancher sans frein. Elle ne saurait naître que d'une haute et vaste vivante, aussi généreuse amie de l'homme que de soi, aussi cérébrale que charnelle, – et qui sache « qu'écrire est un art ».
Reste à se demander si, à posséder cette souveraineté de cœur, d'esprit, de chair, une telle femme ne préférera pas vivre plutôt que créer.
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Les Murmures de l'amour      
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L'amoureuse
Tu vas me revenir. Il faut voir, quand je suis sûre de toi, comme je marche, ouverte et néanmoins dense, le cœur au bord des lèvres – de quoi les hommes s'avisent. Il faut voir comme je brille et me cherche des reflets, des complices, parmi les femmes que je croise…
De tous les mots qui s'accordent à tes retours, celui-ci surtout m'agrée : l'embellie
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L'amoureux
Je voudrais dire le plaisir d'un grand rapide, de sa percée souveraine, de sa trajectoire rigide et moelleuse. On habite le cœur d'un ouragan canalisé, d'une flamme indéfiniment décochée… Mais ce n'est jamais si vrai, n'est-ce pas ?, que lorsque la course est orientée, qu'on se sait attendu, que l'autre est le terme du parcours.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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mercredi

L'Ecriture au féminin, VI, 2. 1er novembre 2012



L'ÉCRITURE AU FÉMININ
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VI  SEXE ET CRÉATION
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Outre les sujétions auxquelles elle fut et demeure soumise, les obstacles que les mœurs, la société, lui opposèrent, bien des raisons peuvent expliquer le semi-effacement de la femme dans l'art universel, et la pénétrante remarque de Borges mérite considération : « Les artistes veulent sauver l'essentiel et le faire exister dans leurs œuvres. Les femmes, par désespoir ou par résignation, croient qu'on ne sauve rien et suivent le fil du tragique. Ou bien elles vivent la vanité, ou bien elles savent que tout est vanité : de là leur impuissance fondamentale. »
Cependant, le véritable dilemme ne serait-il pas : créer ou vivre ? Celle qui entend écrire, peindre, sculpter, composer de la musique, doit certes se fermer à l'insidieuse voix de ses proches, à la pression de la société, se conjuguant pour la maintenir dans son rôle traditionnel de fille, épouse et mère. Mais elle doit plus encore résister à cette autre voix, insinuante à souhait, qui l'engage à simplement jouir du quotidien sans rien entreprendre de singulier, de hardi, d'ambitieux. N'a-t-on pas, en la circonstance, d'assez nobles justifications ? Entretenir un foyer est une œuvre de tous les instants ; une œuvre de sable sans doute, mais une œuvre. Porter, mettre au monde, élever un enfant, relève de la création et vaut bien la « maigre immortalité noire et dorée ».
L'âme, l'esprit, aspirent au dépassement ; le corps, le cœur, vous persuadent de rester dans le rang, de vivre modérément à l'exemple de vos proches et de tous les autres. C'est que la chair, le cœur, pressentent ce que la création a de farouche, de totalitaire, et qu'ils redoutent une solitude qui en est souvent et la condition et l'effet ; une solitude que vont aggraver la mauvaise conscience de qui est convaincue d'égoïsme, de dérobade, face à l'ordre établi, et les dédains, les railleries que rencontre une œuvre novatrice.
Créer ou vivre. Et justement, on aime la vie, plus que nous autres, hommes ; on n'en finirait pas, si toute latitude vous était accordée, de l'accueillir et de se perdre en elle avec gourmandise, à la faveur de la flânerie, de la rêveuse paresse, du sommeil tous pores ouverts. « Eh quoi, c'est à la vie fluide et légère et parfois savoureuse, qu'il faudrait renoncer ? Pour lui en substituer une, fruit de la réclusion, de la contention, qui se dérobe à vous à mesure qu'on la traque ; une vie hasardeuse, amère – et décriée ? Il faudrait abandonner la proie pour l'ombre ? La vie vraie, pour sa transposition, sa recréation – lesquelles se doivent d'être neuves et hautes pour être reçues ? Mais créer, c'est dire Non à tout ce pour quoi je suis faite ! C'est un acte contre nature devant lequel regimbe mon moi de femme toute-nature… »
Est-ce là forcer le trait ? Ce qui est promis au créateur de quelque sexe qu'il soit, c'est bien, en effet, une vie de renoncements, tête tournée vers le mur quand les autres laissent errer, se distendre leur regard au gré des spectacles ; une vie où l'on n'a pas même l'espoir d'en finir, un jour lointain, avec l'idée fixe qui vous habite et vous meut. Et cette vie où l'on n'y est pour personne, que pour l'hôte impérieux, exclusif, qui s'est institué votre seule famille ; où l' « on ne veut pas le savoir », qu'il s'agisse du beau temps, du voyage, d'une fête carillonnée, cette vie requiert tant d'opiniâtreté, de patience, de discipline ; elle entraîne une si authentique mutilation de la personne, que l'on comprend les refus délibérés ou inconscients, surtout quand les servitudes domestiques vous fournissent en alibis. L'homme, dites-vous, a brimé au long des siècles, votre désir de création. Sans nul doute. Mais savez-vous ce que représente le fait de se brimer soi-même indéfiniment ?
La part faite – considérable – à votre statut, aux circonstances, à l'hégémonie intellectuelle, spirituelle de l'homme, et si la création, chez les sœurs de Shakespeare, était aussi affaire de choix ? S'il y avait eu dans le passé, s'il y avait toujours, celles qui se résolurent à payer le prix, quel qu'il fût et quoi qu'il advînt, et puis les autres, velléitaires promptes à rendre tout un chacun responsable de leur propre démission, ou « écrivaines » qui crurent qu'il suffisait d'accueillir complaisamment ce qui venait sous leur plume, de mettre à nu leurs viscères, « de parler de là où on est femme, du fond du corps », ou qui, pour s'être dit : « Quel roman que ma vie ! », couchèrent celle-ci séance tenante sur le papier comme on la relaterait à sa meilleure amie ?
Il faut en revenir une fois encore à la Comtesse de Noailles parce que, rarement, dans un destin de femme, il y eut pareille conjonction d'éléments aussi propices à la réalisation d'une grande œuvre : une inspiration inépuisable, une flamme, une véhémence de bacchante, la familiarité des plus hauts esprits, la noblesse d'une âme « héroïque » hantée par le tragique de la vie, maintes fois gorgée de douleur autant qu'elle l'aura été de joies, et tout cela joint à la fortune, au loisir qu'elle permet, à la reconnaissance d'emblée de votre génie, à une considération quasi unanime…
Toutes les chances, vraiment, et ruinées par un abandon incontrôlé à l'inspiration ; par une présomption aussi qui faisait dire à la poétesse : « Barrès est le seul qui m'ait fait changer un mot, un vers » ; par une sorte d'impatience permanente, de commencer et de finir. (Ce qui nous fait rendre grâce à la nature d'avoir assigné à la grossesse une durée minimum : que de femmes, sinon, mettraient au monde un enfant bâclé, par ce même dédain des pouvoirs du temps !)
Les femmes dont l'œuvre traversa les siècles, celles de nos contemporaines qui dureront, ont senti qu'il fallait en art « tenir tête à son cœur » et d'autant qu'on était plus inspiré, plus naturellement effusif. L'expression du cri, du délire même, leur a paru mériter tous leurs soins afin d'en restituer la force et la vérité. Elles n'ont pas cru que la logorrhée tenait lieu de puissance verbale, ni que l'abus des néologismes vous rendait plus suggestif et le recours au trivial plus convaincant. Toutes comprirent, au contraire, que loin d'être entraves, obstacles, les conventions et les règles assuraient à l'expression du moi le plus singulier, voire le plus organique, un impact, une autorité que la veulerie dans l'écriture lui interdit. (Qui, mieux que Colette, nous aura révélé, dans le style le plus surveillé, les ténèbres du monde animal, les liens très obscurs entre l'homme et les bêtes familières ? Mais il est vrai qu'elle pouvait affirmer, sans crainte d'être contredite : « la seule vertu dont je me targue : le scrupule ».)
Les gênes, les « chaînes », se trouvèrent parfois dans la forme même – pour une Louise Labé ; ou dans une société, une culture, qui prisaient fort l'art d'exprimer le plus en disant le moins – pour une Mme de La Fayette ; ou encore, au siècle suivant, dans les prestiges d'une langue étincelante comme éclairs de fleurets. Puis un temps vint où l'inspiration se prévalut d'une source divine, où les formes s'assouplirent ou se brisèrent, où l'inflation gagnant les mots, la surenchère verbale seconda celle du sentiment. Et tout se passa comme si la cohorte des femmes auteurs qui, pour être peu enclines à la retouche sans fin, à l'émondage, pensèrent pouvoir s'autoriser la prolixité dans le discours, le laxisme dans la forme, ne gardant de l'art qu'elles imitaient que le plus faible, le plus corruptible.
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Les Murmures de l'amour       
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L'amoureuse
Que tes lettres savent donc me meurtrir d'allégresse, me briser avec précision !… Il n'est de leurs phrases, et jusqu'aux plus anciennes, qui, en moi, ne se mue en remous, qui ne me persécute.
Est-ce pour cela qu'il m'arrive de ne garder en pensée, de tes pages, que la dernière phrase, qui les résume en majesté – épigraphe, exergue dont je filigrane le ciel ?
L'aimé ? l'amant ? Il est celui qui peut vous faire rêver une semaine et davantage avec trois mots sur une feuille. Quel écrivain y prétendrait ?
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L'amoureux
J'ai repris ta lettre dans un ralenti de cinéma, pour mieux surprendre, analyser le mouvement de ton cœur. Avec, par intervalle, une approbation à mi-voix qui t'eût fait sourire –l'aimé et le destinataire opinant à la fois de contentement devant un monde en ordre.
Tu sais si bien choisir parmi nos souvenirs – entre ceux qui ont l'éclat de nos draps et ceux qui rayonnent un silence végétal – que ta lettre m'irradie la face.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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lundi

ECRIRE AU FEMINI VI, 15 octobre 2012.



La chronique « En marge du site de Mireille Sorgue » (juin 2009-juin 2010) a été complétée par deux chapitres (le dernier, ce début d'octobre). Afin de ne pas les dissocier de l'ensemble de la chronique, dont ils font intégralement partie, ils ont été insérés dans le blog mis en ligne le 1er juin 2010. Ils sont consultables en allant dans les archives du blog, en mai 2010 (date de la préparation du blog du 1er juin).
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L'ÉCRITURE AU FÉMININ
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VI  SEXE ET CRÉATION
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Pour expliquer la faible part des femmes dans l'art universel, les misogynes ont invoqué des déficiences d'ordre intellectuel inhérentes au second sexe. Mais si cette prétendue moindre aptitude avait son origine au plus profond de l'être ?
L'expression d'homme de désir semble un pléonasme à la plupart des femmes. L'homme est cet étranger avec qui on est amenée à vivre, mais qui vous étonne par ce que son désir a d'obsédant et d'impérieux, au point de vous le faire apparaître en perpétuel quêteur, voire en mendiant ; et le conduire parfois à la violence et au meurtre. Pourtant, malgré ce que le désir implique de dépendance, d'aliénation, il faudrait bien le célébrer comme une dimension primordiale de l'humain, et dire quelle vie délectable on lui doit, sans commune mesure avec celle que suscitent en nous le soleil, un mets délicat, un moka brûlant.
Stagnante, d'une fixité hypnotique et néanmoins traversée d'élancements, voici, perçue de ses racines fasciculées jusqu'à son efflorescence par toute notre la peau, une vie massive, pourpre, chaleureuse, travaillée de ferments.
Est-il autant de femmes que d'hommes « cherchant qui dévorer » ? Autant, qu'aveugle le sang, que torture le sel jusqu'à les pousser à des actes délictueux ? Nos compagnes seraient-elles au même degré que nous asservies à la chair, que subsisterait une différence fondamentale.
Si le désir féminin pouvait accéder à une claire formulation de soi, nul doute que ce serait en termes de capture, d'engloutissement, d'assimilation : « Ah ! balbutie le corps, que j'engouffre, absorbe, anéantisse en moi ! Que le sang, la chair, précipitent, s'effondrent sur eux-mêmes dans une implosion de sucs, une ruée convergente de clarté onctueuse ! Qu'on me renfonce au plus profond ! C'est à ce prix que se résorbera  en moi l'impatience de mon sang ».
À ce désir qui s'intériorise, se réfléchit sur soi dans la caisse de résonance du ventre ; à ce désir qui fait augurer d'une mer intérieure de plaisir, s'oppose chez l'homme une pulsion qui le pousse à sortir de lui-même. Chez lui aussi, le sang est mobilisé mais, tout orienté vers le dehors, il aspire à l'issue : c'est par une sorte de sursaut, de fuite en avant, c'est par l'assaut, que sera rompu l'enfermement. Loin de se faire, comme chez la femme, cratère à l'infini se creusant, se dérobant, sa chair veut saillir, culminer, comme si le lieu du plaisir, de l'apaisement qu'elle en espère, ne pouvait être qu'extérieur.
Or, le plus grand art, qui se nourrit volontiers de nostalgie, procède essentiellement d'une volonté de survie, et ses racines se confondent avec celle de la sexualité. Il n'est de création majeure qui ne prenne figure d'exutoire, d'échappée, pour l'être soumis au tourment du dépassement, à la soif de pérennité. L'œuvre, au sens le plus large, est la réponse que certains donnent aux instances, aux pressions, d'un surabondant Éros, pareil à « un foyer brûlant et toujours ravivé » qui suscite ce « mouvement du non-être vers l'être » dont parle Platon. En elle, doivent se percevoir, contagieux, le surcroît d'être qui lui donna naissance, le déploiement d'existence qu'elle représente, la prescience du transcendant qui la hausse au-dessus des réalisations communes.
Mais cet Éros excessif qui veut se projeter au-dehors, si bien moins de femmes que d'hommes le possédaient – parce que femmes et donc plus tournées vers le dedans, formées, conformées à l'accueil charnel, enclines à la passivité dans l'amour ? Une chose est de se dire sensible à la beauté d'une fleur, d'un paysage, d'une musique, d'un coucher de soleil, de s'en pénétrer – ô poreuse ! – et d'en jouir ; une autre, d'être tourmentée par elle, et requise, et sommée, dans l'urgence, la douleur, d'exprimer, traduire, transfigurer, sauver.
On peut dénoncer chez l'homme son obsession sexuelle. Reste qu'au-delà de la stricte activité érotique, c'est à cette pulsion, à cette force centrifuge qui le jette hors des limites du corps, que nous devons les plus hautes conquêtes de l'esprit, les créations qui bravent le temps et conjurent les menées de la mort, et qui sont comme autant d'excroissances infinies de l'être, précieuses d'une semence unique, propre à féconder indéfiniment.
Ce que nous savons de la plupart des femmes qui marquèrent les arts et les lettres nous les montre sensuelles à l'égal de l'homme et comme lui le champ clos d'une impérieuse sexualité. Pour s'en tenir au domaine français, la poésie d'une Louise Labé ou d'une Catherine Pozzi, la prose d'une Héloïse, d'une George Sand, d'une Colette, d'une Marguerite Yourcenar, la sculpture d'une Camille Claudel, la peinture d'une Leonor Fini, sont nées de grandes vivantes, ardentes et à jamais inassouvies.
« J'étais femme et suis devenue homme » déclare Christine de Pisan parlant de son expérience d'écrivain. Veut-elle nous dire que l'écriture lui vaut la considération dévolue aux hommes, ou bien plutôt qu'elle a découvert en elle des vertus, des pouvoirs, qu'elle pensait être l'apanage de l'autre sexe ? Le mot confirmerait alors l'idée couramment admise de la nature androgyne du créateur. Chacun est peu ou prou bi-sexuel. Le grand créateur l'est à un tel degré ; il déborde, dépasse à ce point son sexe physiologique, qu'un romancier, un dramaturge créent des héroïnes en qui une foule de femmes se reconnaissent, et qu'une romancière put écrire les mémoires d'un empereur romain mieux qu'il ne l'eût fait. Il n'est d'ailleurs que d'interroger le visage des femmes invoquées plus haut, ou celui d'une Rosa Bonheur, d'une Germaine Richier pour y déceler une vigueur, une autorité, voire des traits, qu'on peut bien qualifier de virils.
L'art le plus haut n'a pas de sexe parce qu'en lui se réalise la fusion de 1'animus et de l'anima. L'art n'a pas de sexe et féminine est tout bonnement la littérature où la femme auteur est demeurée « de son sexe », enfermée en soi, enfouie dans l'organique, prisonnière de son narcissisme, engluée dans ses sentiments, manquant et de recul et de force et de constance, quand le créateur s'oublie, se dédouble, se projette, se ramasse sur soi pour se quitter à nouveau, soit qu'il ait formé le projet de se voir se voir, ou celui de donner vie à une créature, ou encore de revivifier, de réincarner les interrogations fondamentales : « Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? »
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Les Murmures de l'amour       
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L'amoureuse
Quand je me fais solitaire dans nos promenades, quand je feins de t'oublier un instant, c'est pour mieux ressentir tout ce que signifie : « Être ensemble. »
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L'amoureux
J'ai connu la boulimie et la frustration de l'amateur de musées ; et voici que ceux-ci ne me sont plus de rien : quelle galerie de peintures ou de sculptures m'accablerait de grâce comme tu le fais sans cesse ?
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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Ecrire au féminin, V. 1er octobre



Écrire au féminin
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v de l'Érotisme au fÉminin
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« Je censurerai sans hésiter la véritable pornographie… On la reconnaît à ce qu'elle offense gravement le sexe et l'esprit humain. »
                                           D.H. Lawrence
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Anaïs Nin déclarait dans « Playgirl » d'avril 1974 :
« Une chose est certaine, c'est que la littérature érotique des hommes ne satisfait pas les femmes ; qu'il est temps d'écrire la nôtre et de dire que nos besoins, nos rêves, notre comportement dans l'érotisme sont différents. Des descriptions sans mystère ou un langage cru n'excitent pas la plupart des femmes. […] Elles n'acceptent pas l'agressivité et la brutalité du langage [ des premiers livres d'Henry Miller ]. » [ La femme ] « est plus sensible aux caresses, sa sensualité est rarement aussi franche, aussi immédiate que celle de l'homme. L'atmosphère doit se remplir de vibrations dont l'éveil provoquera l'éclatement final. » […]
« La plupart des femmes avec lesquelles j'ai parlé sont d'accord pour créer une littérature érotique absolument distincte de celle  de l'homme. Cette dernière n'a aucun écho chez la femme. »
« Le fait que les femmes écrivent sur leur sexualité ne signifie pas leur libération. Elles adoptent, pour en parler, l'attitude basse et vulgaire des hommes. Elles n'écrivent pas avec fierté et bonheur.
« La véritable libération de l'érotisme viendra lorsque nous accepterons le fait qu'il y a un million de facettes, un million de formes, d'objets, de situations, d'atmosphères, de variations. »
Et dans le mensuel « F.Magazine » de mars 1978 :
« Si les femmes n'aiment pas que l'amour soit réduit à la "chasse", à la poursuite, c'est à elles de montrer aux hommes ce qu'elles préfèrent et de leur apprendre, comme dans les contes orientaux, les délices d'autres jeux de l'amour. Pour le moment, leurs écrits sont négatifs. Ils ne parlent pas de ce qu'elles n'aiment pas.
[…] Il existe des hommes qui voient l'amour comme nous le voyons. Mais, avant tout, nous devons savoir qui nous sommes, quels sont les secrets et les caprices de notre imagination.
[…] Le fait que les femmes écrivent sur la sexualité ne signifie pas leur libération.
Elles adoptent, pour en parler, l'attitude basse et vulgaire des hommes. Elles n'écrivent pas avec fierté et bonheur. »
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Anaïs Nin parlait en orfèvre. Impécunieuse, elle avait écrit, avec Henry Miller, à « un dollar la page », des nouvelles érotiques pour un riche amateur, anonyme, jamais rencontré, qui très vite lui enjoignit par téléphone de mettre « moins de poésie » dans ses textes.
À la fin, lassée, elle dit, dans son Journal, lui avoir adressé la lettre suivante :
« Cher Collectionneur. Nous vous détestons. Le sexe perd tout son pouvoir et toute sa magie lorsqu'il devient explicite, abusif, lorsqu'il devient mécaniquement obsessionnel. C'est parfaitement ennuyeux. Je ne connais personne qui nous ait aussi bien enseigné combien c'est une erreur de ne pas y mêler l'émotion, la faim, le désir, la luxure, des caprices, des lubies, des liens personnels, des relations plus profondes qui en changent la couleur, le parfum, les rythmes, l'intensité.
[…]
« Le sexe ne saurait prospérer sur la monotonie. Sans inventions, humeurs, sentiments, pas de surprise au lit. Le sexe doit être mêlé de larmes, de rires, de paroles, de promesses, de scènes, de jalousie, d'envie, de toutes les épices de la peur, de voyages à l'étranger, de nouveaux visages, de musique, de danse, d'opium, de vin.
« Combien perdez-vous avec ce périscope au bout de votre sexe, alors que vous pourriez jouir d'un harem de merveilles distinctes et jamais répétées ? Il n'y a pas deux chevelures pareilles, mais vous ne voulez pas que nous gaspillions des mots à décrire une chevelure ; il n'y a pas deux odeurs pareilles, mais si nous nous attardons, vous vous écriez : "Supprimez la poésie." Il n'y a pas deux peaux qui aient la même texture, et jamais la même lumière, la même température, les mêmes ombres, jamais les mêmes gestes ; car un amant, quand il est animé par l'amour véritable, peut parcourir la gamme entière des siècles de science amoureuse. Quels changements d'époque, quelles variations d'innocence et de maturité, d'art et de perversité...
[…]
« Nous avons discuté à perdre haleine pour savoir comment vous êtes. Si vous avez fermé vos sens à la soie, à la lumière, à la couleur, à l'odeur, au caractère, au tempérament, vous devez être à l'heure qu'il est tout à fait racorni. Il y a tant de sens mineurs qui se jettent tous comme des affluents dans le fleuve du sexe. Seul le battement à l'unisson du sexe et du cœur peut créer l'extase. »
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De tels propos feraient sourire ou s'esclaffer nos modernes romancières du Moi.
– « S'offusquer qu'une femme émaille ses écrits de mots bas, c'est vouloir perpétuer l'image d'un être mythique qui, alliant beauté et distinction, ne saurait parler en charretier. La liberté si âprement conquise doit pouvoir s'exprimer sans circonlocutions. Pourquoi n'égalerions-nous pas l'homme dans le trivial, l'ordurier ? Le temps n'est plus où nos aïeules, dûment chapitrées par leurs mères, n'usaient de mots inconvenants ; s'éprouvaient par eux salies, ravalées, dans leur nature de femmes – et c'était, à travers elles, l'amour que l'on bafouait ; un mot qui, à défaut d'alléger leur sort, leur demeurait talisman.
« Pourquoi, née cynique, expéditive, s'encombrerait-on de périphrases hypocrites ; ferait-on le moindre effort pour suggérer par quelque image neuve et, qui sait, poétique, quand il existe, forgé par l'homme, tout un vocabulaire graveleux qui a le mérite d'être explicite ? Il faut vraiment être une femme d'un autre âge, nourrie de romans à l'eau de rose, pour rêver d'un érotisme "d'un million de facettes, de formes, de situations, d'atmosphères", quand il n'importe que de s'accoupler pas même "le temps d'un sein nu entre deux chemises" ».
Si naïve était Anaïs Nin, qu'elle alla jusqu'à écrire, dans Être femme : « C'est le contenu affectif de l'acte sexuel qui le rend plus intense et plus beau. Différence comparable à celle qui sépare un soliste d'un orchestre aux mille variations ». « Les femmes doivent cesser d'imiter Henry Miller. […], c'est une façon de reléguer [la sensualité] parmi les expériences sans importance, tout à fait ordinaires. »
Non moins obsolètes et dignes de pitié, sont les propos d'un Gabriel Garcia Marquez pour qui le toucher, dans l'amour, était « un cataclysme émotionnel ». Et il ajoutait ceci, tout à fait risible : « Je ne conçois pas l'amour comme un assaut momentané. Pour moi, c'est une relation à deux, durable, dorée à feu doux. »
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Que se rassurent les hommes, s'il s'en trouve, qui auraient mauvaise conscience à faire, de l'Acte, « un assaut momentané » : nos écrivaines – qui sont femmes – lui accordent sa juste place « parmi les expériences sans importance ». Quitte, pour les amants délicats, à devoir tenir pour nigauds les chantres de l'art amoureux. Et à considérer que le monde est en ordre, puisque les écrivaines nous montrent, par leurs écrits, qu'elles ont les amours qu'elles méritent.
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La vie sexuelle de Catherine M., paru en 2001, appelle plusieurs sortes de lecture. On peut y voir l'étude, en ethnologue, d'une étrange peuplade, telle les Muria de l'Inde ; une frénétique illustration du Kama Sutra ; une manière de livre des records en fait d'ébriété sensuelle, le lecteur se sentant partagé entre admiration et compassion pour des galériens du sexe et de la « mécanique des corps » comme dit la narratrice qui se prévaut d'« un nombre incalculable » de pénétrations.
L'œuvre de Sade est, pour partie, l'exacerbation de fantasmes irréalisés. Ici, nulle fantasmagorie, mais un florilège de conduites érotiques dont la méticulosité d'évocation paraît le gage  de leur vérité.
L'ouvrage fut honni ou encensé : s'y manifestait une sincérité si intrépide, qu'elle suscite, avec l'ébahissement, un sentiment d'indépassable dans la transgression. Et le jugement moral en abdique ; l'estime naît pour tant de tranquille audace assumée avec un naturel désarmant.
Le nom de Sade s'efface en nous, qui n'eut jamais de crédit. Celui de Georges Bataille s'y substitue quand surgit ce qui relève, à nos yeux, de l'abjection – et notre cœur en bronche. Mais c'est celui du Baudelaire de Mon Cœur mis à nu qui s'impose : « Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan. » Une assertion dont rirait la conteuse. Moins peut-être de cet aveu du poète : « Au moral comme au physique, j'ai toujours eu la sensation du gouffre […] J'ai cultivé mon hystérie avec jouissance et terreur. » Encore qu'il n'y ait trace, en l'ouvrage, de « crainte et tremblement », mais la manifestation d'une assez belle santé.
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Si ce livre rend falot, dérisoire, l'érotisme des écrivaines, c'est que Catherine Millet, férue d'art, auteur de monographies d'artistes contemporains, manifeste, en un style tout uni, sagacité, finesse, – délicatesse ! – de perception, inventivité, pertinence dans l'image, qui sont d'un authentique écrivain.
Ce sont ces qualités qui donnent aux mots crus, brutaux, dont s'émaille le texte, un caractère d'éléments rapportés, de restes d'un registre de langue auquel on crut devoir sacrifier ; alors que, chez les écrivaines, ils ne peuvent échapper à la trivialité foncière de l'entreprise. Preuve que n'est pas vulgaire qui veut, et qu'à l'inverse, peut être tenu pour obscène un ouvrage dépourvu du moindre mot bas, au motif qu'il « offense gravement l'esprit humain. »
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texte
Annaïs Nin
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Il était en France sans papiers et il risquait d se faire arrêter. Pour plus de sûreté Elena le cacha dans l'appartement d'un ami qui était absent, et ils commencèrent à se voir tous les jours. Pierre aimait la rencontrer dans le noir, à tel point qu'avant de se regarder en face, leurs mains s'assuraient de la présence de l'autre. Comme des aveugles, ils tâtaient leurs corps, en s'attardant sur les courbes les plus chaudes, en parcourant chaque fois le même parcours, en reconnaissant au toucher les endroits où la peau est la plus douce et tendre et ceux où elle est plus forte et exposée à la lumière du soleil ; les points dans le cou, où rejaillissait l'écho des battements de cœur, où les nerfs tremblaient quand la main s'approchait du centre, entre les jambes.
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Pierre était toujours surpris lorsque Elena cherchait uniquement à lui donner du plaisir, sans penser à elle. Parfois, il était épuisé a^près leurs ébats, moins fringant, et pourtant il désirait retrouver encore une fois l'extase de la jouissance. Alors il commençait à la caresser pour l'exciter, avec une agilité dans les mains qui approchait de la masturbation. Pendant ce temps, les doigts d'Elena se refermaient doucement sur son pénis, telle une délicate et experte araignée, frôlant les nerfs les plus sensibles et les plus secrets. […]
Ne pensant qu'à son plaisir à lui, elle se penchait, les cheveux dans la figure, et approchait sa bouche de sa verge, tout en continuant à le caresser de ses mains ; elle passait doucement sa langue sur le gland sans arrêter son mouvement – et ce jusqu'à ce que son corps se mette à trembler et se soulève pour mieux s'offrir à ses mains et à sa bouche, perdant tout contrôle, avant de donner sa semence en petites vagues s'échouant sur la grève, de petites vagues d'écume salée qui roulaient sur la plage de ses mains. Alors elle prenait tendrement son pénis dans la bouche pour recueillir l'élixir d'amour.
La jouissance de Pierre procurait une telle joie à Elena qu'elle était toujours étonnée lorsqu'il commençait à l'embrasser avec gratitude, en disant :
– « Mais toi, tu n'as pas eu de plaisir.
– Oh si ! » répondait Elena sur un ton sans équivoque. […]
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Quand le désir avait pénétré chacun de leurs pores, chaque poil de leurs corps, ils s'abandonnaient enfin à des caresses violentes. Parfois elle entendait ses os craquer quand elle levait ses jambes au-dessus des épaules de Pierre, elle entendait le remous des baisers, le son comme celui de la pluie, des lèvres et des langues, les humeurs qui se répandaient dans la chaleur de leurs bouches, comme s'ils mangeaient un fruit qui fondait sous la langue. Pierre entendait l'étrange roucoulement étouffé qu'elle produisait, semblable à celui d'un oiseau exotique en extase ; et elle entendait son souffle, plus lourd au fur et à mesure que son sang devenait plus dense, plus riche.
Quand la fièvre augmentait, son souffle était comme celui d'un taureau légendaire qui galopait furieusement vers un coup de cornes délirant, un coup de cornes sans douleur, un coup de cornes qui soulevait sa bien-aimée presque littéralement du lit, soulevait son pubis comme s'il voulait passer à travers son corps et le lacérer, pour la laisser seule après avoir ouvert la blessure, une blessure d'extase et de plaisir qui lui transperçait le corps comme un éclair et la laissait retomber au milieu de gémissements, victime d'une joie trop grande, une joie qui était comme une petite mort, une petite mort aveuglante qu'aucune drogue ne pouvait provoquer, que rien d'autre ne pouvait provoquer à part deux corps amoureux, qui s'aimaient de tous leurs atomes, jusqu'au plus profond de leur être, de toutes leurs cellules, leurs nerfs et leurs pensées.
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                                                                              Extrait de Vénus Erotica
                                                                                              Stock, 1969.
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