* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


samedi

15 février CORRESPONDANCE COMTESSE DE SABRAN – CHEVALIER DE BOUFFLERS (3)


Correspondance Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers (fin)
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Le Chevalier avait peu de goût pour la Cour. Alors même que Mme de Sabran était reçue par la Reine, elle écrivait, du grand monde : « il n'est pas plus fait pour moi que je ne suis faite pour lui. » Racée, cultivée, elle s'enthousiasme pour la vie agreste, communie avec « l'âme de la nature. » Pressentant le péril qui menace sa classe, et envisageant la ruine , elle a ces mots : « je donnerais bien encore tout ce que je possède pour vivre, vieillir et mourir avec toi ! » ; « Qu'il est facile de se passer de tout quand on possède tout ! »  Et de se réjouir à la pensée de vivre dans une chaumière.
Cependant que des difficultés matérielles extrêmes ne sauraient abattre le courage d'un homme qui fut, des années, affronté au manque de moyens, à des dangers multiples, des maux divers, et qui aspire à une modeste retraite où vivre ensemble.
Leur vœu commun sera exaucé. En 1803, ils achètent une maison près de Saint-Germain-en-Laye, avec « un assez grand jardin fruitier et potager. » Où vivre de peu, en philosophes.
Aussi faut-il laisser le dernier mot à la Comtesse écrivant au Chevalier après avoir lu ses lettres : « je n'ai plus aucun doute que nous ayons été faits l'un pour l'autre de toute éternité. »
*
Mais, pour nous, que de motifs de mélancolie, la dernière page tournée ! Nous quittons une langue suprêmement policée, à son apogée, qui, par sa concision expressive, affine, cisèle tout ce qu'elle évoque, paysages, caractères, sentiments, toujours « sans rien qui pèse ou qui pose », pour un langage – le nôtre – même dit « littéraire », plus ou moins abâtardi, aveuli, riche en scories, le minéral livré avec sa gangue, quand les écrits du XVIIIe semblent d'orfèvres. Nous quittons une langue où les chatoiements d'un esprit vif et délié, transcendent sa nature de prose. La congruité des termes, le dépouillement de l'expression la rendant incisive, l'élégance du cœur de surcroît.
Avec le mot Fin, nous avons rencontré l'un des plus beaux fleurons d'un genre littéraire à présent disparu : la correspondance entre deux êtres « de qualité ». Et la littérature s'honore de compter maints échanges épistolaires de personnalités de premier plan, au point qu'aujourd'hui la correspondance d'un Voltaire, d'un Balzac, d'un Stendhal, d'un Baudelaire…, ont intégré leur œuvre. Certains s'y montrent à leur avantage ? Mais où mieux découvrir l'homme intime, au débotté, le créateur aux prises avec son labeur ? Il n'y a plus, il n'y aura plus de ces dialogues entre un Valéry, un Louïys, un Gide, sur le ton de la confidence, où passaient, avec les figurants évoqués, toute une époque littéraire, artistique ; toute une civilisation.
Il n'y aura pas davantage de correspondances amoureuses dont certaines – telle celle entre Héloïse et Abélard – ont traversé les siècle. Leur lecture, par nous, ressortit au voyeurisme ? Qui admire un auteur est heureux de constater que l'amoureux, l'amant qu'il fut, apportait, dans l'amour, les vertus dont nous créditons l'écrivain. Qu'il avait, dans l'expression de ses sentiments, la même « grâce d'écrire » que dans ses ouvrages. Qui n'a lu les lettres de Valéry aux femmes qu'il aima, n'a de lui qu'une image mutilée, dépréciative.
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Il ne manque pas de correspondances amoureuses réduites, pour la postérité, à un monologue, soit qu'un seul des deux protagonistes ait eu du talent. Soit que l'autre voix ne nous soit parvenue.
Que répondait Gabrielle d'Estrée aux missives d'Henri IV ? Le marquis de Sévigné à Ninon de Lenclos ? Sophie Volland à Diderot ? La comtesse de Castellane à Chateaubriand ?
Par chance, ici, les deux voix sont d'égale qualité. Nous savions le Chevalier, ami de Voltaire, aussi habile versificateur que brillant causeur. La Comtesse était cultivée, encline à l'étude, « sensible », bien-disante. Ayant d'abord accueilli l'amour avec réticence, on la voit peu à peu lui faire sa soumission avec les accents d'humilité, d'ardeur, d'une jeune fille découvrant la passion. On la voit, par amour, résigner ses défauts, faire amende honorable, rendre pleine justice à l'homme aimé, se montrer non moins équanime que lui dans l'adversité. Tous deux faisant figure de couple exemplaire en un milieu où les liaisons successives étaient de règle.
Réalistes, nous tenons que l'amour durable, constant de part et d'autre, relève de la fable, les romanciers se gardant bien de dire ce qu'il advint de l'amour de leurs héros enfin réunis et tous obstacles aplanis. Et nul doute que les absences, les traverses, le malheur des temps, ne cessèrent d'affermir, de légitimer, l'amour du Chevalier et de la Comtesse.
Mais il faut aussi se demander quelle part y prit le dialogue rendu nécessaire par les séparations. Je doute que, vivant côte à côte en permanence, chacun ait fait l'effort de… s'élucider pour l'autre ; de cerner au plus près ses sentiments ; de les exprimer dans une forme supportant des relectures multiples, jamais lassées. Il y faut des loisirs, une qualité d'âme et d'esprit, une maîtrise de la langue, que nous n'avons plus. Pourtant, je croirais volontiers Marina Tsvétaïevas, quand elle écrit à Rilke : « L'amour vit de mots et meurt d'actes. »
*
Pour s'en tenir au XVIIIe siècle, que de couples véritables connurent les épreuves de la Révolution, de la Terreur, de l'exil, qui n'ont pas même laissé un nom dans les Lettres, faute que leur correspondance ait eu la tenue du dialogue Sabran–Boufflers… Encore celui-ci nous était-il parvenu lacunaire, entaché de fautes de lecture des éditeurs.
Il faut donc tenir pour un miracle, qu'une universitaire américaine, Sue Carrell*, se soit tôt éprise de ce couple et ait consacré la majeure partie de sa vie, à combler les manques de la correspondance, à en rétablir la version originale, et, par l'appareil critique renouvelé, à nous le rendre vivant et proche, jusqu'à nous faire partager son empathie pour lui.
C'était, pour elle, connaître les émois de l'archéologue mettant au jour et ajustant les fragments manquants d'une statue de couple égyptien ou étrusque.
C'est, pour nous, accroître notre imaginaire d'un double destin propre à illustrer le vers de Paul Eluard : « Rien ne vaut le malheur d'aimer. »
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* Site : comtessedesabran-chevalierdeboufflers.com

1er février 2014* CORRESPONDANCE COMTESSE DE SABRAN - CHEVALIER DE BOUFFLERS (2)



CORRESPONDANCE COMTESSE DE SABRAN / CHEVALIER DE BOUFFLERS
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(suite)

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Devenus amants le 2 mai 1781, ni l'un ni l'autre ne voient là le début d'une simple liaison. Seul le mariage, à leurs yeux comme à ceux du monde, en ferait un engagement respectable, lui donnerait la constance, la fidélité, implicite, au sacrement.
Sauf qu'en se mariant, le Chevalier perdra ses revenus ecclésiastiques et qu'il n'est pas homme à épouser une femme plus fortunée que lui – dont les biens, au reste, reviendront à ses enfants.
L'exotisme, le « bon sauvage », sont à la mode. En acceptant, en 1785, le poste de gouverneur du Sénégal, il y acquérra considération et ressources, tout en y faisant – il est antiesclavagiste – œuvre civilisatrice.
Quelques heures de vol nous mènent au Sénégal. Il y faut, au XVIIIe, des semaines par voie de mer et vents favorables, avec tous les aléas de la navigation maritime.
Les deux amants se sont promis de s'écrire chaque jour, et ils tinrent parole ; mais leurs lettres doivent s'entasser avant qu'un navire faisant route vers la France ou le Sénégal, ne les conduise à leur destinataire – ou ne les égare !
Le jeune amour aspire, contre toute sagesse, à la présence continue de l'être aimé. Quelques jours sans nouvelles de l'Autre jettent chacun des deux amants dans les alarmes ; le doute sur ses sentiments motivant les reproches d'inconstance.
L'absence allait devenir pour eux une épreuve indéfinie, surtout peut-être pour la Comtesse, privée de repères ethniques, géographiques, dans une contrée où tout est à craindre.
De quoi se sentir divisé, amputé du meilleur de soi, et se mouvoir en un perpétuel porte-à-faux. La tête se tournant en pensée pour prendre l'Autre à témoin – et interroger : « Que fait-il, à cette heure ? A-t-il aussi hâte que moi de nous retrouver ? » ; « Avec qui est-elle ? N'a-t-elle que moi à la pensée, au cœur ? Qui retrouverai-je, après tant de temps ? » Le mutisme obstiné de l'Autre nourrissant le soupçon, insinuant en vous des velléités d'accablement, de renoncement.
On vit dans un temps à rebours qui bride votre souffle, gauchit votre volonté de vous adonner tout entier à votre tâche. Qui vous oblige à tout instant à restaurer l'image de l'absent, de l'absente, rongée, par l'éloignement et son silence, comme la figure du Sphinx par le vent du désert.
*
Que d'hommes, de femmes, que nous tenons pour communs, n'auront pas rencontré les circonstances qui leur eussent permis de donner leur mesure en fait de courage, d'abnégation et de toute vertu apanage de l'humain !
Le Chevalier aurait pu demeurer un militaire de salon, brillant trousseur de vers galants. Nommé gouverneur d'une possession soumise au colonialisme, rançonnée par une « Compagnie du Sénégal » semblable à celles que dénonça Gide, en 1936, dans Voyage au Congo, il va y déployer, avec humanité, des dons d'organisateur, architecte, bâtisseur, planteur, hygiéniste, qu'il ne se connaissait sans doute pas.
Ses lettres nous le montrent, mû par des idées généreuses, s'épuisant à lutter – en vain – contre l'apathie, l'incurie, le manque de moyens, et cédant parfois « à ce chagrin intérieur », à cette humiliation secrète qu'inspire le zèle contrarié. Il n'entend que « plaintes, dépositions, accusations, confrontations, procès-verbaux, etc., etc., … » De là, « chagrin, ennui, impatience, défiance des autres et de moi-même, obligation de dissimuler ». Aussi, lui faut-il « penser et pourvoir à tout sans moyens, sans argent, sans marchandises et trouvant à chaque pas des obstacles dans la mauvaise volonté des gens […] »
On admire donc qu'il relate, pour la femme aimée, ses déboires avec humour ; que quelques lignes d'espoir, d'optimisme, des comparaisons piquantes, visent à atténuer «  [ses] lamentations répétées de mille manières » : « Et pour être heureux dans tout il ne me manque que toi : je ressemble aux palmiers d'ici qui ne fleurissent qu'auprès de leurs femmes. »
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Les lettres de la Comtesse à l'Absent s'efforcent de le tenir au courant, au jour le jour, de sa santé , des visites qu'elle fait ou reçoit, des nouvelles qu'elle apprend, dérivatifs à la solitude à laquelle il l'a condamnée – et le ton se fait alors parfois aigre-doux.
Elle peut bien déplorer de n'avoir son talent d'écrivain : « Tout mon désespoir mon pauvre ami, c'est de ne trouver que des expressions communes pour te rendre un sentiment si peu ordinaire », ses lettres, souvent écrites d'un trait, ne sont pas inférieures aux siennes en finesse d'observation, en vivacité, en acuité dans l'introspection, dans la formulation des sentiments. Et le lecteur d'aujourd'hui de retrouver avec la langue d'un siècle dépourvue de ce qui pouvait la corrompre – épithètes, fioritures –, un style si découplé que s'y filigrane la course d'un pur-sang, et où néanmoins la maxime est sous-jacente. Ce rare plaisir d'esprit, oublié depuis des lustres, se doublant de celui de rencontrer, en chaque lettre, sans cesse renouvelées, les bigarrures du sentiment amoureux.
Qu'on lise les lettres de la Comtesse du 28 avril 1787[1] (Tome II de l'édition Sue Carrel, pp.302-306), et l'on verra s'exprimer tous les états d'âme d'une amoureuse sans nouvelles de l'Aimé, à qui la sœur de celui-ci apprend qu'elle en a reçues. Puis ses réactions quand, le lendemain, lui parviennent enfin les lettres du Chevalier.
Qu'on lise cette autre lettre d'anthologie, du 12 novembre 1787[2] (Tome II, pp.537-538) où elle lui relate comment elle prend connaissance des paquets de ses missives, quand ils lui parviennent. On reste confondu d'une telle véracité des comportements, d'une telle maîtrise dans la propriété des termes.
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Le lecteur de ce temps s'étonnera que, dans cette ardente cantate à deux voix, on se montre si chaste. Quoi ? Nulle évocation, chez l'amant, du corps de l'Aimée ? Nulle allusion aux fastes charnels passés, espérés ? Le siècle le veut, qui est aussi celui de Restif et du marquis de Sade.
Le désir, chez la Comtesse, ne s'exprimera que par litotes, mais si savoureuses. Après la lecture des lettres du Chevalier, elle lui dit (20 juillet 1786, Tome II, pp.132-133) être « si agitée à ton sujet que mes pauvres organes me refusent leur service, en dépit de tous les petits esprits que tu as si bien réveillés qu'ils n'entendent plus aucune raison et qu'ils ne voudraient faire autre chose que de songer et resonger à toi. »
Ou, le 30 décembre 1786, (Tome II, p.282) «  Bonsoir mon ami. Je vais me coucher dans le grand lit bleu où ton idée se promène, ainsi que cent mille petits atomes qui ont tous plus d'esprit les uns que les autres. »
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L'absence, en amour, est pierre de touche. On l'a dit : ou elle rend plus intenses les attachements, ou elle les distend et les éteint.
« J'attends ton arrivée pour commencer à vivre », lui a-t-elle écrit. Non sans avoir fait retour sur elle-même, jugeant « ridicules et déplacés »  ses caprices, scènes et reproches, accès de jalousie… « En tout, mon enfant, je crois que tu me trouveras bien changée. » (8 mai 1787) Je vois pour la première fois en réalité toutes les chimères que je m'étais faite toute  ma vie sur le bonheur. » (23 août 1787)
Le Chevalier était parti animé de desseins généreux. Il revient d'Afrique doux-amer. « La colonie est rétablie, rebâtie, ressuscitée par mes soins et presque à mes dépens. […], mon hôpital devient le modèle des hôpitaux ». Pourtant, il constate qu'on lui en sait peu gré, « parce que j'ai trop examiné les détails, trop combattu les abus […], trop confondu les fripons avérés et trop inquiété les mal intentionnés. »
 *
N'importe : après ce second séjour, les voilà enfin réunis – et l'on sait bien que les contes de fées ne nous retiennent que dans la mesure où les deux héros eurent des épreuves à surmonter et y parvinrent.
Plus rien ne semble donc s'opposer à leur mariage et à un bonheur chèrement acquis. Sauf que le malheur des temps va s'abattre sur leur couple parmi tant d'autres.
C'est un véritable séisme qui attend la noblesse, dont elle sortira dispersée, décimée, ruinée. Troubles et violences contraignant l'altruiste Boufflers, devenu député aux Etats Généraux, à s'exiler en 1791 avec sa compagne.
Ils se marieront à Breslau en 1797, avant de partir pour la Pologne où les attend une « colonie » à mettre en valeur. Suivront des années de labeur et de privations avant que Bonaparte autorise le couple – ruiné – à rentrer en France.
Tous deux, avant tant de revers, de souffrances (le gendre de la Comtesse fut guillotiné), avaient gagné notre cœur. Leur dignité dans l'adversité allait nous montrer de quelle étoffe ils étaient faits.
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*  *  *
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Textes (Annexes)

*
lettre du chevalier à la comtesse    
 *
 [ Il est en Afrique. Avant son départ, elle lui a préparé des feuilles numérotées qui doivent servir à leur correspondance.]
[17 janvier 1787]
Enfin, ma chère enfant, je commence à me servir de ces feuilles, arrangées avec un soin que tu n'as jamais pris que pour moi. En ouvrant ce joli portefeuille vert, en feuilletant cette masse de cahiers, en admirant toutes ces pages numérotées comme les papiers d'un homme d'État, je me suis attendri pour toi. J'ai oublié mon âge et mes défauts, et je me suis dit : " Il est pourtant vrai qu'elle m'aime et sans doute qu'elle souffre d'une absence dont mon esprit ne voit encore que le commencement. " Ce volume énorme à remplir est lui-même un indice d'une longue séparation. Encore s'il n'était question que d'aller jusqu'au bout pour arriver à la fin de nos peines, j'écrirais jour et nuit, et je sentirais au moins mes ennuis décroître à chaque ligne. Mais le temps n'est point comme l'espace : on ne le parcourt point du train qu'on veut, sa marche est invariable et il faut la suivre. Je sais bien qu'on s'y trompe quelquefois, mais toujours tristement, car sa vitesse apparente dans le plaisir, sa lenteur apparente dans le chagrin, sont deux reproches que nous avons droit de lui faire. Enfin, il marche, c'est toujours quelque chose. Il entraîne tout ce qui est, il amène tout ce qui sera, il est comme un joueur de gobelets qui fait toujours disparaître ce que nous voyons pour nous montrer autre chose. Ah, ma femme, qu'il te montre toujours moins jolie, s'il le faut, mais au moins toujours toi, toujours celle qui ne cesse et qui ne cessera jamais de plaire et d'aimer.
[…]
*
 *
LETTRE DE LA COMTESSE AU CHEVALIER  
[28 avril 1787]
Ah ! quel charme inexprimable de voir écrit de ta main que tu m'aimes, que tu penses à moi, que tu me regrettes et que tu me plains ! Que j'avais besoin de cette consolation et de ce soutien ! Jamais la manne dans le désert n'est venue plus à propos, et je me sentais mourir. J'ai passé toute ma journée avec toi : je me suis enfermée dans ma petite bibliothèque où je lisais et je pleurais alternativement. Il n'y a aucune de tes lettres qui m'ait fait autant de plaisir que celles-ci, et je ne crois pas que j'en aie reçu qui les vaillent. Je crois te voir, t'entendre, dans les moments où ton cœur sait si bien exprimer ce qu'il sent, et où ton esprit tire parti de tous ses charmes pour plaire et pour attacher. Si je ne t'aimais pas comme une folle depuis dix ans, c'eût été fait de moi aujourd'hui : je ne me serais jamais défendue contre cet attrait irrésistible que toi seul fais connaître certainement. Tu es le plus aimable des hommes et le plus aimé ; je ne me lasserais jamais de te le dire si je ne pensais quelquefois que tu es las de l'entendre, et si les mots pouvaient rendre seulement la millième partie de ce que je sens. Tu serais attendri, j'en suis sûre, si tu pouvais lire dans mon âme et connaître tout ce que tu es pour moi, et ce que je souffre de ton absence. Le mouvement n'est pas plus nécessaire à la vie que tu l'es à mon existence, et sans cette correspondance intime qui nous fait communiquer d'un monde à l'autre, à travers un espace immense, je sens que je mourrais. Mais il faut finir ; mon cœur est si plein que je t'écrirais jusqu'à demain matin, si je n'y prenais garde. C'est une douceur inexprimable pour moi d'être bien sûre que tous mes sentiments sont partagés, et qu'au fond de l'Afrique ma pauvre androgyne ne me perd pas de vue, et désire comme moi de se réunir à ce qu'elle aime, pour son repos et son bonheur.
[…]
*
*
LETTRE DE LA COMTESSE AU CHEVALIER
*
Ce 12 [novembre 1787)
Voilà, dédommagement de toutes mes peines, consolation de toutes mes désolations, le soutien de toutes mes espérances : un gros paquet de tes lettres bien autrement pesant que le dernier. Tu ris de cet éloge, j'en suis sûre, et tu ne conçois pas comment le poids peut donner du mérite à autre chose qu'à un trésor. Tes paroles, ou plutôt tes pensées, sont d'or pour moi. Elles sont toute ma richesse : c'est par elles que je vis, et c'est pour elles, c'est-à-dire pour toi, que je veux vivre comme une vieille avare. Je contemple mon trésor et à peine osé-je y toucher. J'examine l'adresse, je regarde chacune des lettres pour savoir si tu étais bien pressé en l'écrivant, à quoi tu pensais. J'en viens au cachet, et je vois que tu ne t'es pas servi du mien ni de ma devise : cela me fait une sorte de peine. Je tremble, je n'ose le rompre : je crains de troubler tout d'un coup le plaisir que je ressens par la vue de quelque mauvaise nouvelle. Le cœur me bat et je finis par céder, dans la crainte que quelque importun n'arrive et me prive trop longtemps de satisfaire ma curiosité. Le paquet ouvert, je commence par la dernière lettre, comme la date la plus fraîche Je crois lire, mais je ne lis pas, tant je suis troublée ; mes yeux se remplissent de pleurs, et le paquet sur mes genoux est arrosé de mes larmes. Chaque page est baisée séparément, mais je les lis avec la même peur et les mêmes précautions qu'on touche un rasoir ou quelque autre arme dont on craint la blessure. Il me faut plus de vingt-quatre heures pour savoir ce qu'elles contiennent, jusqu'à ce que la première agitation soit un peu calmée, et j'éprouve successivement des sentiments différents, selon les différentes positions où tu t'es trouvé ; et quand je te vois accablé et souffrant, je retourne bien vite la page pour voir si tu es encore de même le lendemain.
[…]



[1] Voir Annexes
[2] Voir Annexes

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