* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


jeudi

1er sept L'ECRITURE AU FEMININ, IV,II.


ÉCRIVAINES
*
2
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L'ouvrage intitulé Le Jourde et Naulleau[1] devrait être en toute bibliothèque, publique ou privée, qui se respecte. Parodie pince-sans-rire du « Lagarde et Michard », on feint d'y soumettre les gloires littéraires de ce temps aux exercices traditionnels de l'explication de texte.
L'hilarité continue du lecteur se double, au fil des chapitres, d'une stupéfaction multiple : Il est des femmes (des hommes aussi) pour écrire de telles falaises ? Pour les adresser à un éditeur ? Des maisons ayant pignon sur rue pour les publier ? (Dont celle qui se glorifie d'avoir édité Proust, Valéry, Gide, et tout ce qui compta au XXème siècle !) Il se trouve des critiques pour en rendre compte, l'éventuel et rare dénigrement ne contribuant pas moins que l'éloge à la fortune du livre ? Des lecteurs assez masochistes pour « suivre » l'auteur, quand le seul mouvement approprié serait de renvoyer l'ouvrage à l'éditeur avec cette injonction : « Remboursez ! » ?
Les auteurs du Jourde et Naulleau, se dit-on, ont dû choisir, dans l'œuvre de l'écrivaine étudiée, les seuls extraits malencontreux leur permettant d'exercer leur causticité. – Je suis en présence d'un choix tendancieux, et l'on ferait, dans La Recherche  même, un florilège de passages malencontreux. Afin de juger avec équité, je me dois de lire les ouvrages brocardés.
*
Les figures de l'insignifiance, le mot étant à prendre à la lettre, sont innombrables ; mais leur commune essence est de ne laisser en nous de traces. Pour m'en tenir aux romans de nos écrivaines que j'ai lus, je ne saurais, ma vie fût-elle en jeu, résumer une seule… absence d'intrigue ; isoler, caractériser un seul des personnages dans le papillotement de prénoms qui leur tient lieu d'identité. Même l'ectoplasme a une réalité. Ces malheureuses créatures en sont privées mais s'agitent, se rencontrent, parlent d'abondance dans un langage de roman-photo, font l'amour à la façon des oiseaux – au gré de la montreuse d'images. Telle est leur inanité, qu'ils la communiquent à l'univers aseptisé où ils font semblant d'exister. Un monde si encombré du Moi de la narratrice, si fertile en vaines agitations qu'on n'y a le temps de goûter la saveur de l'air, la couleur du jour ou l'oiseau qui passe. « L'enfer, c'est les autres », disait Sartre. Coupé des éléments, privé de durée romanesque, voué à un perpétuel présent, ce monde pourrait assez bien figurer un avatar de l'enfer sur terre.
*
Et l'on referme le livre, une action de grâces aux lèvres : – Allons, ce n'était qu'une fiction – incrédible de surcroît. Et revoici le ciel, des nuages aux reflets de meringue, les coulées basaltiques des cyprès, le front d'une cycliste s'ouvrant l'espace … Mes sens me sont rendus qui m'insèrent au plus juste en un monde où, par chance, il est d'autres espèces de femmes que celle qui vient de me saouler de mots, sans se douter qu'elle fournissait des armes aux misogynes. Car quel homme bien né consentirait à lui serrer la main, connaissant ses accointances et ses propos ? Quel s'en éprendrait, sachant quelle balle d'avoine est pour elle le mot amour ? Au risque, au surplus, d'être en filigrane de son prochain « roman » puisqu'elle multiplie rencontres, aventures, coucheries, pour pouvoir être présente à chaque rentrée littéraire.
*
Obscène se dit de ce qui blesse la pudeur. On n'a pas même su blesser la mienne : on n'a pas assez d'imagination pour y parvenir, mais on a blessé tout au long du livre mon esprit en lui fournissant une provende qu'il est peu habitué à ingurgiter – chaque volume pouvant porter sur sa bande la mention : « Comment il ne faut pas écrire ».
J'ai tantôt assisté à une génération spontanée de clichés, lieux communs, truismes et redites propres à meubler ; tantôt progressé dans un fourré de détails oiseux, superfétatoires, accumulés par volonté de tout accueillir sans discernement, ce dont se justifie l'une de nos écrivaines les plus en vue : « Je vais pouvoir continuer à dire, à écrire, à formuler, parfois à vivre tout ce qui me passe par la tête et le cœur. ». (Car l'intéressée a un cœur, et si prodigue, qu'il lui permet de subvenir, bon an mal an, aux besoins de son esprit.)
J'ai peu d'estime pour les romans dont on peut sauter des pages, ce que ne permettent ceux de Flaubert ou de Stendhal. Ici, on peut, sans perdre l'absence de fil des… événements, sauter sans dommage des chapitres entiers, voire ce qui s'étend entre la première et la dernière phrase.
J'attends d'un roman qu'il laisse en moi un sillage qui aille s'élargissant avec le temps, sans que s'estompe le souvenir des propos, des actions, des tourments, des personnages que j'ai dû quitter, afin d'en colorer mon regard sur l'humain, ses petitesses et ses grandeurs.
Comme le philosophe Jean-Bertrand Pontalis, « Quand je lis un roman, ce qui me captive, ce n'est pas l'habileté du romancier, ni même l'art de la composition, c'est la profondeur, la pluralité de sens auxquelles il me donne accès, les voix multiples qu'il me fait entendre. » [2]
Chez nos écrivaines, on tendrait en vain l'oreille vers les voix multiples qui naîtraient de leurs écrits. À peine si celle de la narratrice, pourtant si complaisante envers soi, se détache d'entre les balbutiements de ses esquisses de créatures. Il faudrait, pour alerter notre imaginaire, un ton singulier, un recours à l'image, à la métaphore, à la moindre ingéniosité stylistique qui ne soit puérile. Or, quel crédit peut avoir à nos yeux un auteur, quand, dès les premières pages, le lecteur s'écrie, comme l'enfant du conte d'Andersen : « Le roi est nu ! » ?
La reine est nue, oui, et l'on ne peut même lui dire : « Sois belle et tais-toi ! » De constitution commune, elle est affligée d'une logorrhée incoercible, de celles qui donnent aux vieux maris des velléités d'étrangler la babillarde. Pas davantage ne la mettrait-on en garde sur la niaiserie, l'inanité de son discours : elle écrit sous la dictée d'une voix qui se soumet d'autant plus aisément celles des comparses du « roman », que celles-ci ont fonction de faire-valoir la sienne.
En conséquence, foin d'un lecteur qui attend d'un roman qu'il l'introduise dans le filon d'une durée ample et neuve où se pèsent et s'affrontent des êtres dont on éprouve, par la cohérence de leurs actes et propos, que l'auteur les a dotés de chair, d'humeurs, de sang, et que, par la spécificité de leur destin, ils sont dignes de prendre place dans une constellation affective où figurent Eugénie Grandet, Anna Karénine, Yvonne de Galais, et tant d'autres qui nous auront enseigné les ressources du cœur humain, les moires de l'âme féminine appelée, par les circonstances, à se déployer.
Foin d'un lecteur qui veut percevoir, dans ce qu'on lui rapporte, la basse continue d'un style par laquelle reconnaître d'emblée le conteur. Un style qui, par le choix, l'agencement des mots – surprise et nécessité confondues – donne continûment créance au décor, au moment, aux personnages, de sorte qu'on ne puisse les tenir pour factices.
Et foin d'un lecteur gourmet : il aura le sentiment, le livre refermé, qu'on lui servit de la paille hachée ou de la sciure de bois. À moins qu'on ne lui ait inculqué, quand il faisait ses humanités, que tous les textes se valent,un article de journal comme une page de Maupassant. Que la notion d'œuvre est entachée d'idéologie – à dénigrer ! Que seule importe l'expression de soi dans sa spontanéité, son effervescence. De quoi donner bonne conscience à celles, à ceux, qui, pourvus d'un narcissisme intempérant, n'ont, pour le satisfaire, qu'une écriture si plate, si privée d'invention, si indigente en résonances, qu'elle se désagrège à mesure sous le regard et s'ensevelit sous ses débris.
*
Mais pourquoi poursuivre ? L'outrecuidance a ses cautions.
L'être de raison s'avise que toujours il y eut à foison des livres jetables. Pourquoi la qualité de femme auteur serait-elle un garant de pérennité ? Et s'il fallait ici aussi se souvenir du mot de Gide : « Devant certains livres, on se dit : "Qui peut les lire ?". Devant certaines gens : "Que peuvent-ils lire ?" Et ils finissent par se rencontrer. »
Reste qu'il est plaisant d'écouter deux glorieuses représentantes de l'école qui professe qu'on « écrit depuis sa vie », et qui ont des Lettres, s'abriter derrière les grandes figures de Proust, Colette, Le Clézio[3]. Et l'une de rappeler que « C'est par l'exigence stylistique et formelle que l'écriture de soi vise à l'universel. ». L'autre, que son œuvre répond à « l'idée du "livre intérieur" tel que le conçoit Proust : ce qu'il faut chercher, c'est à restituer ce que la réalité a imprimé en vous. Mais le résultat est une fiction. Il y a une différence, que faisait très bien Proust entre justesse et vérité. » Et d'ajouter par ailleurs : « Ce n'est pas sans misogynie que certains dénient à l'autofiction sa dimension littéraire. »
À quoi je répondrai que je n'ai jamais entendu un misogyne dénier à cette « auto-fiction » qu'est Le Blé en herbe, sa « dimension littéraire ». Peut-être parce que l'œuvre est d'une certaine Colette qui savait « qu'écrire est un art. » Donnez-nous donc, Madame, une œuvre de cette étoffe, et nous la saluerons sans réserve.
Oui, il est savoureux de lire, sous la plume d'une autre prolifique écrivaine : « Ecrire est bien un art, ce que la plupart des gens oublient. » Ces oublieux ne pouvant être que des hommes.
*
Est-ce donc pour que fît florès ce genre d'ouvrages, que Virginia Woolf appelait de ses vœux, en 1931, le temps où chaque femme aurait une chambre à soi, afin qu'une sœur de Shakespeare pût y écrire des pièces égales en beauté à Roméo et Juliette ou au Songe d'une nuit d'été ?
À lire ce qu'elles produisent, on nous ferait bien douter que des femmes de grand talent, de génie, eussent jamais brillé dans les Lettres ! Je reprends donc la fin du soliloque de Bernard, dans The Waves, traduit par Marguerite Yourcenar.
« Et en moi aussi, la marée monte. La vague se gonfle, elle se recourbe. Une fois de plus, je sens renaître en moi un nouveau désir ; sous moi quelque chose se redresse comme le cheval fier que son cavalier éperonne et retient tour à tour. ô toi, ma monture, quel est l'ennemi que nous voyons s'avancer vers nous, en ce moment où tu frappes du sabot le pavé des rues ? C'est la Mort. La Mort est notre ennemi. C'est contre la Mort que je chevauche, l'épée au clair, et les cheveux flottant au vent comme ceux d'un jeune homme. […] J'enfonce mes éperons dans les flancs de mon cheval. Invaincu, incapable de demander grâce, c'est contre toi que je m'élance, ô Mort …
*
"Les vagues se brisent sur le rivage." »
*
Bonheur de l'esprit, de l'âme, du cœur, de s'avancer dans une prose souverainement gouvernée, signifiante, qui nous réjouit de sa plénitude, nous ensemence du pollen qui en émane – après qu'on nous aura mené par tant d'étendues de chaume gris où nous dûmes subir le jabotage de quelque romancière dépoitraillée, impatiente de nous conter ses derniers accouplements !
*
Virginia Woolf avait-elle pressenti quel usage feraient, de l'écriture, les femmes désormais libres de s'y adonner ? Dans la revue « The Forum » de mars 1929, on trouve ces considérations, qu'elle reprit dans L'Art du roman :
« Dans le passé, la vertu d'un livre de femme se trouvait souvent dans une exquise spontanéité, analogue à celle du chant de merle ou de la grive. Vertu non apprise, venue du cœur. Mais c'était aussi, et beaucoup plus souvent, bavardage, loquacité, simples propos jetés sur le papier pour y sécher en gribouillis et en pâtés. À l'avenir, avec du temps, des livres et un petit coin à elles dans la maison, les femmes, tout comme les hommes, verront dans la littérature un art qu'il faut étudier. Leur don sera exercé et fortifié. Le roman cessera d'être un dépotoir pour les émotions personnelles. Il deviendra, plus qu'il ne l'est à présent, une œuvre d'art comme une autre ;  ses ressources et ses frontières seront explorées. »
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Murmures
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L'amoureuse :
Tes mains sont pour moi un grand mystère, à les voir si bien donner forme à la tendresse. (La forme des fougères, celle du givre aux carreaux.)
D'où vient qu'elles se dirigent sur moi comme si elles me connaissaient de tout temps ? Comme si je n'étais, que pour être défaite par elles ? Cependant qu'avec une égale sûreté, ta voix – une voix de soir – me contourne le cœur…
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L'amoureux
Si je devais traduire d'un mot la sensation tactile que tu donnes, à te voir, ce serait celui de velouté. Évident pour tes yeux, ton regard, ton visage, le mot ne convient pas moins à ta personne entière, voix et silences compris, et jusqu'aux vêtements, quels qu'ils soient.    
Et quand j'essaie de rendre les progrès, en bonne grâce, de la compagne, les ressources accrues de l'amante, depuis que nous nous connaissons, je ne trouve que ces mots : tu développes, affines, approfondis tes velours. 
*
Les Murmures de l'amour, François Solesmes, édition Encre marine.
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[1] Pierre Jourde et Éric Nauleau, Le Jourde & Nauleau, Précis de littérature du XXI e siècle, 2004.
[2]  Un jour, le crime (Gallimard)
[3] « Le Monde », 4 février 2011

mardi

15 août - L'Ecriture au féminin, IV. I.


L'éCRITURE AU FéMININ   IV
*
Écrivaines
1
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Sappho, Louise Labé, Madame de La Fayette, Madame de Staël, George Sand, les sœurs Brontë, Emily Dickinson, Eugénie de Guérin, … Au long des siècles, des voix tenues pour adventices s'élevèrent, en marge de celle de l'homme, pour exprimer au féminin les mouvements d'un cœur, les aspirations d'un esprit. Pour composer des poèmes, conter quelque féerie, agencer une intrigue romanesque, tenir un journal, écrire des lettres d'amour, voire disserter ou requérir. Mais toujours avec le sentiment que le chant, le raisonnement, étaient l'apanage de l'homme ; que celui-ci exerçait en ces domaines, une prépotence qui vous reléguait au rang d'épigone, de disciple… attardée, dont l'œuvre vous vaudrait au mieux la condescendance qu'a le maître des lieux pour ce que ses proches se hasardent à dire après qu'il a parlé.
Outre qu'une œuvre appelée à durer se réalise contre ce qui est communément reçu, sa genèse s'assortit d'exigences tyranniques, presque toujours inconciliables avec l'image, le statut traditionnels de la femme. Réclusion volontaire opiniâtre, alors même qu'à ouvrir sa porte d'entrée, on goûterait la spacieuse vacance du beau temps, la constance d'un paysage ; refus du livre, du magazine, du passe-temps qui vous divertiraient ; déni des contraintes sociales ; dédain des reproches d'êtres à qui vous vous devriez, autant d'astreintes auxquelles votre condition vous interdit de faire droit – quand elles ne vous semblent pas contre nature.
*
S'étant, en maints pays, libérée de son oppresseur séculaire, la femme a pris la parole. D'abord pour instruire notre procès. Puis, sous le couvert d'une fiction plus ou moins flasque, nous faire entendre sa voix.
Il n'est d'homme aujourd'hui qui souscrirait au sarcasmes d'un Baudelaire envers George Sand. Nous avons, à les lire, trop à apprendre sur elles-mêmes, leurs attentes, leur regard, pour dédaigner des écrits que l'on suppose médités, formulés, avec le dessein d'éclairer, toucher, convaincre le plus grand nombre.
*
Réservant le terme d'écrivain aux femmes qui surent « qu'écrire est un art » – de Mme de La Fayette à l'auteur de La maison de Claudine, en y incluant des talents, des génies aussi divers que Jane Austen, Virginia Woolf, Catherine Pozzi et en y ajoutant une Marguerite Yourcenar, nous ferons volontiers droit à celles qui se revendiquent écrivaines, parfois auteures ou autrices, en regrettant que tant, dans leur rangs, soudain conscientes de leurs… mérites, ne briguent les noms, fort honorables, d'écriveuses, écrivailleuses, écrivassières. Et sans nous dissimuler que nombre d'hommes pourraient prétendre à de tels titres.
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L'ouvrage intitulé Le Jourde et Naulleau1 devrait être en toute bibliothèque, publique ou privée, qui se respecte. Parodie pince-sans-rire du « Lagarde et Michard », on feint d'y soumettre les gloires littéraires de ce temps aux exercices traditionnels de l'explication de texte.
L'hilarité continue du lecteur se double, au fil des chapitres, d'une stupéfaction multiple : Il est des femmes (des hommes aussi) pour écrire de telles falaises ? Pour les adresser à un éditeur ? Des maisons ayant pignon sur rue pour les publier ? (Dont celle qui se glorifie d'avoir édité Proust, Valéry, Gide, et tout ce qui compta au XXème siècle !) Il se trouve des critiques pour en rendre compte, l'éventuel et rare dénigrement ne contribuant pas moins que l'éloge à la fortune du livre ? Des lecteurs assez masochistes pour « suivre » l'auteur, quand le seul mouvement approprié serait de renvoyer l'ouvrage à l'éditeur avec cette injonction : « Remboursez ! » ?
Les auteurs du Jourde et Naulleau, se dit-on, ont dû choisir, dans l'œuvre de l'écrivaine étudiée, les seuls extraits malencontreux leur permettant d'exercer leur causticité. – Je suis en présence d'un choix tendancieux, et l'on ferait, dans La Recherche  même, un florilège de passages malencontreux. Afin de juger avec équité, je me dois de lire les ouvrages brocardés.
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Les figures de l'insignifiance, le mot étant à prendre à la lettre, sont innombrables ; mais leur commune essence est de ne laisser en nous de traces. Pour m'en tenir aux romans de nos écrivaines que j'ai lus, je ne saurais, ma vie fût-elle en jeu, résumer une seule… absence d'intrigue ; isoler, caractériser un seul des personnages dans le papillotement de prénoms qui leur tient lieu d'identité. Même l'ectoplasme a une réalité. Ces malheureuses créatures en sont privées mais s'agitent, se rencontrent, parlent d'abondance dans un langage de roman-photo, font l'amour à la façon des oiseaux – au gré de la montreuse d'images. Telle est leur inanité, qu'ils la communiquent à l'univers aseptisé où ils font semblant d'exister. Un monde si encombré du Moi de la narratrice, si fertile en vaines agitations qu'on n'y a le temps de goûter la saveur de l'air, la couleur du jour ou l'oiseau qui passe. « L'enfer, c'est les autres », disait Sartre. Coupé des éléments, privé de durée romanesque, voué à un perpétuel présent, ce monde pourrait assez bien figurer un avatar de l'enfer sur terre.
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Et l'on referme le livre, une action de grâces aux lèvres : – Allons, ce n'était qu'une fiction – incrédible de surcroît. Et revoici le ciel, des nuages aux reflets de meringue, les coulées basaltiques des cyprès, le front d'une cycliste s'ouvrant l'espace … Mes sens me sont rendus qui m'insèrent au plus juste en un monde où, par chance, il est d'autres espèces de femmes que celle qui vient de me saouler de mots, sans se douter qu'elle fournissait des armes aux misogynes. Car quel homme bien né consentirait à lui serrer la main, connaissant ses accointances et ses propos ? Quel s'en éprendrait, sachant quelle balle d'avoine est pour elle le mot amour ? Au risque, au surplus, d'être en filigrane de son prochain « roman » puisqu'elle multiplie rencontres, aventures, coucheries, pour pouvoir être présente à chaque rentrée littéraire.
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[1] Pierre Jourde et Éric Nauleau, Le Jourde & Nauleau, Précis de littérature du XXI e siècle, 2004.
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Les Murmures de l'amour       
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L'amoureuse
Si je t'écris longuement, ce n'est pas par un travers de bavarde, mais faute d'avoir trouvé le mot – unique – où tiendrait mon amour. Sens-tu, à me lire, mon désespoir d'être « muette » ?
*
L'amoureux
Comme la Mathilde de Neruda, tu es de celles qui viennent à vous les paumes pleines de froment.
De celles qui, par coulées et mèches, ensemencent l'espace dans le temps même où elles y perpètrent leurs ravages.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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mercredi

1er août L'écriture au féminin III , 6 .

L'ÉCRITURE AU FÉMININ, III
*
ÉCRIRE COMME ON CRIE
6
*
Abordant ces numéros de « Sorcières », j'espérais pouvoir enfin m'avancer dans le mythique et très réel « continent noir ». Des femmes, lasses d'être méconnues, calomniées, et longtemps réduites au silence, allaient m'ouvrir leurs arcanes. Or, les hommes frustes, simplistes, et suffisants que nous sommes, ont beaucoup à apprendre de créatures qui nous surpassent dans la perception du vivant ; dans leur aptitude à exalter la saveur des nourritures terrestres ; à se concilier les faveurs d'un réel qui n'a, pour nous, de bienveillance.
Dépourvus de franges, la plupart des hommes sont aisés à cerner, à définir, et ils savent mal dissimuler. La plus commune de nos compagnes est une organisation charnelle, mentale, aux infinis diverticules, recoins, replis et failles où se perpétuent des bribes de la Nuit immémoriale de l'espèce, chez certaines en sa bénignité, chez d'autres en sa virulence.
– « Enfin, se dit le lecteur de bonne volonté devant cette effervescence de témoignages, de confessions, je vais savoir de première main ce qu'elles éprouvent et comment elles nous voient. Je vais avoir part à ce qu'elles devaient contenir aux temps où leur parole était méprisée, tenue sous le boisseau. On va m'éclairer, emporter mon adhésion, accroître encore la considération que j'ai pour elles. »
La revue eut peu de numéros. – Eh quoi, se dit-on, si peu de lectrices se reconnurent dans ces écrits ? Si peu leur demandèrent de prendre une pleine conscience d'elles-mêmes, partant de s'affirmer davantage dans leur richesse, leur spécificité ? Ou ces quelques numéros suffirent-ils à épuiser… la matière ?
Je parcours les sommaires. Pas une collaboratrice ne nous aura donné une œuvre majeure, mémorable. C'est qu'un monde sépare la page où se donne libre cours le prurit, si répandu, de l'écriture, et l'ouvrage qui requiert constance, contention, rigueur, refus, jusqu'à l'apparente dureté envers les proches, de tout ce qui pourrait vous divertir. Autant de vertus, d'attitudes, qu'il faut savoir mettre au service de talents aussi variés que ceux de jardinier – à la Le Nôtre –, d'imagier et d'orfèvre.
Car il ne suffit pas, pour imposer sa voix, de dire tout uniment qu'il pleut, de forger sans nécessité un mot, de démembrer gratuitement une phrase et autres complaisances de m'as-tu-vu, quitte à provoquer l'agacement de celui qui vous écoute.
Ayant lu ces textes avec attention, je me tiens pour renseigné sur divers aspects du féminin. Jamais on ne sut me toucher, le terme devant être pris quasi au sens propre. Aucune de ces écritures interchangeables, sans surprises autres que typographiques, ne porte la marque d'une femme entre toutes, de chair et de sang singuliers. Privés d'harmoniques, les mots s'éteignent à mesure, sans parvenir à impressionner les cellules de l'affectif. Et je veux bien qu'on me parle de la femme en sa condition intrinsèque, on ne me retiendra que si l'une d'elles ne me conte, d'une voix dont le timbre, les inflexions, modulations, cadences, seraient pour moi à la lettre inouïs, ce que fut son expérience des premières menstrues, de son premier « client », de son attente du sang, de sa quête de l'officine salvatrice. Sinon, sa relation, pour émouvante soit-elle, n'aura sur moi que la brève résonance des faits-divers du quotidien.
Simple lecteur, je ne saurais définir le style, mais j'en perçois la présence ou l'absence, celle-ci valant pour moi indigence de la sensibilité, atrophie de l'oreille intérieure, étroitesse du champ visuel, étanchéité de la peau.
Je n'ai cessé de lire ces témoignages dans l'inconfort de l'esprit : « Quelle page elle aurait pu écrire sur le sujet en se conformant au précepte valéryen : "Entre deux mots, il faut choisir le moindre" ; en élaguant avec discernement le premier jet … (Ce sentiment qu'on a, de toujours lire un premier jet !) En ayant le souci de l'économie de la phrase, de son aspiration à nous faire entendre une "petite musique", ainsi quand notre gorge est travaillée par le chant. »
J'ai donc lu en retouchant mentalement : « Le propos eût été moins commun, si tel mot avait été préféré au premier venu ; l'ordre de ceux-ci modifié ; ce néologisme délaissé, cette vulgarité bannie. » Mémorable est le texte qui impose au lecteur son organisation, sa respiration, sa stricte nécessité – et quelle aise, et d'abord corporelle, nous en vient ! On m'agence, on ordonne mon souffle et jusqu'à mon rythme cardiaque ; on me tient en alerte par la nouveauté, la justesse, le bonheur de l'expression. Quelqu'un ne cesse de me murmurer, en marge : « Laisse-toi conduire, je sais où je vais ». Et le contentement d'aller de surprise infime en immédiat assentiment, par un chemin de plaine dont on croyait le sol battu et rebattu !
Femmes qui tenez une plume, si vous voulez vous faire entendre de nous avec qui, que vous le vouliez ou non, vous avez à compter ; si vous voulez nous persuader, nous émouvoir, il serait sage de vous exprimer dans le langage établi. Il vous paraît, œuvre de l'homme, participer à votre asservissement et nul doute que forgé par vous, il eût été d'une richesse, d'une profusion, qui vous rendraient pleine justice. Mais enfin, il est, avec toutes ses insuffisances. Et si vous le trouvez pauvre, la fréquentation de Rabelais, de Rousseau, de Hugo, de Balzac ou de Flaubert, devrait nuancer votre jugement quant aux heureux et féconds mariages de mots qu'il autorise sans que l'oreille ou l'esprit n'en soient heurtés. Il vous suffira de l'élever à la hauteur de l'art pour tirer de nous admiration et gratitude.
Cependant, si vous voulez être entendues aussi de l'immense peuple femme – qui n'a pas, comme vous, un tel mépris, une telle aversion pour l'homme qu'il n'est, dans vos écrits, pas même une silhouette, un filigrane, tout le propos étant occupé par votre Moi –, vous vous aviserez que nombre de vos congénères le tiennent pour un mal nécessaire, et qu'elles attendent de lui qu'il donne réalité, substance et s'il se peut ampleur, à ce mot de jouissance que vous affectionnez. Telle est leur faiblesse avec laquelle, ô fortes femmes, il vous faut compter.
Nobles, convaincantes, sont vos professions de foi. Elles pèchent seulement, pour être partagées, de se formuler dans une prose sans pouvoirs. Lesquels résident dans le style – dont le fâcheux Buffon assurait qu'il est « de l'homme même ». L'outrance dans la pensée ou l'expression, surtout à vide, risque de faire sourire les meilleurs esprits et les mieux disposés envers votre cause.
Femmes, femmes, ce n'est pas « au ras du corps » qu'il faut écrire, mais comme sombre un navire corps et biens, tous hublots fermés.
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texte
 [ De Rainer-Maria RILKE à Lou Andréas Salomé ]
                                                                                                          Château de Muzot
                                                                                                         le 21 décembre 1921
Ma chère Lou,
[…]
Plus que jamais tout échange devient pour moi le rival du travail comme c'est le cas sans doute pour quiconque se concentre de plus en plus sur une seule chose et dès lors en donnant, au-dedans comme au dehors, gaspille cette seule et unique chose. Il y a quelques jours on m'a proposé un chien. Tu imagines la tentation […] mais j'ai senti aussitôt tout ce que cela seul impliquerait de liens dès lors que j'irais au devant de ce convive. Tout être vivant qui exprime une exigence trouve en moi une approbation infinie des conséquences de laquelle il me faut ensuite non sans douleur me dégager quand je m'aperçois qu'elle m'accapare.
[…]
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Les Murmures de l'amour      
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L'amoureuse
Qui écrira un savant traité intitulé : « De l'amour considéré comme avènement du langage » ? Mais je t'aime aussi à bouche fermée, bourdonnante de fredons.
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L'amoureux
Tu te tiens quelque part entre ma gorge et mon cœur ; tantôt plus près de celle-là – temps des saveurs –, tantôt de celui-ci, quand me ravagent la tendresse et l'orgueil que j'ai de toi. 
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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