* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


vendredi

15 déc


VAGUES
v

****************************Reste avec la vague à la seconde où son coeur expire.
*************************** Tu verras.
**********************************René Char
*
****Imposante, écrasante, est cette puissance par temps calme sous un ciel en coupole d'Ispahan. Mais que l'océan prenne ombrage d'un vent qui s'acharne à bousculer ses majestueux balancements !
Que sont devenues les plaines céréalières moirées d'ondulations ? Un massif hercynien se forme, dont les roches, jeunes par nature, sont étonnamment burinées. Si instable est l'assise, que tout plissement tourne court, et qu'abondent glissements de terrains, effondrements, nappes de charriage. Mais comment expliquer l'émergence de tant de falaises de calcaire, et fugaces de surcroît ? A-t-on jamais vu, au reste, un massif montagneux tanguer, rouler, et paraître fuir de côté ? Un massif fait de chaînes enchevêtrées qui jouent à s'enfoncer, à resurgir ? Un massif crevé de cratères de lune ?
Davantage : en quel climat sommes-nous ? Une contrée boréale s'étend, noyée de frimas, encombrée de congères que le blizzard rebrousse. Et qui affirmerait que ce relief tourmenté n'est pas couvert d'une taïga enneigée ? Il n'est rien ici qui n'inclinerait le géologue, le géographe, à douter de leur savoir.
*
Le simple mortel, lui, voit là un soulèvement de populace. Par temps calme, une mer nous dissimule le nombre, la densité des foules qu'elle recèle. Mais qu'une émeute s'y produise, c'est de toutes parts que surgit la multitude et que l'océan donne, sous la banquise du vent, le spectacle de l'horripilation. Celui, encore, d'un halètement à froid, fureur et promptitude s'avivant l'une l'autre.
– « C'est là-bas. À bonne distance », se dit le témoin. Mais il est, avec la côte, ce qu'on assiège, comme en témoigne la succession des formations d'assaut. Le désordre est dans les rangs ? Il n'est de récif, de phare en mer, de bateau, sur qui ne convergent la hargne des airs, l'impétuosité des flots : – « Que l'on rature tout obstacle à nos débordements ! »
C'est là-bas. Ainsi, d'en-deçà la frontière d'un empire, regarderait-on se dérouler une guerre intestine. Néanmoins, le stable horizon marin a disparu derrière les sommets liquides, et il faut rassembler ses forces pour résister au vent du large – si vaste, ce large, mais qui fait, de votre visage, son biseau. Et quelle emphase, en l'étendue ! Je vois vociférer les foules, s'échanger invectives et apostrophes. Par delà les proches coups de bélier, je vois l'espace s'emplir de clameurs, et l'hostilité y prendre corps. Et si le versant entier des eaux se relevait et, pivotant sur le rivage, s'abattait sur nous ? On tend le jarret, devant ce qui s'apprête à nous jeter à la renverse.
*
Marée montante… dans les grandes largeurs ! Mais que le flot soit à l'étroit en certain fjord de Norvège, et s'enchaînent les vortex aux carrousels d'écume, les ombilics concentriques aux ébauches d'atolls coralliens. Des spirales en creux sans fin s'y forment et s'y défont. Il n'est là que vagues reptiliennes qui, en leurs fosses, se rêvent boas constrictors.
Maelström est un nom à détente, plein de ressort, mais l'étymologie nous avertit : un courant d'eaux toupillantes moud, broie le bateau qui s'y aventure. Et comme le gouffre y affleure, il faudra croire le marin qui, s'étant arraché à grand peine à la nasse, nous dira la voracité de l'onde.
Le raz est un courant d'autre sorte, les eaux embouquant un détroit. Quant au raz-de-marée, il n'a cure de goulet ou de pertuis ; il veut l'océan entier pour un développement qui laisse confondu le survivant : il a vu un paroxysme d'énergie, de puissance élémentaires.
Née d'un séisme sous-marin, une pointe de sein soulève la surface des eaux et, dans l'instant s'invagine, se fait doline, cratère au bord érodé qui se propage en bourrelets concentriques. À l'horizon, une vague cingle vers la côte, à peine dominant l'étendue. Et voici qu'atteignant les hauts-fonds, elle s'enfle démesurément et devient falaise, versant de montagne liquide se ruant sur l'espace – à enfoncer ! à occuper !
Transgression de toute frontière, subversion de tout repère humain – digues, appontements, édifices, franchis d'un bond, concassés, démantelés, emportés pêle-mêle. L'espace explose, points cardinaux culbutés, catapultés ; l'espace s'abat en l'espace, la mer fonce en la mer. Il n'y a plus d'assise terrestre. Que l'indistinction originelle. Qu'un monde en débâcle, soumis à la flagellation de torrents, au piétinement d'un pachyderme gigantesque. Dans le tohu et le bohu des Écritures.
En chaque continent, des foules d'hommes grouillent en leurs termitières, ou s'affairent entre elles. Les cours d'eau vont leur pente ou font halte en un lac ; des forêts s'émeuvent, ouïes palpitantes, ou se rassoient, résignées à la fixité ; des brises offrent leurs bons offices aux arbres en fleur ; des vents usent, à paumes ininterrompues, sphinx et menhirs, palais et toute éminence minérale. Et s'en vont par le ciel, en pensées passagères, brumes et giboulées, et « merveilleux nuages ».
Toutefois, pour Qui a le don d'omniprésence, quel spectacle que celui d'eaux massives, piaffantes, échevelées, mais si disciplinées dans leur allégeance aux astres, si ponctuelles en tout point des rivages, que la vie littorale se règle sur elles !
Toujours, en quelque point de l'Empire, sévit la dissension, s'affrontent le ferme et le mouvant. MTaille de policeais l'horizon marin est telle la règle dont on arase le grain quand le boisseau est plein outre mesure. Si bien que toujours aussi, à la faveur d'une bonace, refait surface, simple et nue, la parfaite étendue et, avec elle, l'Openfield et l'Oppidum conjugués.
Grâces soient rendues aux eaux douces, dociles, doucereuses. Mais révérence est due à celles qui, âpres et amères, serves et inaservies, s'insurgent, dispersant l'altitude et défiant le « roseau pensant » : ce sont elles qui ont inspiré au Poète le vers dont se prévalent les âmes fortes :
"Homme libre, toujours tu chériras la mer."


jeudi

1er décembre





Ah, le monde est si beau qu'il faudrait poster ici quelqu'un qui, du matin au soir,

soit capable de ne pas remuer.

Paul Claudel



vagues



IV




Dieu qui, si j'en crois la Genèse, assigna aux eaux et à la terre leurs aires respectives, contemple-t-il parfois la ronde de ses océans – qui se tiennent la main par les détroits ? Observe-t-il leurs façons infinies de traiter avec les côtes – plages, falaises, anses et criques étant marquées du sceau du féminin : ce qui est assujetti par le mâle, voire violenté par lui ? Ce qui se sent continûment dévisagé par un Regard circulaire, acéré, qui s'épanche, prend vos mesures et tranche à la base tout relief ? (En partie couvert de lambeaux de paupière, le globe même de l'Œil !) Ce qui est Un, face à la disparate terrestre, et quelle cohésion lui en vient !

Encloses en des rives d'étang, les eaux se bornent à faire office de miroir aux nuages. Mais qu'on leur donne plus que l'étendue : une ronde immensité enveloppante et d'un tenant, quelle mainmise elles exercent sur les continents ! et quelle diversité dans leur astreinte !

Une plaine, une steppe, un désert, peuvent nous donner le sentiment de l'immensurable, et jamais plus que dans l'uniformité, tous accidents de terrain effacés, quand l'œil cherche en vain des contours que l'esprit sait repoussés au plus loin, toujours. Mais par sa nudité, la rotondité que son horizon induit, la mer est la figure achevée de l'immense bouclé sur soi.

Maints hommes s'embarquèrent, en quête d'un « bout du monde » où s'éteindraient, dans une béatitude indéfinie, attachements anciens, aspirations et nostalgies. Au fervent de la mer qui sait que l'on ne se quitte, il reste de se rêver en dieu qui, de son regard, engloberait la sphère des eaux salées et les verrait à loisir multiplier les réponses aux forces qui les meuvent, aux obstacles que leur expansion rencontre.



*Un océan sans mouvement ne se conçoit. Pourtant il est bien tel aux latitudes polaires et l'on y marche sur des eaux pétrifiées que la neige rattache sans hiatus à la roche. Est-ce pour nous enseigner ce que sera le continent des eaux – hérissé de séracs – une fois le soleil mort et la Nuit régnant à demeure ?

Ah ! que se déchire le silence, à grand fracas de banquises fracturées et de plongeons qui restaurent à la ronde l'hégémonie du fluide ! Que la roche perdure, se résigne à la permanence, à la fixité, à la sclérose : l'eau est par nature voyageuse !

Celles que voici, planes, laquées, semblent assoupies. Mais savons-nous si elles ne se concertent ? Et si elles n'étaient qu'attentives au signe, d'elles seules perçu, qui, de proche en proche, les orientera vers le rivage où accoster pour y combler par le flot un creux sur terre, un évidement dans les airs par la rumeur ?

En mille autres lieux, la progression est déjà en cours ; et l'éclatante floraison par tout golfe sablonneux, quand l'océan y dépose, comme palmes, ses auréoles de neige frottée de vent ! Car il est des côtes où le flux, gagné par la soumission qu'elles affichent, y multiplie les manifestations d'allégeance.

En revanche, que le vent éperonne l'assaillant ; que la troupe des eaux soit massive et belliqueuse, et l'étendue érige, tel un reg, le hérissement en manière d'être ; elle se fait râpeuse et comme urticante. De l'horizon au rivage, le flot a des teintes, des lueurs de minéral igné soumis à torsions, élongations, ondulations. Unanime sous nos yeux, sur notre face, la décision offensive ! Seul l'homme inconscient ne se sent écrasé au pied d'un tel étagement de fronts de vagues en incessant déséquilibre. Elles s'abattent, de palier en palier, chemin de ronde et douves confondus, dans un tumulte d'effondrements internes, extérieurs ; dans un bruissement de pulpe, de tourteau d'olives, mâchées et dégluties.

À nos pieds, la turbulence d'une émulsion d'eau et de neige trépillante, promesses de nappes d'écume virant de l'aile et qui se subliment en flashes d'allégresse. Mais, à l'arrière plan, dominant la scène jusqu'à nous masquer l'horizon primordial, la menace de vagues faites de cimeterres soudés, tranchants brandis vers nous.


Puissance péremptoire ! Et jamais plus patente qu'à faible distance quand la vague – manquant une marche ? – se renverse, muscles à nu, dans un saut périlleux dont la retombée est un coup de semonce pour le sol. Ainsi d'un coup de poing sur la table, un despote met-il fin aux palabres.

L'espace en retentit, et notre torse. C'est nous qu'on subjugue, à qui on assène une leçon d'humilité : nous ne savions pas assez que l'eau, souple à nos doigts, à nos membres – à notre gorge –, fût, chargée de sel, capable de révoltes, surrections, retournements et volées de revers. Que la vague à l'échine fumante d'embruns, contînt tant de neige explosive – dont l'alentour est soudain incendié. [.../...]



*


* * * ** * *** *** *** * * *



lundi

15 nov
































Une fille passe


Longtemps, la vue du nu féminin fut réservée aux visiteurs de musées, aux amateurs de gravures, de photographies licencieuses. L'évolution des mœurs aidant, chacun peut à présent, par l'album, le magazine, l'écran, la plage, s'en repaître à satiété. Au risque de méconnaître le privilège qui nous est accordé quand nous apparaît sans voiles un corps de fille, de femme, que le temps n'a pas meurtri.

« La nudité de la femme est la bonté de Dieu », dit William Blake. C'est exprimer le sentiment d'épiphanie que nous éprouvons devant elle : celui d'être en présence d'un corps simple en qui, pourtant, se résumerait la totalité du réel, du sensible, ampleur et saveur confondues. D'un infini encore – de voies, de possibles, d'énigmes, de réminiscences – ramassé en des courbes fermées. Voici, tangible, qui renchérit sur soi, la forme la plus séduisante de la plénitude.

Qu'on peut saisir ? Mais si lisse et tout en dehors, que nos mains s'en irritent ; que nous nous découvrons une écharde sous les ongles. (Ainsi naissent les arts.) Il est des réalités qui nous accablent. Telle cette île qu'est une femme dénudée, sur sa couche, qui surabonde en rivages. Ou cette autre, fraîche échappée de l'Éden, qui se dirige vers la mer. Et quelle clarté – de Voie lactée – elle disperse en sa course, pour qui la voit passer, offerte et réservée, et publiant les droits de la suavité en ce monde !

******************************************************************F. S.





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sur une fille passe


« Point sublime » est une expression qui se rencontre sur les cartes touristiques. Elle désigne non un point dont la beauté propre, la perfection, hisseraient nos sens et notre esprit au suprême degré, mais un lieu élevé, quelque promontoire, d'où la vue s'étend sur le plus ample, le plus saisissant paysage ; d'où l'être est embrassé, épuré, étourdi, par une assemblée circulaire de merveilles naturelles.

Que, dans cette acception, le rivage marin comporte maints « points sublimes », c'est ce que vérifie celui qui se tient au débouché d'un sentier de sable venant d'un camp riverain où la nudité est de règle.

La Célébration du corps que je fis paraître, voilà longtemps, naquit de notes prises, plusieurs étés, de l'un de ces points ; mais très vite, je la jugeai sommaire et à l'excès fragmentée, quand le continuum devait prévaloir. J'étoffai donc le texte, m'attachai à suggérer la coulée de la vision, chez le spectateur, et rêvai, pour ces pages, d'un autre sort que le seul imprimé. Puisqu'à feuilleter rapidement un album de photographies d'un modèle en mouvement, prises à de brefs intervalles, on croit voir bouger celui-ci, pourquoi le lecteur ne pourrait-il, d'un pouce agile, voir passer la fille évoquée en ces pages ? Il ne fallait que trouver un modèle accordé au texte ; un appareil aux possibilités proches de celles de la caméra ; un éditeur disposé à publier l'ouvrage avec, inséré, un cahier de clichés… Le projet n'eut pas de suite.

Quant au texte dont nombre d'images furent reprises dans les ouvrages postérieurs et notamment dans L'Inaugurale – je me garderai de le comparer à son état primitif : ce serait pour ma confusion rétrospective. Puisse-t-il avoir gagné en justesse et, partant, en évidence. Et donner davantage la sensation d'un moment capital : celui, dans la vie d'un homme, où la Création se manifeste à plein à lui, dans son opulence et son harmonie, sa toute puissance, ici gracieuse, et sa violence fourrée.

Encore ai-je le sentiment, comme toujours, que tout reste à dire, et qu'il me faudrait à nouveau gagner un « point sublime » pour voir enfin.


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mardi

1er nov








*ill*********M'illumino d'immenso Giuseppe Ungaretti * * * * * * *











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***************************************************************VAGUES





*III








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Nous avions cru à une avancée de fantassins ? À présent que le conquérant touche presque au but, accru des renforts issus d'une levée en masse, nous pouvons nommer le mode d'incursion : la chevauchée. Une harde de mustangs encore insoumis désarçonnent le cavalier en touchant le rivage – et s'effondrent. Tout près de nous s'affaissent pêle-mêle croupes, poitrails, encolures, après force ruades, croupades, enjambements et galops volants de l'art assyrien.



Encore faut-il nuancer. « Force qui va », les cavaliers se ruaient vers les confins de l'Empire : les repousser ; conquérir et s'annexer de nouveaux domaines. Une bonne part de l'armée peut, en la circonstance, faire la preuve de sa bravoure en s'éventrant sur les écueils, en se mesurant aux côtes escarpées – et quelles joutes s'ensuivent, où volent les éclats de lance, les lambeaux de pennons ! Et l'assaillant de charger la muraille en aveugle, sans relâche, ainsi qu'on s'efforcerait d'enfoncer une poterne à coups de boutoir. (Que rien ne cède dans le mur d'enceinte, ne décourage pas l'attaquant qui paraît disposer d'inépuisables réserves d'opiniâtreté dans le défi.)



En revanche, quel n'est pas le désarroi des colonnes enclines à l'affrontement à ne rencontrer – ô plages ! – que penchant à la soumission et, davantage, promesse d'une couche où se vautrer ; où résoudre sa puissance en caresse ! On était le Barbare, venu des steppes, des toundras – et l'on aborde une contrée tout unie, dont les contours de ménisque, d'amande, le sommeil qui la jonche, vous portent à l'abandonnement.



Aussi les côtes sablonneuses ne sont-elles que guirlandes de longs soupirs d'aise par quoi s'exhalent une vigueur, une vivacité, d'un coup sans objet. Et le mouvement tournant des nappes d'écume dit qu'en les eaux soudain déconcertées, l'indécision et l'embarras ont remplacé la détermination.








*

C'est en un tel rivage qu'il faut se tenir pour saisir, en son entier développement, l'agent majeur de toute progression, de tout revirement des eaux marines : la Vague. La côte abrupte en rompt le cours, la démembre en fusées, en plumets d'herbe de la pampa. La confusion de l'engagement, les mutations en un éclair des formes et des nuances, étourdissent nos sens, provoquent l'aphasie. On ne perçoit plus que foule piétinant, s'entrechoquant, qui tente par enlacements, élancements, de s'agriffer aux aspérités de la roche. (Ce ne sont, sur la paroi, que paumes et ongles effilés qui lâchent prise.) Et il est vrai que tant de fougue déployée – qui donne à l'air une saveur de poudre – fait de nous le témoin d'un tournoi digne de la chronique. Mais c'est aux esprits légers que la grève paraît moins pittoresque que la falaise.



Une concavité liquide vert d'eau à crête acérée ornée de casoars, brasillante de tronçons de glaive, pique vers la côte, figure de l'inexorable, de l'imparable. Il serait vain d'espérer que le flot va dévier ou se résorber : son avancée est une longue glissade rectiligne – en patinoire, ou la course d'un oiseau à vol nul, les ailes éployées. Mais sans doute cela tient-il encore du dévalement de la boule de neige, à voir la vague s'enfler au point de perdre sa crête – qui se détache et croule à l'avant, dans un foisonnement de gypse. Et nous, de sentir peser sur notre face ce qui vient, plus haut que nous et gosier ouvert.





Quel obstacle la vague vient-elle de rencontrer, à peu de distance ? La voici qui se cabre – comme révulsée par l'épreuve imposée ? Ou torpillée dans son essor ? L'énergie qui la propulsait la hisse d'un coup dans le regimbement. On voit fuser du sol des faisceaux de cannelures vitreuses ; la tête de la vague se recourbant. Une poigne ploie la masse dans un ample mouvement hélicoïdal, dans une collision de vitesses – ascendantes, transversales, descendantes – qui nous dépenaille le regard. (Mais les belles courbes de nébuleuse spirale, de coquille de conque – pour tritons – que nous vîmes !) Une gueule de baleine s'ouvre, fanons arborés. Elle happe le vide et se referme. Et l'espace s'effondre avec les eaux, ébouriffant le jour de candeur, ainsi d'une floraison de cerisiers qu'une tornade arracherait.



Jaillit en éventail une tenture de dentelle ; peut-être de glace bulleuse ou spongiforme. Nous en garderons l'image d'une troupe, se tenant par la main, qui nous faisait la révérence. Juste avant que le rideau ne s'abatte dans une ovation effervescente. Le régisseur, à l'horizon, ne cillant pas.





À la fois tremplin et chausse-trappe, la plate-forme littorale conduit la vague au suicide, sans dissuader le gros des troupes de son dessein : regagner des frontières naturelles que l'on dut abandonner et qui, depuis, béent à longueur de plages, par toute cavité de falaise, par chaque amas de galets qui se sent une vocation de frayère.



Alors, quand le déséquilibre aura pris fin, les marges de l'empire réoccupées, le globe terrestre sera en ordre. Et l'homme pourra contempler, avec une sensation de poitrine à son comble, la stable étendue d'une étale de haute mer.




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jeudi

15 octobre


vagues

II

*

Nous avions trouvé un monde en état d'indifférence magnétique. Un influx lui est venu qui a rompu son équilibre. Et désormais régi, il nous fait face ; et sensible est l'unanimité des flots, des airs. Sensible, leur unique visée – notre personne ?

On nous désoriente et d'abord par l'entrecroisement serré de perspectives qui tient lieu d'étendue. Par la profusion et la diversité des images que le spectacle justifie. L'Élément est, certes, liquide. En témoignent, qui surabondent, l'étendue, nageoires dorsales, caudales, ailes de raies manta, échines de squales faisant surface, sursauts d'une eau qui se dépêtre de l'eau, bouillonnements de vasques, démembrement de fleuves pris dans les glaces… Mais les sensations associées au règne minéral le disputent à celles qui s'attachent à l'onde.

Voici, d'évidence, une montagne à sommet de dôme, de coupole. Or, un océanographe assurerait que nous sommes à l'altitude zéro. Les roches grenues sont réfractaires aux déformations – et celle-ci semble flexible et malléable à l'extrême ! Et quand vit-on des parois rocheuses se convulser dans l'instant ? Au vrai, nous sommes en présence d'un volcan éteint dont le flanc, latéralement fissuré, laisse échapper fumerolles et vapeur d'eau. Ou plutôt d'un versant soumis à solifluxion et à des coulées d'avalanches fragmentées par les ressauts de la pente.

Mais s'agit-il bien d'un mont unique au sommet érodé ? Tant de crêtes déchirées sont d'un massif jeune, peut-être encore en voie de surrection. Ce que contredisent ces buttes erratiques, au pied ennoyé de débris. Et surtout ce relief appalachien dont les degrés entraînent le regard du rivage à l'horizon.

Autre motif d'incertitude : nous nous savons en climat tempéré ; mais n'est-ce pas là un cirque glaciaire, ses gradins, ses roches striées, ses moraines, ses fronts de glaciers suspendus ? Et dirait-on pas des hordes de bisons polaires, à crinière enneigée, qui s'avancent en ligne, le mufle bas ? À moins que ces terrasses ne soient d'une carrière de lignite, d'anthracite, voire d'une mine d'argent à ciel ouvert…

Sans doute. Mais ces ailes d'arquebusiers qui progressent dans la fumée des canonnades ?…

Tel Fabrice à Waterloo, nous assistons, subjugué, à l'une de ces charges propres à renverser l'ordre établi. Une charge à figure d'émeute et de sauve-qui-peut ! Qui nous épargne ? Loin d'être hors d'atteinte, nous nous sentons agressé, rudoyé, par une massive grossièreté ; essoufflé par un climat d'offensive générale ; enseveli sous un déversement sans ajours ni terme. Imprégné de tumulte, on nous soumet à la vue de l'informe en perpétuelle métamorphose ; on refoule en nous les mots qui mettraient de l'ordre en nos pensées et nous permettraient de voir.

L'image du fétu de paille nous vient : que pèse l'homme, face à ce qui est soulèvement, transgression, subversion ? L'indiscipline est dans les rangs, mais les hordes ne dévient pas de leur trajectoire. C'est couverte de branchages que l'armée de Bollington marchait sur Macbeth. Ici, l'envahisseur demande à des rebords de chutes du Niagara, du Zambèze, à un déluge horizontal, de masquer son déferlement.

*

L'Afflux. Une vibration de corde que l'on tend d'un geste brusque, occupe l'espace. Et la translation de congères, de girandoles de neige buissonnante, les brèves bourrasques de grésil, les épanchements de poussière de coraux ou d'os de seiche, les balles éventrées de coton, de laine non dessuintée, ne sont que dérivatifs. L'immense versant océanique est parcouru de boursouflements longitudinaux dont chacun est l'ubac d'une chaîne qui s'avance en un glissement uniforme et sans défaillance. L'œil peut bien goûter la plasticité des eaux locales, leurs esquives et leurs accouplements, l'esprit, lui, se sent accablé par l'ampleur et la rigidité du dessein collectif. Si large est l'ingression que nous pourrions nous croire ignoré du gros de l'armée, mais la brise de mer nous le signifie : c'est tout le visible qui converge sur nous en grande presse.

Le regard bronche, renonce, devant la prolifération des formes et leurs incessants avatars. La fluidité appelle des sensations d'aisance, de liberté. Mais quand elle nous prive de tout repère ? Quand elle érige l'impromptu, le fortuit et l'imprévu, en seul mode d'existence ? Et comble est l'oreille, du proche fracas liquide qui, spasmodique, ébouriffe les airs. Aussi devons-nous nous raidir pour maintenir droite la statue qu'ébranle et sape un monde en déséquilibre en quête de son assiette. Pour faire prévaloir les droits de la pensée parmi la confusion régnante. Et nos yeux de demander assistance à l'horizon que la constance et la rigueur gouvernent. (Ah ! faire avec lui une composition orthogonale !) Quant à notre peau, elle s'étonne d'échapper, à découvert, à un tel ruissellement de mousson d'été.

Plus spacieux qu'en nulle région terrestre est ici l'espace. Pourtant, comment peut-il contenir, émané des eaux, un tel volume de rumeur ? Les bruissements, clapotis, croulements de l'étendue étant ponctués des interjections riveraines, des froissis en expansion qui leur succèdent.

*

L'Afflux. Venu de très loin, de très haut, dans un désordre ordonné, étagé. Sont dites eaux sauvages celles qui, nées de la pluie, de la neige, n'ont pas atteint un lit où se couler. L'épithète d'ensauvagées conviendrait à celles-ci qui entremêlent, dans une déflagration qui se propage du sommet à la base, cascades, rapides de torrent, geysers et résurgences.

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lundi

1er octobre

VAGUES

I

***La nuit des champs, celle de la forêt, sont pleines de fuites, de frouements, de cris de panique chaque fois que, dans le règne animal, "la mort saisit le vif". Mais il se fait souvent, à l'aube, un silence non de concorde mais de trève où les arbres nous paraissent plus pensifs encore. Tout un monde se tient coi dans l'attente du jour ainsi que se dissipent les murmures de l'assistance quand le rideau se lève.

***C'est à cette heure, entre l'aube et l'aurore, qu'on a le plus de chances, par temps calme, de voir l'océan prendre figure de lac que nulle brise n'effleure. Voici la pure étendue, sans accident, qu'on la nomme mer d'huile ou mer de demoiselle. Voici, fait d'une dalle unique sans fissure, le parvis d'un temple immatériel. À la volée, le prolongement, et son accomplissement, de la plage de marée basse, tendue comme drap bien tiré, où nous nous tenons. À peine si une lèvre d'écume suture le bord de la grève et celui de l'esplanade opaline.

***Quel doigt s'est posé sur cette "bouche d'ombre" que nous savons capable de brouhaha, voire de clameurs? Un dieu a-t-il figé la Création? Et quand prendra fin le sortilège? Ou quand surviendra l'épiphanie que ce suspens appelle?

***S'esquisse en nos épaules le mouvement d'ouvrir grands les bras: où le calme trouvera-t-il une aire plus vaste qu'en cette assise, en ce piédestal? Pourtant nous vient le sentiment de l'insolite. Le décor est certes en place, mais nous sommes venus assister au spectacle de... l'agitation, du désordre. Or, la scène est vide; on n'y voit pas même de personnages en quête d'auteur.

***Serait-ce un royaume en déshérence, ou tombé en quenouille, qui s'étend devant nous? Une totale aboulie frappe le visible. Et si elle allait nous gagner?

***S'est-on ému, en haut lieu, de pareille inertie? La terre garde, entre les dunes, des poches de tiédeur mordorée d'immortelles. L'espace marin, lui, a la densité de la froideur. Rétablir l'équilibre, et que la brise rompe cet envoûtement de Bois-dormant.

***Des brises, il en est de fluctuantes, de quasi perplexes; ou qui, au temps des acacias, des tilleuls en fleur, s'affaissent et se lovent. Celle de mer, en revanche, est résolue et vient vers nous au plus droit. Elle nous engage à lui faire face: "Tournez-vous vers ma source. Là est l'Origine, là le principe."

***À peine accourt-elle, que la dalle unie se change en verre dépoli; bientôt en un labour aplani par la herse. Puis en champ déboulis. Encore un peu de temps, et voici le pan d'une toiture où les lignes de lauzes ne cessent de se détacher, de s'affaisser. Nous avions vu, en l'étendue, une place spacieuse faiblement inclinée vers le rivage. Sa pente s'accusant, c'est à présent un versant proche de l'abrupt, que dévalent des strates de gravats.

***De la côte à l'horizon, s'échelonnent des falaises basses, crayeuses, qui s'éboulent – et renaissent de leurs décombres, en ravivant les lambeaux de neige terreuse qui les recouvrent. Entre elles, se distendent des vallons plats, gaufrés de linéaments de désert de sable: croissants de barkhanes et maillage d'ergs.

***

***Une affluence revêt maintes formes. Le plus commune est celle de gens qui se pressent en grand nombre en un lieu. Voici l'Afflux même. Que rien, en apparence, ne justifie, à moins que les eaux n'aient reçu un signal analogue à celui qui détermine les migrations.

***La place, à notre arrivée, était déserte; on n'y voyait âme qui vive, hormis la nôtre. D'où sort donc une telle foule? L'édifice serait-il pourvu de vomitoires multiples – car il ne peut s'agir de génération spontanée?

***Ceci encore: le déversement est universel. Pourtant, l'horizon ne déborde. Il se présente mêe en barrage-voûte à toute épreuve!

***Une affluence est d'un moment. Ce qui afflue a tous les signes et de la nécessité, et de l'inépuisable. Une crue de rivière, de fleuve, se résorbe. Cette crue des eaux, des airs, paraît devoir s'enfler jusqu'à ne nous laisser le moindre souffle. Et comble jusqu'à la voûte, de flots, de chuintements, serait alors l'espace.

***La rumeur de la forêt que pressure le vent, est égale, peignée, filtrée. Ce qu'on entend ici ne parle que de cohue, remue-ménage et bousculades; de blocs, en leur gangue de glaise, qui s'entre-heurtent.

***Que d'encombrement et de vélocité mêlées. Que d'un emportement à vous jeter bas!


mercredi

15 sept

SENTEURS
I
I
*
– « Peut-être, me dit d'emblée ma visiteuse, ne connaissez-vous pas cette fleur… » (Celle qui me tend un bouquet est de ces gens que j'envie, à qui flore et insectes, coléoptères compris, semblent réserver leurs confidences.)
– « Ce n'est pas là jasmin ni clématite, n'est-ce pas ? Et moins encore de l'édelweiss…
– C'est une grappe de tubéreuse. »
(Je ne dirais pas, comme Anna de Noailles s'exclamant, alors que Colette lui désignait de la mélisse : « La voilà donc cette plante que j'ai tant chantée ! », car je demande peu aux fleurs de me fournir en images.)
– « Un bien beau nom : il rime avec heureuse et amoureuse ! »
Resté seul, je me penche sur le bouquet. Des fleurs ont encore leur corolle soudée, en apophyse. D'autres s'écarquillent en multiples pétales un peu gras, plus ou moins tuyautés ou convulsés.
Il est des tubéreuses bleues ; celle-ci est d'un blanc mat, la fleur flétrie se résorbant en un pinceau de brefs filets ivoire.
Mais pour graciles que soient les pièces florales, c'est la senteur qui me retient, dont je sais quel prix lui accorde le créateur de parfums.
Je puis, avec plus ou moins de bonheur, suggérer l'arbre, le galet, la houle de mer, la bourrasque. Mais voilà qui, pour moi, relève du « je ne sais quoi et du presque rien » de Jankélévitch – de quoi se sentir humilié devant une réalité qui échappe au filet des mots en lequel on pensait la saisir.
Cordiales, sans détours et qui vous accueillent à pleine face, sont l'odeur de la fleur du tilleul, de l'acacia, du seringa… À les respirer, un or volatil oint votre paroi interne. Celle de la tubéreuse est verdelette – ô « vert paradis des amours enfantines », prairie de printemps frais coupée !
Biaise, capiteuse, peu expansive, elle se glisse en vous et filigrane d'argent votre âme. Alors que lentes, quasi stagnantes, sont les exhalaisons du mimosa, du chèvrefeuille de juin, la tubéreuse délivre une senteur… dégourdie qu'on ne saurait dire trouble, mais à coup sûr ambiguë, voire retorse. Je retrouve, à la humer, ma prévention contre le lis, à la spécieuse candeur, croîtrait-il en un jardin de curé ; de pieuses mains en auraient-elles fleuri l'autel d'une église de campagne, à portée de nez des enfants du catéchisme.
Cette odeur-ci n'entraîne pas la saturation du sens olfactif si vite atteinte avec la lavande, l'œillet, l'héliotrope ou l'ambre gris – et l'on détourne alors la tête en quête d'un air léger, limpide. Comme émanée de choses en déliquescence, elle ternit, oxyde l'air proche. On discernerait, parmi ses accointances, des relents d'alliacées, de jacinthe, de moût de raisin en une cave, de suédine fauve, de lustrine, de pierre à fusil, de rivage par soir torride.
Mince jusqu'à la translucidité, elle induit l'interstice, la faille. Aussi le chimiste lui demande-t-il d'introduire, dans la plus stable combinaison d'arômes, un subtil porte-à-faux qui la fasse à peine défaillir. Il lui demande, par la dissonance qu'elle insinue dans le concert des fragrances, de nous sussurer les mots de jointure, de scissure.
Avisée est donc la femme qui se choisit un parfum, d'en retenir un qui compte, parmi les senteurs qui lui feront sillage, cette discrète entremetteuse.
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LES MURMURES DE L'AMOUR
L'Amoureuse :
Mes premières vraies paroles furent pour toi. Tu es la plus sûre justification du langage.
J'aspire à des mots aussi neufs qu'est mon amour – pour t'approcher sans qu'ils s'interposent.
Certains n'ont jamais eu autant ma faveur que depuis que je t'aime : anse, clairière, demeure, praline, dentellière, terre de Sienne, bouton d'or, mélodie, cornaline, cerf-volant, bigarreau, catimini… Et si l'amour d'un être se fortifiait et s'enchantait de l'amour des mots ?
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L'Amoureux :
J'ai appris avec toi la beauté – mélancolique, pourquoi ? – d'une longue chevelure dans le fil d'un vent de mer.
Que tu pèserais moins sur la terre, sur mes bras quand je t'emporte sur le drap bleuté de blancheur, sans tes cheveux défaits…
*e
François Solesmes, Les Murmures de l'Amour, Encre marine.
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