* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
*
L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

*
CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


vendredi

1er juin 2013 Nouveaux Murmures (3)



l'amante (1)
*
Tu voudrais savoir quels vœux forme une amoureuse ? Je ne puis te dire que quelques-uns des miens :
N'être pas seulement femme, mais féminine comme la pluie.
Trouver les paroles qui entreraient en toi comme une musique, pour que tu saches la vie que tu me fais !
Être pour toi la praline (avec un soupçon de poivre blanc) que tu mettrais à fondre doucement sous ta langue.
Être le feu de sarments devant lequel les mains jointes dressées se font fleur de sang à cinq pétales.
Être un bouquet où tu plongerais le visage jusqu'au cœur. Et ta bouche lui donnerait soif.
Être la rivière d'été  dont les sablons te feraient des mains fluides.
Te voir sans être vue… Quel visage a-t-il quand il est seul ? C'est façon de t'approcher, vacant, quand rien ne te distrait de toi.
Que nos embrassades, quand nous nous retrouvons, aient toujours l'emportement des vagues de ressac. Et que tu m'enfouisses toute dans le climat de fenaison, ombreux et odorant, que tu dis humer sous ma chevelure.
Que « demain » ait encore et encore l'âpre saveur des commencements.
Que, pensant à toi, me viennent toujours ces très fines larmes de tendresse qui me font des bords de paupières dentelés.
Et que nous soyons toujours inconsolables l'un de l'autre.
*
Toute amoureuse bien née ajouterait : Avoir un enfant de toi. Mais il vient de m'en échoir un – à entourer, protéger, consoler… Et, merveille !, à ta parfaite ressemblance.
En bref, et parce qu'il n'est pas tant d'existences accomplies : que tu sois ma chance de vivre dense, unifiée – renouvelée, un amour en devenir.
*
Mais j'ai des regrets aussi. Dont celui-ci :
Nous venons de confluer ; nous aurons, je le voudrais, le même aval. Mais je me sens lésée de ne rien savoir de ton cours en amont. Et je jalouse ceux et celles qui te virent passer, couler.
 *
Que n'as-tu partagé les nuits dès mes quinze ans ! Je n'aurais jamais eu peur du noir. Tu aurais vu, caressé, mes petits seins d'alors, et je n'aurais pas eu honte de ma féminité. Je sais à présent comme ces nuits de pure tendresse m'ont manqué, même si tu me remets dans le climat de mon adolescence.
*
*
*
Mon inclination pour la nudité ? Elle fut précoce. Je la date de ce jour d'été de mon enfance où je décidai un matin, de ne pas mettre ma petite culotte. Pour découvrir les sensations qui, tout un jour, m'en viendraient. Je n'ai jamais oublié celles qui naissent du frottement de cuisses que rien ne sépare, vers l'enfourchure ; le chatouillement des hautes herbes traversées ; le picotement de fesses qu'on asseoit sur du gazon ; le simple contact de l'air sur mon ventre, sous ma robe.
Mais ce n'est que plus tard, au temps béni où je fus la fillette qu'un jeune garçon ausculte, que je pressentis les fastes promis à celle qui se dénude.
*
Avec toi, je suis nue pour être mieux embrassée de partout à la fois !
*
Nue par nécessité, pour ma peau, de se distendre afin d'accueillir tout ce qui alors lui échoit. Pour te faire pressentir combien je suis ouverte.
*
Nue comme le fruit mûr sur lequel une paume se referme.
*
Si j'aspire à être nue, c'est aussi pour me rendre immédiats le sable, l'écorce des arbres, le mur au soleil auquel on s'adosse, l'herbe où l'on s'allonge – et ta caresse qui file en moi comme une pierre jetée dans l'eau. La flamme aussi est nue, quand on fait l'amour comme on ferait un feu.
*
Je connais ces hautes glaces nommées psyché. Mais nue, seule m'importe l'image que me renvoie le visage de l'amant.
*
Ton sourire et ma nudité qui se fondent et s'échangent, me promettent merveilles !
*
« Ma gloire est sur les sables ! », s'est écrié le Poète. Toi, c'est de tes mains que tu t'exclames : « Ma gloire est sur ton corps ! Elles font de lui une île où s'enlacent les plages nues, suaves à l'œil. Et dont les rares sources ne désaltèrent, dis-tu.
*
Mais que ne dis-tu pas ! Que la saveur de ma nuque est soleil et nuit mêlés, galette cuite au four d'argile, bâton de réglisse, sainfoin séchant…
Que mes seins, durs comme coloquinte quand je te chevauche, sont chacun à l'exacte mesure de ta paume, les tétons à celle de ton empan. De quoi le Bernardin de Saint-Pierre des Harmonies de la Nature aurait bien dû s'aviser !
Que devant mon ventre, ta paume retrouve ce geste de planer que lui donne la vue d'une plage.
Que toi aussi, « si tu avais 53 minutes à dépenser, tu marcherais tout doucement vers une fontaine » où trouver, confondues en une seule gorgée, la liqueur et « l'onde amère », l'eau douce et l'eau âpre, la satiété et la soif. – Serait-ce moi ?
*
Quelles mains profondes tu as ! Je les écoute me raconter comment je suis faite – et pour qui. L'avenir qu'elles me présagent. Je m'étonne que tu puisses m'aimer, mais à peine sont-elles sur moi, que je n'ai plus le loisir d'y penser ! Tiens-moi fort, oui, pour que je ne doute plus de rien, n'importe si la charpente en craque !
*
Ce pouvoir qu'a ta main de me lester, de m'entraver à peine se pose-t-elle sur moi. De me faire à l'instant silencieuse, recueillie dans l'attente d'une visitation !
*
Sous ta main, je ne sais plus ce qui relève de la peau, de l'âme, du cœur. C'est le désordre de l'indifférenciation. C'est l'exaltation de l'unité. On s'émerveillerait à moins.
*
Ta main qui me caresse selon le fil, fait, de ma peau, une paupière close sous laquelle je vois ma vie migrer en surface. Avant toi, je n'étais qu'une forme ébauchée en quête de ses contours définitifs. (Et que de femmes ne seront jamais que cela ! ) Je suis, sous ta main, la statue qui, du dedans, se verrait modeler, polir – et toujours mieux donner sur le jour.
*
Par toi, il n'est de partie de mon corps qui ne pressente sa destination, sa nécessité.
*
Le profil de mes seins est offrande contenue. À ta seule bouche réservée. Tant pis pour les passants qui s'y méprennent et que dépite leur faculté d'esquive. (Ils font, de leurs regards, ainsi que de l'eau de la douche !)
Ils sont exactement conformés pour que s'y apposent tes deux paumes. Qu'ils te soient le galet qui point de persuasion la main que s'en saisit.
*
Une proue dédoublée, mes seins ? Mais l'étrave qui me divise en deux longues lèvres écarlates !...
*
À les empaumer, tu fais de mes deux seins des bulbes près de germer.
À moi, me vient alors l'image de la gorge des pigeons qui roucoulent au bord du toit.
*
C'est ta main qui m'apprit comme est long le chemin de ma nuque à mes reins, et combien il croise de sentiers de traverse.
Déliée comme fougère grand-aigle, comme elle sait échancrer mon flanc !... Le rendre fluide… Et m'éparpiller dans la soie, le velours pourpre.
*
Ce mot qui m'est venu, à voir une main d'homme sur un genou de femme assise : la conformité.
*
Une femme rompue, fissurée, saurait gré à tes mains : c'est un tel miracle d'en rencontrer, chez l'homme, qui sachent vous restaurer, vous jointoyer, et vous polir de caresses chatoyantes !
*
Je voudrais, de mes mains, explorer ton corps d'homme en aveugle-née.. Toi, bien sûr, tu sais comment c'est conformé, une femme, si j'en crois la minutieuse mémoire que ma peau a de ta main.
Mais découvrir chez l'homme – s'ils existent ! – les défauts de la cuirasse…
*
Te caresser me ferme les yeux : tu m'éblouis par mes mains à peine te touchant.
*
*  *  *  * 

mercredi

15 mai 2013 Les Nouveaux Murmures (2)



l'amoureuse   (2)
*
Ma mère ne m'avait pas dit que le bonheur peut rendre une fille inquiète, grave, et comme désorientée – à son grand contentement.
*
J'ai, avec toi, ce double sentiment, d'être en sûreté et de ne pouvoir être en paix avec moi, si démunie. Aussi n'ai-je pleine conscience d'exister que lorsque tu fais de moi une brassée de vie.
*
Que je pense à Toi (la majuscule s'imposant), et un vertige menace. Et je cherche des yeux, devant moi, l'abîme qui doit s'y trouver.
*
Je ne peux plus me promener seule dans la rue et surtout dans la campagne : une main se referme, pour l'enclore, sur l'une des miennes. Parce qu'on a flatté mon corps, il ronge son frein entre des murs. La vie neuve qui l'anime veut l'air libre, à ciel ouvert, pour se mesurer torse à torse avec l'espace. Une montagne serait proche, que j'en gagnerais le sommet pour me dominer de haut, multiple, éparse, unanime. Le bonheur pour seul et simple élément.
*
Ta douceur me meurtrit à l'image d'un matin, seule au bord de la mer.
*
Pourquoi le beau temps me met-il à ce point à la torture ? Me rend-il si vulnérable ? C'est une femme dépenaillée, en grande détresse, qui te demande : « Console-moi ! Sauve cette heure plus vaste que nous… Et périssable. Enferme-moi entre tes bras, comme chose menacée. Seule, ce beau temps est au-dessus de mes moyens. »
*
Que tu sois nourrit ma véhémence native ; aussi y a-t-il des jours où j'apprends à demeurer immobile. Où je ne fais que t'effleurer en pensée, dans un silence de feu de bois ou de forêt à l'aube. Des jours où la plus innocente de tes caresses susciterait la levée en masse de mon sang.
*
Que vaut d'avoir un homme dans sa vie, s'il ne draine à lui vos pensées, n'entrave votre souffle, n'évase votre regard – l'angle de vos paupières aux dimensions d'un golfe ?
*
Mes actes, avant toi, n'engageaient que moi. À être, je le crois, le beau souci de quelqu'un, j'en suis meurtrie de tendresse. Avec l'envie de me taire, coite sur mon aise, auprès de toi.
*
Je souris d'émerveillement à cette pensée : je ne suis plus libre ! On se sent si pauvre, femme, à être libre ! Toi, tu me prends à la gorge, là où toute ma vie se resserre. Et me voilà fondante, fluide. On me boirait.
Je ne suis pas libre ? Je ne me suis jamais sentie, depuis mon adolescence, à ce point délivrée de moi.
*
J'étais frondeuse, tu m'as rendue docile à l'amour. Être celle qu'il exige, sera me pavoiser. Mais il ne me fait pas la vie facile ! Une vie dense, étroite, aux incessantes résurgences. À vous en fermer les yeux.
*
Femme je suis, qui se polit à t'invoquer, à aller vers toi ; et que sa joie fait toute neuve.
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À mes compagnes encore dans les limbes, je dirais : « Je suis une fille "perdue" ! Mon ventre vous semble plat ? Il m'a engrossée de tendresse. »
*
Les jours avec toi n'en finissent pas de commencer tant tu es l'inattendu, jusque dans nos rites…. Tant j'éprouve avec toi la fraîcheur d'être au monde. Le désert autour de nous – qui nous dévisage ? Et ce mot d'imminence à mes lèvres.
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Je vis chacune de nos journées comme si elle était la dernière ; aussi la plus ordinaire n'est-elle jamais commune.
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Qu'il était restreint, le spectre des sensations où je vivais avant toi !
Tu me rends plus réceptive à ce qui m'entoure, plus consciente de mes gestes – que tu observes avec faveur quand, déliés, ils s'insèrent sans heurt dans le proche espace. (Je te sais moins indulgent pour ceux qui détonnent avec l'image que tu te fais de moi. Conviens seulement qu'il faut parfois consentir à la prose, en ce bas monde …)
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Je te dois de m'avoir disposée à la contemplation : ouvrir grands les yeux pour ne rien laisser perdre de ce que tu es, de ce que tu dis. De ce qui se dépose en moi, en ta présence. De ce dont ta voix me donne faim.
*
Les journées que tu me fais ? Celles d'un avare tout occupé de son or…
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Lustrée par le bonheur de me sentir pesante d'amour, me voilà lestée pour les grands fonds.
*
Tu me ferais bien croire qu'il est des bonheurs au-dessus de vos forces ! Qui vous harassent l'âme !
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On me trouve vive, aimable. Mais mes sourires pour autrui relèvent du réflexe conditionné. Ils n'ont rien à voir avec celui qui, monté de mon tréfonds, vient s'épanouir par toute ma face quand je te retrouve, et qui est sourire d'assentiment, de reconnaissance, de don sans réserve. Cependant que tu dois penser que je te souris en ravie de village !
*
Vive, je le suis. Il n'est que ta main sur moi pour me faire gourde.
*
Tu m'as appris à m'aimer un peu ; à oser prendre place parmi ce qui vaut qu'on le prise dans la création. Ce n'est pas la moindre raison que j'ai de te garder !
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Que tu existes me fait un port de reine, mais je ne passe pour jolie que parce que je te porte en moi – et que ça me monte à la tête. (Sauf qu'à te porter en moi, je vis parfois comme je peux !)
*
C'est depuis ta venue que ma peau et ma lingerie n'entretiennent plus les mêmes rapports.
*
Désormais, je me lave pour quelqu'un. À cela près que mon corps n'est plus tout à fait le mien puisque tu en as infusé chaque cellule. Aussi, dois-je nous faire lisses, nous lustrer.
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Quand tu es absent, je me fais nette de pied en cap pour mieux penser à toi. Affaire de cohérence. Action propitiatoire.
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*
Immatérielle, l'âme ? Elle a bel et bien une peau – et je la sens écorchée vive quand tu es loin.
*
L'attente me creuse, m'affame. Me révolte : le temps cherche sa pente, et ce sera, pour tout ce qui, en moi – les yeux, la peau, le cœur – pourrait se réjouir, un jour perdu.
*
Quand je suis heureuse d'être seule, c'est que tu es là, au plus près, invisible sauf pour moi. Et que tu me prêtes tes yeux pour voir à neuf le paysage.
*
Ce n'est que rendue à moi-même que je sais quelle femme tu fais de moi, à l'ample respiration, au pelage lustré, à la bouche redoublée.
*
Absent, je t'incante. Allongée sur le dos, je fais jouer la charnière de mes jambes. Assise par terre, ma tête reposant sur mes avant-bras qui ceignent mes genoux, j'enferme dans une ove, mon aise que tu sois – pour la mieux savourer.
*
Loin de toi, je me languis. Mais je préfère ton absence réelle à la fausse présence que tant de femmes connaissent au sein du couple.
*
L'instant où, te retrouvant, je me jette vers toi ? Il est celui où, se sentant chanceler, on saisit à tâtons un garde-corps. Celui , aussi, où m'est insupportable que tu sois et restes l'Autre, inabsorbable, inévitable.

1er mai 2013 Les Nouveaux Murmures... (1)

LES MURMURES DE L'AMOUR
reliquat
*

NOTE
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J'ai, pour la prosopopée, une propension coupable. Est-ce parce que les femmes, au long des siècles, ont si peu parlé d'elles au regard de la verbosité masculine, que j'éprouve un vif besoin de leur prêter ma voix, en prenant le risque de faire s'exprimer une organisation charnelle, spirituelle, affective, qui m'est étrangère ? Tout en sachant que le discours amoureux n'a plus cours, ou se voit réduit à ses rudiments.
Que le livre que j'ai publié sous le titre Les Murmures de l'Amour1 ait été tôt épuisé, m'incline néanmoins à penser que subsiste, chez certains, une nostalgie de ce langage.
J'avais dû, pour donner à l'ouvrage des dimensions raisonnables, écarter nombre de propos, en premier lieu de l'Amoureuse et de l'Amante. Peut-être trouvera-t-on intérêt à écouter quelques nouvelles bribes de leurs entretiens.
*
Maintes de leurs assertions feront sourire jeunes filles et femmes d'aujourd'hui. Certaines indigneront les féministes. C'est que l'amour est devenu « volatil » ; que les élégies romantiques ressortissent aux vieilles lunes ; que « l'amour fou » des Surréalistes n'est plus qu'un thème littéraire grevé d'utopie.
Ai-je tort de penser qu'une Madame de Rénal, une Anna Karénine et toutes les grandes amoureuses de la littérature auraient pu les formuler si les mœurs l'eussent permis ? Et non plus seulement des héroïnes de fiction, mais la très réelle Marie d'Agoult abandonnant mari, enfants, position sociale, pour s'enfuir avec le compositeur Liszt en lui disant : « Allons au désert et soyons tout l'un pour l'autre. » Sans parler d'une certaine Héloïse écrivant à son amant : « Quoique le nom d'épouse soit jugé plus saint et plus fort, un autre aurait toujours été plus doux à mon cœur, celui de votre concubine ou de votre fille de joie ; espérant que, plus je me ferais humble et petite, plus je m'élèverais en grâce et en faveur auprès de vous, et que, bornée à ce rôle, j'entraverais moins vos glorieuses destinées. » Un vœu qu'une Juliette Drouet fit sien jusqu'à une totale abnégation.
Et j'entends bien cette objection : À supposer que le discours amoureux, discrédité, n'ait pas périclité, en quel temps, de nos jours, trouverait-il place ? Il lui faut un climat de loisir, de lenteur ; des êtres reposés, enclins à honorer l'amour par le langage. Toutes dispositions qui ne se rencontrent plus – au vrai de moins en moins – que dans le roman. On s'étonne même que des hommes, des femmes, prennent encore le temps de lire La Princesse de Clèves, La Chartreuse de Parme ou Le Grand Meaulnes. À moins que ne subsistent quelques esprits, quelques cœurs résolus à conjurer, par des témoignages écrits, l'envahissement des terres habitées par « le désert de l'amour » .
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 *  *  *
*
l'amourEUSE  (1)
*
Tu es entré dans ma vie. Tu te tiens au beau milieu de moi et me voilà au centre des terres, du jour, de la vie, de l'enfance.
*
Il y a longtemps que je t'aime ? À chaque instant, je commence à peine à t'aimer. Et le présent de l'amour annule en vous tout passé. Tout comme, énorme, il obstrue l'avenir.
*
C'est un amour sans répit qu'avivent la beauté de l'heure, la crainte de ne le mériter, la douleur de ne savoir l'honorer ; de me trouver face à l'indicible. Et personne pour me secourir !
*
L'amour : un surcroît, une distension de ciel, de mer, d'été, de peau.
*
Je t'aime comme on va à sa perte. Comme on se noie.
*
Je dis : « je t'aime » d'abord pour le plaisir de me l'apprendre : quelle meilleure nouvelle ?
Et si, m'aimant, tu commettais une méprise ? Je suis femmeMais cela seulement. Ce que tes bras enferment ? Aveugle et muette, la plus démunie des filles qui connaît le désespoir d'être amoureuse et de n'en avoir les moyens !
*
Je me sens infirme – par excès d'amour ? – tels ces enfants qui ne peuvent ceindre de leurs bras le tronc d'un arbre.
*
Ne pas te dire mon amour me donne le sentiment de te cacher quelque chose ; comme si je t'étais infidèle. Mais pour te rendre hommage, il faudrait vaincre la peur de ne le faire que pauvrement. Ah ! ce m'est tourment de ne pouvoir ni me taire, ni parler juste et haut, comme font si bien mon cœur, mon corps !
*
Prendre ta mesure est difficile. Mais j'ai du plaisir à devoir lever la tête.
*
Des femmes se vantent d'avoir aimé comme dans les romans. Mais la sourde allégresse que j'ai à t'aimer humblement – sans pour autant m'abaisser !
*
Que te donnerais-je de précieux ? Le meilleur en moi me vient de toi. Accomplis-moi pour que je sois moins indigne que tu m'aimes. Rends-moi autonome pour que je te remette ma liberté : elle serait dans de si bonnes mains !
Certains préfèrent se tenir à l'ombre ; d'autres au soleil. M'importe seul de me trouver là où tu règnes, en un domaine, en un climat où l'on trouve sentiers où cheminer ensemble, étroits comme un lit, ombre végétale, nuages mordorés, mais aussi un souvenir de feu dans l'âtre, la pluie aux carreaux.
*
Avec toi, il n'est d'arbre, de rocher, de sentier… que je n'entende crier son existence : « Je suis, avisez-vous en ! Pour vous en souvenir à l'heure des nostalgies… »
*
J'aime les clairières. Debout, enlacés, elles font de nous des arbres géminés qui auraient échappé à la coupe. Elles leur procurent l'assemblée déférente qui les acclame en silence, à grands bras levés.
*
Sache-le : je ne me déprends de toi que pour mesurer ce qui m'échoit.
*
Auprès de toi, je fais provision de baisers, de caresses, de courage, et aussi de désespoirs multiples confondus en un seul : t'avoir dans ma vie et voir voué au néant, par l'un de tes sourires tendres, tout ce que je voudrais te dire !
*
Même en marchant main dans la main, nous faisons l'amour : l'amour de vivre-ensemble. Deux moitiés de mangoustan accolés, par la saveur ! L'amour au ralenti, gorge striée de gratitude envers la vie. (En état de qui-vive !)
*
Quand tu me prends dans tes bras, je vois la joie affluer à la ronde, à petits plis pressés – et nous assiéger, toute retraite coupée.
*
Jusqu'en ta présence, il y a ce levain en moi de l'envie de te revoir – que rien n'entame.
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L'assise de détresse dans mon bonheur ? Ne savoir exprimer, par chacun de mes propos, de mes attitudes, ce qu'il entre d'essentiel, d'irrémédiable, dans l'amour que je vis. Avec le sentiment que tu attends de moi la parole, le geste irrécusables, que la situation appelle.
Ce fut d'abord ta voix. On y percevait quelque chose de contenu qu'il devait être passionnant de découvrir. La plupart ne vous apportent que des inflexions convenues. La tienne, gouvernée, promettait on ne savait quoi, mais propre à combler la brèche qu'elle s'ouvrait en vous, le vide dont elle vous donnait conscience. Vous sentiez, à l'entendre, confondues, la douleur ténue d'une fêlure, d'un manque, et une velléité d'espoir. Celui qu'elle puisse devenir légère, allègre, même. Il n'était plus que d'attendre. Que t'attendre. Ce que je sus, à la minute où tu pris congé, par le sentiment de solitude, d'inaccompli, qui m'envahit : on me jouait un mauvais tour ; la vie était injuste.
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À présent que tu m'aimes, ta voix me fait la peau friable. Elle me défait comme une rose qu'on aurait respiré trop fort.
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À t'écouter, je me resserre autour de moi pour n'en rien laisser perdre !
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À ta voix répond mon silence de femme comblée, béate, épanouie, acquiescante. De quoi te paraître rassotée.
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Je n'ai encore ouvert les yeux sur toi ; j' ai seulement, avec un sentiment d'inespéré, la sensation que tu sourds en moi.
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Ah, l'ombre portée sur mon âme que fait ton visage quand il va envahir, absorber ma face !
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Je goûte ton épaule : je peux y déposer la détresse que ton amour me donne et dont je ne veux guérir.
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Tu es cette évidence qui me bouleverse, me violente : en toi est ma perte, et ma chance d'être vivante au plus haut. Fourrée de frangipane jusqu'à la gorge.
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Tu es à mon commencement. Le moindre de tes gestes, de tes mots, m'y replace.
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Tu es celui qui m'introduit dans la création. Où je ne me sens pas étrangère mais désormais à ma juste place. Justifiée, confiante. Habitable par le désir de toi, la profusion de vie que tu m'as instillés.
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Pourquoi le geste le plus commun chez les autres hommes me paraît-il, chez toi, chargé de sens – à interroger ?
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Mon amour te voit imprévu jusque dans les rites. Tu conjures l'habitude.
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N'est-ce pas étrange ? Je tiens toute en ta main, or tu occupes en moi toute la place ! (Ce mouvement intérieur que j'ai, de me refermer sur toi, présent, absent... )
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Tu t'étonnes que je te touche parfois, apparemment sans raison ? C'est pour m'assurer que tu n'es pas un songe.
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Il est des moments où je t'oublie presque. Ils préparent l'instant où je m'avise que tu existes, au milieu de toutes choses, irréductible, irrémédiable comme au premier jour. De là, ta perpétuelle nouveauté. De là, pour moi, la sensation à neuf, du commencement : Quelqu'un vient de m'apprendre que tu es !
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Craindre pour ta vie, c'est pressentir qu'on serait affrontée à l'inconcevable, à l'inexprimable. On tremblerait à moins.
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As-tu déjà apprivoisé une bête ? Qui d'emblée te reconnut pour maître ? Je suis celle-là, et qui se sent – de quoi ? – sauvée. M'en vient une étrange sensation de maturation, d'un surcroît de chaleur autour de moi, comme si j'étais vêtue de fourrure. Abreuvée de lait tiède…
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Tu as le pouvoir de me fermer les yeux sur un sommeil à ciel ouvert – qui suffirait à me nourrir.
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Je te reconnais pour mon maître. Un maître, ça vous libère d'abord si vous êtes captive, puis ça vous prend en mains si délicatement, si fermement, qu'on ne désire plus que demeurer là, indéfiniment, entre elles.
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Que feras-tu de moi ? Que pourrais-je faire pour ton aise ? – Voilà des questions qui me requièrent fort, avec attendrissement, et malice.
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Est-ce pour augurer de l'amante future, que tu voudrais connaître mes fantasmes de jeune fille ? Celui-ci me revient : me caresser, dans un hamac, nue sous l'averse tiède qui accompagne les premiers grondements de l'orage, quand l'eau délivre les odeurs que la sécheresse bridait : celle de l'humus, des feuilles mortes, des murs à lichen. Le corps fusiforme enserré par les mailles du filet, me caresser, le bras reposant comme la rame à fond de barque.
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1  Réimpression en cours. Parution en librairie mi mai.

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