* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

*
L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


dimanche

1er novembre


EN MARGE DU SITE DE MIREILLE SORGUE




*VIII - La célébration de la main (2)




*Évoquant plus loin les « lettres au vieil ami » (M.Piquet) je montrerai à quelle sorte de collaboration avec sa mère (et la petite sœur en guise de conseiller littéraire) je fus soumis tout au long de mon travail d'édition. Mais la réédition de L'Amant va me permettre d'en donner un avant-goût.


Épuisé chez Robert Morel, la reparution du livre était souhaitable. La petite sœur m'ayant écrit : « Quant au problème R.M(1), j'éprouve une telle aversion pour ce monsieur, que je ferai le tour de tous les éditeurs possibles avant de me présenter chez Tchou ; et je crois que vous serez de mon avis. C'est simplement une question de respect vis-à-vis de Mireille et de nous-mêmes !! » (19 décembre 1978)

D'autres éditeurs furent pressentis. Gallimard s'étant récusé au prétexte que l'auteur n'était plus de ce monde, les femmes songèrent à l'éditrice de maints ouvrages érotiques.


Je reçus donc, datée du 15 mars 1979, une lettre dont j'extrais ces lignes :

« Mais d'abord je veux vous expliquer ce que j'ai proposé, par écrit, à Régine Desforges.

Préface, j'espère d'Evelyne Sullerot (2). M[arie]-F[rance] s'en occupe.

Puis l'introduction pour expliquer la genèse du livre avec citation de la phrase de Mireille à M.Piquet : « Vous parlez de mon premier livre, du second, du troisième : sans doute n'y en aura-t-il qu'un, jamais achevé, interrompu comme la vie et avec elle […] »

Puis l'œuvre corrigée, unifiée par vous(3) avec, si Régine Desforges le juge bon, une typographie différente pour la Main et les fragments.

Là, je propose de donner aux lecteurs les écrits tels qu'ils furent conçus :

1. La Main

2. La réaction de l'éditeur(4)

3. Les fragments.

Ou le contraire : je veux dire :

1. La réaction de l'éditeur

2. Les fragments

3. La Main.

4. Après l'œuvre, l'accueil des critiques, celui des élèves de l'E.S.C.P.(5)

5. L'entrefilet qui parut dans "L'Étrave"(6) au moment de la mort de Mireille et qui sera la meilleure fin.

À cause de la citation "… interrompu comme la vie et avec elle", je propose de changer le titre et d'appeler le livre :

le livre interrompu »


Devant pareilles « propositions », l'esprit bronche et s'effare : À quoi rime ce fourre-tout, sans parler du nouveau titre, racoleur et niais à souhait ?

Il me fallut du temps avant de comprendre que, dans ces apparentes divagations, rien n'était innocent. Et tout devint clair quand je me rappelai que dans une lettre non datée, mais de 1978 ou 1979, l'éditrice improvisée m'avait écrit : « Autre regret que j'ai toujours vivement ressenti : que le texte de la Célébration, seule partie véritablement finie, construite, et véritable joyau, ne paraisse pas seul, ou tout au moins en premier, détaché du reste. »

Pour ses qualités littéraires ? Sans doute mais aussi – mais surtout ? – pour sa teneur. Et ces lignes, du 23 mars 1979, expliquent sans ambages quel profit il y aurait à ne pas mêler le « joyau » au reste, en le plaçant soit au début, soit à la fin de l'ensemble :

« Ce que je ressens très fortement quand je relis la Célébration de la Main, c'est que cette célébration n'était pas pour vous seul(7). On y parle des mains paternelles, des mains de la Mère(8), de la grand-mère et de l'aïeule… et aussi d'autres mains encore, même si celle de l'Amant en fut le prétexte. C'est pourquoi ce texte m'est cher. C'est pourquoi je le voulais séparé des autres fragments qui ne sont que pour l'Amant. Et pourquoi vouloir faire un livre de votre mieux certes, mais dont vous ne pouvez être sûr qu'elle l'aurait voulu ainsi ? Moi, ma pensée est la suivante ; je la donne pour ce qu'elle vaut : Mireille aurait écrit un autre livre, mais elle n'aurait pas touché à la Célébration même pour l'inclure dans un texte assez long pour convenir aux besoins de l'éditeur. »


(Ce qui était se montrer perspicace, Mireille m'ayant écrit, le 18 février 1966 :

« Que je sois libre dans cette œuvre, et non liée par ses états passés ; libre de tout reprendre, de tout refondre… » )


Ici, plusieurs remarques s'imposent.

Chacun sait que la perception qu'on a d'un texte évolue avec le temps. Aussi, une mère, d'abord dépitée de s'en trouver exclue, peut-elle s'aviser à sa relecture, qu'il n'en est rien, et vous faire pesamment entendre que vous auriez tort de vous en croire l'unique inspirateur. Il est vrai qu'elle ignorait les lignes de sa fille du 9 juillet 1965 : « Amour, il faudra que tu le lises, c'est de nous que je parle, c'est ta main que je célèbre, et c'est comme un cadeau que je voudrais te faire. »


L'argumentation sous-jacente à la… démonstration ci-dessus peut se résumer ainsi : « La main de l'Amant n'aura été que le "prétexte" à cette Célébration. Donc, pourquoi ne pas adopter pour celle-ci la place qui le mieux met en valeur cet hommage partiel à la famille – ce qui me ferait tant plaisir ? »


Ainsi, se dit-on, toujours (car il en fut de même pour tous les textes), je devrai compter avec cette tentative pour infléchir, détourner au profit de la famille, ce qui l'exclut ou la laisse en marge ! Toujours, quand le seul point de vue auquel se placer ici devrait être littéraire, je verrai l'élément affectif battre en brèche la rigueur, et j'aurai affaire au sentimentalisme déclaré chez la mère, rampant chez sa fille cadette.


Encore, encore, perdre plusieurs heures pour – sur cinq pages – montrer qu'un tel échafaudage aboutirait à un livre dont aucun éditeur ne voudrait et qui ferait sourire de pitié la critique si, par extraordinaire, il paraissait ! Du moins pensez-vous avoir convaincu l'interlocutrice. Mais cette mère « qui ne sait rien lâcher » vous écrira, le 4 mai suivant : « Bien que ce soit inutile à présent, car j'ai renoncé à tout (souligné !) je persiste à dire que le livre pouvait se concevoir de deux façons. […] »

C'est alors qu'on se sent plus que las : harassé !

Je ne me mêlerais pas de la composition d'un livre de sciences ou d'un manuel d'économie politique, mais on peut n'avoir avec la littérature que des rapports fort distants, n'avoir jamais eu en main un texte « procuré » selon le sévère protocole des édition dites de référence, et s'estimer fondé à donner au public lettré un texte majeur, surtout si quelqu'un s'est chargé des basses besognes que sont le déchiffrement des manuscrits, la transcription et l'annotation dudit texte, la révision des épreuves… À charge, il est vrai, pour l'ayant droit de remanier l'ensemble pour satisfaire sa vanité, en n'oubliant pas de passer chez l'éditeur signer le contrat. Ce que Lévy-Brülh aurait bien dû évoquer dans son ouvrage : De la division du travail social.



(1) Un éditeur parisien associé à Robert Morel. Malgré son « aversion » pour celui-ci, elle en devint l'amie et la confidente – pour mieux instruire mon procès.

(2) L'auteur de cette phrase « merveilleuse » : « La miraculeuse Mireille Sorgue au prénom de lumière et au nom de rivière » que mère et sœur voulurent placer en épigraphe à la nouvelle édition de L'Amant. « J'y tiens beaucoup » écrit la petite sœur. (L'éditeur refusera, bien sûr, pareille nunucherie.).

(3) On ne sait trop qui aurait été chargé de l'introduction. La conceptrice de l'ouvrage, j'imagine.

(4) Le premier éditeur, Robert Morel – lequel était furieux de voir l'ouvrage lui échapper !

(5) L'École Supérieure de Commerce de Paris.

(6) Une obscure revue mais où collaborait le poète Bernard Aurore dont les lecteurs du Tome I des Lettres connaissent les mérites.

(7) Souligné, au cas où cette remarque capitale m'aurait échappé.

(8) Majuscule de rigueur.


*_

N.B. Toutes les citations de Mireille sont en italique.



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mercredi

15 octobre





EN MARGE DU SITE DE MIREILLE SORGUE



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VIII - La célébration de la main (1)

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« Quand j'y devrais perdre le peu de raison que j'ai et mes forces, j'écrirai pour de bon, cet été. C'est une entreprise déraisonnable et peut-être mortelle, moins mortelle pourtant que ce dégoût que j'ai de moi-même, ce sentiment de démériter chaque jour, de ne pas valoir l'amour que tu me donnes… […] prends-moi au sérieux, et harcèle-moi, force-moi à donner forme et réalité à ce rêve, oblige-moi à l'avouer, puis à persévérer dans ma folie. […] S'il te plaît, ne me laisse plus en repos. » (11 mars 1965)

*

Outre le désir de tenir sa promesse (« Demain je vais écrire un grand poème indélébile »), Mireille, alors accablée de travaux universitaires, souffre – et elle le dit – de ne pouvoir adresser à l'Amant des lettres aussi longues et riches qu'au début. Elle craint que cela ne lui apparaisse « comme un épuisement du désir, une lassitude. » (6 janvier 1965) Aussi s'engage-t-elle à composer pour lui, à la faveur des vacances, une manière de poème en prose en son honneur. À quoi s'ajoute ce motif : « la raison (très féminine !) de l'oeuvre » promise : mettre au jour des beautés plus durables que les périssables grâces de la chair, te plaire toujours mon amour ; me sauver aussi de la douleur d'une séparation possible […] » (2 juillet 1965)

*

J'ai rassemblé, dans le « Dossier » de L'Amant, avec les ébauches et variantes du texte, les extraits de lettres qui évoquent la genèse de l'œuvre ; je ne les redonnerai donc pas ici. Commencée en juillet 1965 sur la plage d'Agde, Mireille faisant alterner baignades et écriture, la « Célébration de la main » m'est adressée à la fin d'octobre.



*

On n'a guère souligné, à ma connaissance, la nouveauté de l'entreprise. Les femmes qui laissèrent un nom dans la littérature amoureuse disent l'attente, le désir, le regret, l'amertume, « l'honneur de souffrir », l'amant faisant figure d'entité. Une seule, Marguerite Burnat-Provins consacra à l'homme aimé plusieurs ouvrages dont une centaine de poèmes en prose qui parurent, en 1907, sous un titre banal : Le livre pour Toi1 :



« Lorsque j'aurai quitté la robe poudreuse du voyage, je me tiendrai devant toi.



Je déposerai dans tes mains mes seins raidis par le désir : ils te menaceront de leurs deux pointes brunes.



Je t'offrirai mes flancs comme une table polie où paraît, unique, mieux que la figue onctueuse, le fruit au cœur entrouvert qui doit te nourrir et te désaltérer.



Je prendrai tes genoux entre mes genoux, sur tes dents j'appuierai ma langue et dans tes yeux, tout au fond de tes yeux, je regarderai, je regarderai. »



Et Mireille, sur un feuillet où elle esquisse le plan de l'ouvrage :



« La première chose à dire, la première chose que je sache est la réalité sensible : ce corps, ces mains, ces lèvres. »





À peine eus-je achevé ma lecture, que j'écrivis cette lettre, qu'on me pardonnera de reproduire ici.



« Lundi 25 octobre 1965. On peut, oui, inscrire la date ; on peut, oui, pavoiser. J'écrirai peu, pourtant, car il me faut aller prendre quelque repos. J'écrirai peu, car au fond il y a peu à dire. Une œuvre est née ; personne ne le sait encore. Mais elle est bien vivante, irréversible. Belle comme de l'Eluard des beaux jours (celui de Corps mémorable), mais ce n'est pas de l'Eluard, ni du Louise Labé, ni et ni... C'est assez grand pour se passer de parrainage. J'ai eu, en terminant, avant le dîner, ce cri à ton adresse : « Faut-il que je t'aime, pour n'en être pas jaloux, mais heureux au contraire ! » Surtout, ne pas oublier : en trois mois ; et elle a vingt-et-un ans... Au fur et à mesure de ma lecture, cette évidence s'imposait : cette œuvre doit entrer dans le fonds Gallimard. Elle sera adressée par mes soins à M. Lambrichs. Ce n'est que si celui-ci la refusait, ce qui m'étonnerait fort, qu'elle serait envoyée à Morel. (Je m'arrangerai, vis-à-vis de ce dernier ; il n'y a aucun engagement de ce côté.)



J'ai commencé cette lecture avec une manière d'appréhension, mais très vite, tout de suite, s'établit dans la chambre une qualité de silence (d'absence) qui suffit, à soi seule, à témoigner en faveur de pages inouïes. Je craignais le passage du « elle » au « je » : en fait, on est à ce moment-là dans une voiture qui roule bien, mais voici que la conductrice change de vitesse en douceur – et d'un coup on bondit et l'on demeure ensuite jusqu'à la fin (émouvante !) dans une allure irrésistible de grande croisière... J'ai pensé très fort à tes parents, à ta mère, à ton père – à leur fierté. J'ai senti que j'étais un peu plus justifié, aussi et surtout... Sois une heureuse enfant : tu as merveilleusement sauvé le temps de cet été, le temps de notre éternité, tout à la fois ; tu as rendu au centuple ce qui te fut donné, et je savais assez que tu n'étais pas avare. Je te salue, mon beau secret. »



*

Lettre à laquelle font écho ces lignes :



« Est-il besoin de dire que j'ai dormi ayant ta lettre à mon chevet ? […] Combien de fois l'ai-je lue ? L'incrédulité persiste… […] Je savais que si tu te hâtais de m'écrire, cela serait pour me dire des choses réconfortantes. Et maintenant, puis-je te croire ? Se succèdent des accès d'allégresse et des moments d'inquiétude. Mais ne me dissimules-tu rien ? Il ne faut pas craindre de me blesser, Amour…



Je t'interroge avec angoisse : – Tu es sûr que… ? Pourtant, tu as des mots persuasifs, et ceux-ci que je préfère : "J'ai senti que j'étais un peu plus justifié". Sois sûr que si tu n'avais pas été là pour me donner volonté et courage, je serais comme tant d'autres restée velléitaire » (27 octobre 1965)



Mais comment être sûre que le dédicataire de ce texte ne vous a pas louée par courtoisie ? par amour ?



Il est hautement significatif que Mireille ne donna ces pages à lire ni à sa mère, alors que celle-ci aurait pu les accueillir en femme, ni à la « petite sœur » qui, pourtant, fait des études et n'ignore pas les réalités de l'amour. Le seul, en la circonstance qui semble fiable, c'est ce père avec qui les rapports sont… laconiques, mais dont le jugement sera sans complaisance.



Il le fut, et la réaction telle qu'on pouvait la prévoir :



« Mon père m'a rendu la Célébration, en me disant que ce style était trop " difficile" pour son goût ; j'ai alors essayé de me relire, et n'y suis pas parvenue, tant ces pages m'ont paru insipides, boursouflées, vaines… Pas de dégoût, non, mais une parfaite indifférence. Il me faudra prévenir Robert Morel que la promesse d'un autre texte pour l'automne ne sera pas tenue. Je dis cela sans honte. À l'impossible, je ne saurais être tenue. » (13 juin 1966)



Mireille fut bien avisée de ne pas soumettre ces pages à sa mère. Non que le style ait rebuté celle-ci : c'est une autre sorte de reproche qu'elle leur fit et qui, dans une lettre de 1968, s'exprime en ces termes : « je lis lentement, avec admiration, mais aussi quelle tristesse, les textes que vous avez mis au net avec tant d'amour.



« Si vous souffriez moins vous en seriez heureux et fier – mais en ce qui nous concerne… peut-on être plus totalement dépossédé par cette célébration de la main ? Pour les mains qui l'ont tant gâtée, soignée, jusqu'à vous et même après vous… que reste-t-il dans ces lignes ? »



Et, dans une autre lettre également sans date, de la même époque : « […] vous aurez une amère consolation que nous n'aurons pas. Vingt ans d'amour, de soins, de sollicitude… et ce qu'il en reste tient dans quelques lignes de la Revue du Tarn – Enfin cela n'est rien. Plût à Dieu que nous soyons plus dépouillés encore, et mutilés, et amputés et qu'elle vive – pour elle. »



« Enfin cela n'est rien. » Mais l'aigreur est patente. Du moins n'est-il personne ayant approché la petite sœur pour ignorer ces pages de ladite revue – que Mireille a très tôt désavouées : « Je ne suis pas du tout contente que tu aies lu ces pages de la Revue du Tarn qui n'auraient jamais dû paraître. C'est peut-être charmant, cela ressemble à qui j'étais alors, je ne les aurais pas écrites un an plus tard. Maman y aime sa gentille fille. Je ne me veux plus gentille pour… d'autres que toi. En tout cas, c'est bien tout. »



Par parenthèse, je dis que brandir à tout bout de champ quatre pages d'aimables propos (demandés par la revue après le succès au Concours Général) où la famille paraît sous un jour flatteur, quand on sait quelles souffrances morales Mireille dut à l'incompréhension des siens, souffrances auxquelles s'ajoutèrent de torturantes douleurs physiques – que je relaterai, par sa voix ; une fin tragique et prématurée y mettant fin,



je dis que c'est là proprement une imposture. De quoi son auteur devrait bien enfin s'aviser.





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1. Il fut réédité, en 2005, aux Éditions de la Différence.


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Toutes les citations de Mireille sont en italique.


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lundi

1er octobre



en marge du site de mireille sorgue


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Écrire !


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Jadis et naguère, nombre de jeunes filles tenaient le journal intime de leurs émois et de leurs rêves ; bien des adolescents, travaillés par la sève montante, composaient des poèmes – le prurit de l'écriture ne survivant pas, chez la plupart, à l'acné juvénile. Et c'est là que se fait le partage entre les velléitaires (certains le seront à vie), et ceux qu'une vocation impérieuse, souvent exclusive, ne cessera de tourmenter ; entre les polygraphes qui feront profession d'écrire, sans nécessité intérieure, des ouvrages qui ne nous importent, et ceux qui, durement contraints, astreints par leur « daimon » ont, à leur corps défendant, une œuvre à faire. Ce qu'illustre le mot de Claudel : « Avec le talent, on fait ce qu'on veut ; avec le génie, on fait ce qu'on peut. »


*


Quand Mireille écrit : « car j'ai à faire, et c'est écrire », elle traduit la tyrannie que cette activité exerce à présent sur elle et que toujours combattront le doute quant au bien-fondé, pour elle, de s'y adonner, et l'aversion pour ce qui naît de sa plume : « J'eus, depuis mes six ou sept ans, bien des velléités « littéraires ». Je commençai maints journaux. Mais un beau jour, les relisant, je les trouvais si fades et niais que je les détruisais. […] Et sans doute en serait-il de même des pages que je t'envoyai cet automne, à trois ou quatre reprises, si elles étaient demeurées dans l'un de mes tiroirs. L'esprit, dans sa croissance, ne tolère pas les faiblesses passées, et veut en perdre le souvenir. Manque flagrant d'humilité ! Ou peut-être nécessité vitale : je me délivre des tâtonnements, des erreurs d'hier.


Tu t'étonnes de ne pas m'entendre dire : "Plus tard, il faudra que j'écrive." Qu'ai-je besoin d'affirmer aussi péremptoirement une vocation future certaine ? J'écrirai lorsque j'aurais trouvé, les ayant longuement cherchés, mes moyens. Il faut apprendre à parler, apprendre à voir, à "donner à voir". Et je sais que tu m'y aideras. » (15 mai 1963)


Mireille auteur est toute en ces dernières lignes : écrire n'est pas une occupation à laquelle on se livrerait par ennui ou vanité, mais un acte qui doit mettre en jeu toutes les ressources de l'être ; un acte qui s'apparente trop à une conquête, pour qu'on s'y consacre sans préalables.


*


Ceux qui vivent une passion amoureuse tireraient des Lettres le plus riche bréviaire. Ceux que le désir d'écrire harcèle sans repos y liraient, exprimés avec bonheur, leurs aspirations, leurs doutes, leur tenace insatisfaction (et comme elle eût fait siens les propos sur son art de ce Giacometti qu'elle avait admiré à la Fondation Maeght !) Ils y retrouveraient la solitude du créateur et son besoin d'une parole fiable sur son œuvre… Mais comment être sûr que celui qui vous loue ne s'aveugle pas ? « Oh, ce n'est pas que tu risques de me rendre vaniteuse ; seulement, je te l'ai déjà dit, lorsque je reçois de telles louanges, j'ai le sentiment d'un malentendu, d'une confusion de personnes, et que ce n'est pas à moi, de moi, que l'on parle […] » (2 octobre 1963)


Ainsi que chez le véritable artiste, le doute sur la validité de l'œuvre produite prévaudra, souvent jusqu'au décri, jusqu'au déni de celle-ci.


« Écrire, ce souci-là me déchire, que je ne peux apaiser, que je n'apaiserai de longtemps, dont longtemps encore tu devras me consoler. Quel désir est le mien, et quels obstacles j'y trouve, car je n'aurai pas même une heure de chaque jour à offrir à son assouvissement… J'essaie de lire, puisque je le dois – mais à peine ai-je parcouru une page de tel ou de tel autre, que leur exemple m'exaltant, j'étouffe de tout ce moi inexprimé. Mais si je ferme le livre et prends une feuille blanche, je me trouve alors très vaine et vide, impuissante à créer, découragée par la certitude que le lendemain je ne pourrai continuer. Et cela me fait mal à la fin de ne pas faire ce que je veux. Je me suis brusquement levée, laissant sur ma table le Journal de Charles Du Bos dont je n'avais que relu les premières pages, j'ai pris le grand cahier bleu que tu me donnas naguère, et j'ai rageusement écrit une demi-page qui ne se voulait pas belle et ne l'est pas, et que je regrette déjà d'avoir produite tant elle me montre quelle est ma médiocrité. » (24 octobre 1964)


« En tout cas, ce que j'écris est pour moi insipide comme l'eau pure dès que formulé – et si tu ne le conservais, je sais quel serait à brève échéance son sort. Si ce n'est pour toi, je ne crois pas que j'écrirai. Autrefois, je désirais "écrire un livre" ; je n'en ai plus le souci – ni l'ambition, ni le courage, ni la vanité ; surtout me manque la foi ; je ne crois pas en ce que j'écris […] » (12 novembre 1963)


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« Si ce n'est pour toi… » Celle qui écrivait le 12 octobre 1962 : « Ami, je lis cette merveille qu'est Elsa ; j'en ai le souffle coupé. Quand pourrai-je dire ainsi l'amour ? » ; qui affirmait : « je pense qu'il n'y a rien au monde que l'amour, avec la poésie, qui m'occupent, qui m'attirent dans les autres ou les œuvres, et dont je souhaite parler » (6 janvier 1965),


celle-là a trouvé le dédicataire privilégié de ce qu'elle écrira – et elle le lui annonce sans ambages : « Demain je veux écrire un grand poème indélébile à ta jouissance seule […]


Je sais toute parole un défaut du silence, comme une bulle dans la masse cristalline. Mais il entre de la volupté dans l'acte d'écrire, c'est pourquoi je l'accomplirai… Assouvissement…


La voilà donc formulée sans que j'y aie pris garde, la justification que je cherchais, comme ne voulant pas m'abandonner sans résistance à mon désir. Créer pour le plaisir […]


Il m'est égal de mourir toute. Et ce n'est pas tant pour survivre que pour vivre que je veux écrire. J'écrirai comme on fait l'amour. […] (Mars-avril 1963)


Ce dessein fixé, scepticisme et assurance, élan et découragement, ne cessent d'alterner :


« Tu auras beau tenir à ma chair, au plus profond, si je ne me hausse jusqu'à savoir parler et voir comme Toi, je demeurerai en dehors de ta réalité. […] Il faut que je te rejoigne. Par les mots, je sais que j'y pourrai parvenir, par la poésie. […] (12 juin 1963)


« Je pensai d'abord que je ne saurais pas écrire après toi […] Mais je n'ai plus cette crainte. Tes mots éveilleront les miens qui leur serviront d'assise, ou de bague, ou d'obstacle, ou de bogue ou d'amande. Nous nous répondrons aussi. Peut-être nous nous érigerons. […] (25 juin 1963)


« Cet amour dont j'habite si juste les limites, saurai-je le dire ? Tu m'assures que oui, je doute encore. » (5 novembre 1963)


« Bien sûr que j'ai grand envie de "devenir une moderne Louise Labé" puisque tu crois que je le peux […] (17 décembre 1963)


« … il me semble que je trompe tout le monde et moi-même, que je n'écrirai jamais rien. Mais tu es là, et tu ne me laisseras pas m'enliser. » (30 septembre 1964)


« Et moi aussi je veux être féconde. Peut-être n'est-ce que pour te ressembler ? Ou plutôt pour m'accomplir selon ton désir. » (23 juin 1965)


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De fait, on peut douter de l'utilité d'ajouter une page à tout ce qui fut écrit à la louange du printemps, de la rose, du ruisseau ; mais non de la seule chose qui vaille ici-bas, inséparablement de la poésie : le sentiment amoureux. Mireille qui connaît, enregistré par l'auteur, le « Dit de la force de l'amour », d'Eluard, et ses injonctions (« Un amoureux qui parle est un poète et ce qu'il dit efface le temps qui l'isole de l'objet aimé. Il donne à l'amour une vie constante, invincible. Il s'éternise.


« […] hommes, femmes qui perpétuellement naissez à l'amour, avouez à haute voix ce que vous ressentez, criez « Je t'aime » par-dessus toutes les souffrances qui vous sont infligées, contre toute pudeur, contre toute contrainte, contre toute malédiction, contre le dédain des brutes, contre le blâme des moralistes. Criez-le contre tous les avatars de la vie, contre l'absence, contre la mort. […] »1, Mireille emploiera désormais le meilleur de son temps à clamer son amour, à le filigraner de ce qui devrait lui être consubstantiel : la poésie. Pour la « jouissance » de l'être aimé ? Certes, mais aussi, comme elle en a conscience : pour (mieux) vivre.


Et quel amour est le sien, ainsi que chez tous les êtres épris d'absolu !… Écartant les expressions d'amour passion, d'amour absolu, d'amour total, Benjamin Péret2 voit dans l'amour sublime « le lieu géométrique où viennent se fondre en un diamant inaltérable, l'esprit, la chair et le cœur. » Et il ajoute : « Certes, il advient que ce diamant soit tout ténèbres et qu'un appel de mort en émane, mais il n'en brûle pas moins d'une flamme aussi pure. […] L'amour sublime apparaît comme un sentiment qui comble toute la vie du sujet reconnaissant dans l'être aimé l'unique source du bonheur. L'objet d'amour est devenu aussi essentiel au cœur que l'air à la vie physique. »


« C'est donc le cri de l'angoisse humaine qui se métamorphose en chant d'allégresse. »


« L'amour sublime est l'accord parfait entre deux êtres harmonieusement appariés. »


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C'est ce « très haut amour» partagé, déjà « sublime » en soi, que Mireille, par la magie de son écriture inspirée et dominée, chamarrée de poésie, va porter à son extrême degré de sublimation.


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1 Paul Eluard, Le Poète et son ombre, Seghers, 1963.


2 Benjamin Péret, Anthologie de l'amour sublime, Albin Michel, 1956.


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