* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


mardi

EN MARGE DU SITE DE MIREILLE SORGUE

NOTE 2
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Cette note complète la série des textes parus sous le titre « En marge du site de Mireille Sorgue » (juin 2009 - juin 2010)
 *
Craignant de se faire oublier, la « petite sœur » chez qui l'opiniâtreté est une vertu cardinale, enjoint, une nouvelle fois, le Conseil Général du Tarn-et-Garonne de lui restituer ce que dont, dans le fonds Mireille Sorgue dont il est à présent propriétaire (par legs), un vil suborneur s'est emparé ; autant dire, tout.
A mon notaire, soucieux d'y voir plus clair, j'ai conseillé de lire, sur mon blog, la chronique en quinze chapitres « En marge du site de Mireille Sorgue ».
Ce qu'il m'en a dit ? « On peut concevoir l'amertume de la « petite sœur » de voir Mireille vous désigner pour exclusif exécuteur testamentaire quant à ses écrits. (chapitre XI, Le testament). Car Mireille avait une sœur, certes coquette en diable, « aux terribles coups de griffes », mais cultivée, passionnée de littérature, comme sa mère, ayant en ce domaine un goût très sûr, le sens des valeurs, et qui allait, pour la seconder, s'entourer d'admirateurs authentiques et non désireux de se faire valoir. (Aussi a-t-elle pu, en toute justice, les mettre  à l'honneur en maintes occasions -chapitre XIV, Exister )
Une soeur, de surcroît, d'une grande distinction de sentiments ; ainsi, « au nom de la vérité » - quitte à malmener sa native et sourcilleuse délicatesse – a-t-elle bien souligné à la ronde que sa sœur s'était suicidée (chapitre X, La fin ) ».
Et mon avocat de poursuivre : « Et vous voudriez l'empêcher d'éditer les inédits, alors que dans L'Amant réédité en livre de poche, elle a donné sa mesure en fait de critères éditoriaux, que ce soit pour la magistrale préface, ou dans les remerciements; l'individu qu'elle hait à bon droit étant tout juste bon à ces besognes subalternes que sont l'établissement et l'annotation d'un texte  (encore a-t-il multiplié les coupures - chapitre II, Les coupures - qui pouvaient le gêner). On se demande d'ailleurs comment Mireille a pu s'aveugler au point de célébrer un être aussi médiocre… »
Ainsi ne me parla pas mon notaire.
Je vais donc redire aux responsables du Conseil Général du Tarn-et-Garonne que le fonds Mireille Sorgue sera inventorié, et l'inventaire mis en ligne, quand l'œuvre tombera dans le domaine public. Sa communication étant ouverte aux chercheurs dans les conditions que j'ai déjà formulées; l'ayant-droit patrimoniale exclue.
« J'ai tout mon temps » m'écrivit cette dernière en manière de défi. Moi aussi : rien qui vous tienne en belle santé comme d'être l'objet d'une inexpiable détestation. 
Et rien de tel qu'une haine bien recuite pour vitrioler un visage de femme et le révéler tel que le fard le dérobait, pareil à celui des Vieilles de Goya. Ce dévoilement se faisant dans une solitude grandissante. Car les yeux s'ouvrent, me dit-on, tant il est vrai qu'on ne peut toujours faire illusion.
*
* * *  
*
Le texte habituel du quinze du mois (ici, la fin de Maigre immortalité) est à la suite de cette Note, en date du 15 novembre.






samedi

15 novembre 2014 MAIGRE IMMORTALITE (fin)




 MAIGRE IMMORTALITE (fin)
*
     Faut-il poursuivre, en augurant, avec tous les risques d'erreur, de la situation présente de la poésie, les recueils du XXe siècle qui ont chance de survivre ?
    Aux causes circonstancielles du déclin des Lettres que dénonce Valéry dans « L'Avenir de l'Intelligence », « La Crise de l'Esprit », d'autres me semblent condamner la poésie, genre littéraire longtemps révéré, sommité des activités de l'esprit ; le poète faisant figure de prince.
 *
     J'ai grandi dans une campagne qui n'avait changé depuis des siècles. Mi-plaine, mi-bocage, elle admettait la haie, et l'arbre. De ceux-ci, il en était qui, par leur taille, leur silhouette, proclamaient leur essence : « Je suis le chêne ; je suis le peuplier. Je dis les saisons ; je compose avec le vent, l'averse – et je regorge d'images pour qui sait voir et prend le temps de contempler … » Ce que disaient, à leur façon, les fleurs sauvages au bord des fossés, les nuages d'Ouest ou de beau temps … Et l'enfant que je fus se faisait éponge et commençait de tendre des « comme » et des « tels que » au sein du visible, heureux d'en retrouver confirmation dans les poésies qu'on apprenait en classe, par cœur et, pour moi, avec cœur.
La haie et l'arbre devenus obstacles, on fit table rase, et il n'y eut plus même de chemins creux pour école buissonnière. Dès lors, quelles alliances percevoir ou tisser entre une terre asservie au seul profit, bâillonnée de n'être qu'une étendue, et un espace aux rares échanges entre oiseaux ?
    Une source fut tarie, et les vers qui célébraient la nature se virent privés de caution.
 *
    Les jeunes filles « à l'ancienne » chérissaient le lyrisme. Il est si malaisé d'exprimer l'exaltation d'un cœur aimant, le navrement d'un cœur blessé … Par chance, des poètes avaient eu des cris que l'on pouvait faire siens et qui, par la mélodie sous-jacente, se gravaient sans peine en la mémoire. Et qu'il y avait de contentement à se les redire ; à ne pas se sentir seule dans la joie ou l'affliction !
    On n'a plus le loisir de rêver ; les sentiments, qui causèrent tant de déboires à nos aïeules, doivent être tenus en bride, et leur expression peut s'accommoder du laconisme, voire de l'implicite.
    «- La poésie amoureuse convenait aux oisives, aux romanesques, aux esseulées ; à celles qui croyaient au pouvoir des mots et rêvaient de soupers aux chandelles, et autres appeaux, autres leurres.
    « Nous sommes à présent des filles positives, des femmes sans franges, pour qui accoler amour et toujours ne mérite que dérision. »
 *
    Le coup de grâce porté à la poésie sera venu de penseurs en chambre, convaincus qu'elle procédait du seul intellect.
    La poésie classique, corsetée, nous fait rarement oublier le labeur du poète. Nous voyons celui-ci multiplier les « coups de dé » afin de se soumettre aux règles de la prosodie. Nous percevons la raison gouvernée par la rime, parfois jusqu'au burlesque involontaire ; le mètre imposer des chevilles, ou engendrer l'obscurité. Ce qui conduit le lecteur de La Jeune Parque à dire, à son auteur, que si l'esprit peut se nourrir de gemmes, de joyaux, le corps aspire parfois à prendre part au festin.
    Du moins les poèmes de tous les temps qui ont survécu conjuguent-ils  – éléments consubstantiels au poétique – pensée, rythme et sonorités. Ils infléchissent notre souffle de leur respiration propre ; leurs agencements sonores font, de notre corps, une caisse de résonance ; ils nous délivrent des images qui vont nous conduire, dans le visible ou nos ténèbres, d'évidence en évidence. D'où notre sensation d'être accru, d'avoir mieux part à l'intelligence du créé.
 *
    Il faut beaucoup de naïveté ou d'outrecuidance, pour penser que, « pulvérisé » (un titre de René Char), le « poème » conservera ses pouvoirs de faire, de l'être entier, un réceptacle tout d'assentiment au message qu'on lui adresse. Que le moi dont on a dédaigné tant de ressources, est disposé à une adhésion autre que cérébrale, et qu'il est enclin à préserver en lui le dit d'un poète qui fait si manifestement fi de la mémoire.
 *
    Tel est le discrédit présent de la poésie, que la seule vue d'un poème en vers réguliers fait fuir nos yeux ; l'alexandrin entre tous les mètres, n'ayant plus droit de cité.
    Non qu'il suffise d'aligner des vers mélodieux : sinon, un Albert Samain, une Anna de Noailles, un Henri de Régnier, auraient encore maints fervents. Mais qu'est une poésie qui ne s'inscrit aussi en notre part viscérale, fût-ce, comme sur la roche, l'empreinte des fougères fossiles ?
    On abuse et le regard et l'esprit, quand on dispose en lignes parallèles, inégales, une prose exsangue ou qui semble de la poésie traduite. On les abuse en faisant voler en éclats sur la page, une troupe de concepts, de mots, qui n'ont d'affinités, et dont la rencontre, chez le lecteur, ne produit de lueur.
    Et c'est ainsi que la poésie devient une langue morte qui ne sera lue, demain, que par devoir, ainsi qu'on fait ses « humanités » ; des « pédagogues » nous exposant l'inutilité d'étudier « Le Promenoir des deux amants », « Le Balcon », ou « Le Bateau ivre ».
    Prose déguisée ou désintégrée, la « poésie » présente et à venir est vouée à être lue comme telle et à passer sur le lecteur ainsi que l'eau sur les feuilles cireuses.
    Genre exténué, désuet, on la lira sans que notre système organique, sensitif, y ait la moindre part. et de sourire, si on les rencontre, des cris de gratitude envers elle qu'ont pu pousser de grands poètes. « Poésie, raison sacrée », s'exclame l'un, la poésie « mode de vie – et de vie intégrale », assure l'autre, cependant qu'un troisième, rêve d'« une vie recluse en poésie ».
    « À la question toujours posée : "Pourquoi écrivez-vous ?" , déclarait Saint-John Perse, la réponse du Poète sera toujours la plus brève : "Pour mieux vivre" »
    Mais qu'avons-nous à faire du « Grand Testament » de Villon, ou des Odes à Cassandre ? Quel besoin avons-nous d'images poétiques ? Les millions de pixels de mon appareil me permettent d'obtenir, en un clin d'œil et sans effort, l'image qui seule m'importe : celle que me procure le seul dieu qui vaille – le seul qui subsiste – à présent que la terre, les ondes et les cieux en sont dépourvus : l'Instant.
 *
    Pourtant, que se consolent les innombrables dont les livres prendront place dans la bibliothèque des ILLISIBLES. Il se trouvera bien l'un de ces esprits qu'aucun écrit ne rebute, pour gloser sur l'homme et l'œuvre aux fins de paraître, avec satisfaction, dans la « Revue d'Histoire littéraire de la France » !
 *
    Mes choix sont subjectifs, partant, aventureux ? Assurément.
    Ils sont d'un homme du XXe siècle qui trouva, dans son temps, beaucoup à admirer. « J'aime à louer. Je suis heureux quand j'admire », disait Diderot dans son « Salon de 1750 ». D'un homme qui voudrait que les générations futures prissent autant de plaisir que lui à la lecture, pêle-mêle, de La Symphonie pastorale, du Diable au corps, de La Jument verte, du Rivage des Syrthes, des Mémoires d'Hadrien… Et l'on pourrait poursuivre le liste à l'infini, tant le XXe siècle aura compté, dans tous les domaines de l'esprit, de talents et de génies. Au point, pense-t-on, de pouvoir nourrir, à soi seul, les aspirations, curiosités, inclinations, de foules de lecteurs futurs.
 *
    Augurer de ce qui en survivra est d'autant plus déraisonnable, utopique, que ce trésor de l'esprit rencontrera des êtres gavés d'images, fixes ou animées ; que les préoccupations d'ordre spirituel auront déserté pour la seule quête de l'immédiat et de toute nouveauté. Des êtres à qui des critiques qui n'auront eux-mêmes connu que l'éphémère, persuaderont, semaine après semaine, que de nouveaux chefs-d'œuvre ont paru, à connaître au plus tôt.
    Cependant que feront florès ceux qui se donnent pour mission de divertir, au sens pascalien, leurs semblables accablés de la difficulté de substituer en un monde minéral.
    bien que l'ultime chance qu'auront Raboliot, Derborence, ou Le Mas Théotime, sera l'apparition, dans quelques âmes simples, de ce sentiment doux-amer : la nostalgie.
*
    « Maigre immortalité »… Me revient ici la voix de Chateaubriand retrouvant Vérone, dix ans après le Congrès de 1822.
    « Combien s'agitaient d'ambitions parmi les acteurs de Vérone […] ! Que d'avenirs rêvés […] ! Faisons l'appel de ces poursuivants de songe […].
    « Monarques ! Princes ! Ministres ! Voici votre ambassadeur, votre collègue revenu à son poste : où êtes-vous ? Répondez. »
Suivent vingt noms de dignitaires avec, en face, répétée comme un glas, la mention : « mort ». Noms auxquels il serait aisé de substituer des noms d'écrivains du XX siècle qui furent glorieux. Et la conclusion du mémorialiste vaudrait pour eux : « Qu'est-ce donc que les choses de la terre ? »
    Sauf que Chateaubriand ajoute : « […] mais, ô puissance du génie ! aucun voyageur n'entendra jamais chanter l'alouette dans les champs de Vérone, sans se rappeler Shakespeare. »
    Et qu'il suffit de remplacer Vérone par Illiers-Combray et Cabourg, pour Proust ; Tipasa et Lourmarin, pour Camus, pour apaiser leurs mânes, à supposer qu'elles craignent encore l'oubli – seule véritable mort pour un créateur.
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Ouvrages critiques cités
Gilbert Joseph : Une si douce Occupation, Albin-Michel, 1991.
Bianca Lamblin : Mémoires d'une jeune fille dérangée, Le grand Livre du Mois, 1993 ; Le Livre de poche, 1994.
Michel Onfray : L'Ordre libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus, Flammarion, 2012, et Éditions « J'ai lu ».
Renaud Meltz : Alexis Léger dit Saint John Perse, Flammarion, 2008.

dimanche

1er Novembre 2014 MAIGRE IMMORTALITE (3)


MAIGRE IMORTALITE     (3)

Proust, dans Le Temps retrouvé, observe : « La vanité de la littérature de notations, d'un art soi-disant "vécu" est telle qu'on se demande où celui qui s'y livre trouve l'étincelle joyeuse et motrice capable de le mettre en train et de le faire avancer dans sa besogne. »
Une remarque que l'on se fait, à lire tant d'ouvrages écrits sans nécessité intérieure. Ce qui ne viendrait à l'esprit devant l'héroïque entreprise d'À la Recherche du Temps perdu.
C'est en foule que, par le monde, les meilleurs lecteurs se rendent, se rendront en pèlerinage dans la Basilique aux multiples absidioles que Proust édifia.
Ainsi qu'en foule on se presse aux expositions des Impressionnistes, mû par la nostalgie d'un monde originel, comme jamais entrevu ; en quête de ces « vrais paradis » dont l'auteur nous dit qu'ils sont ceux « qu'on a perdus ». En quête d'un temps évanoui, retrouvé, grâce à une « mémoire affective » qui n'a de rapports avec la mémoire volontaire.
Nous n'avons plus le loisir de contempler, pas même de voir. Chaque page de La Recherche est une nasse aux mailles imperceptibles que l'on vient de retirer, luisante, grouillante d'images, de métaphores qui « donnent à voir ». Proust interposant, entre le réel et nous, loupe, microscope, et nous entraînant dans un labyrinthe de sensations en volute, soumis à modulations, qui d'abord semble inextricable, mais qu'un subtil fil d'Ariane nous permet de traverser jusqu'à déboucher sur une vérité qu'enferme une formule mémorable, illuminante.
Traversées les apparences, et retirée la taie que nous avions sur les yeux, se révèle un monde où fourmillent les analogies, les connexions et les alliances que la raison avait dissociées ou travesties – nous rendant l'unité sensorielle, et comme extatique, du réel, dans son ampleur et sa minutie.
Et quelle n'est pas notre émotion à découvrir que nos sens ont gagné en étendue, en acuité, en pouvoir de discrimination ! Que nous sortons, de notre lecture, ondoyé comme nouveau-né, mieux armé pour l'introspection, enclin à déceler la merveille sous la banalité, accru dans notre vie affective, sensorielle …
À peine celui qui a « le goût du monde féminin » peut-il regretter que la nature de l'Auteur n'ait pas permis au Narrateur de nous donner, avec le même bonheur d'expression, une évocation plus authentiquement « vécue » des relations charnelles avec les femmes aimées.
*
 « Tiendriez-vous les romans de Malraux, de Camus, pour sans avenir ? »
Nullement ; mais ne faudrait-il pas le génie de leurs auteurs pour en parler décemment ?
Contrairement aux romanciers qui ne quittent leur bureau, Malraux « donne à voir », par expérience. La description de la forêt tropicale quand l'abordent Claude et Perken dans La Voie royale est de qui a connu les lieux. Et les phrases touffues, surchargées d'images, restituent cet univers végétal où l'homme se dissout.
« Quel acte [y] aurait de sens ? »
Malraux n'a pas attendu Sartre pour dénoncer l'absurdité du monde. Ce qui va le conduire à la refuser par une action qui est quête de soi, tentative pour se dépasser. Que ce soit en Indochine, en Espagne, en France occupée, il se sera engagé dans l'Histoire en train de se faire ; ce qui vaut bien l'engagement, la littérature « engagée », élaborés entre la rue Bonaparte et le Café de Flore, au terme d'Une si douce Occupation.
Malraux, lui, cherchera, et jusque dans Le Musée imaginaire, cet « anti-destin » toutes les modalités « de la force et de l'honneur d'être homme ».
Si, dans les siècles futurs, l'esprit a survécu à la « Crise » que Valéry annonçait, il se trouvera des lecteurs pour goûter cette écriture dense, fiévreuse, abrupte, elliptique ; cette composition par séquences, le fil conducteur sous-jacent, qui permit à l'auteur de tirer de son roman L'Espoir, le film magistral que l'on sait.
 *
Nous savons, par Madame de Beauvoir, que Sartre urina sur la tombe de Chateaubriand. Je vois, dans ce geste puéril, celui d'une âme basse assez accordée à la muflerie de l'amant envers les maîtresses « contingentes » que lui fournissait sa compagne ; aux basses attaques du couple envers Camus.
Les génies ont le pouvoir d'indisposer les médiocres. Quel florilège on ferait des jugements de ceux-ci sur Balzac, Hugo, Baudelaire … « Je dénonce l'emphase, l' "illusion lyrique", les inexactitudes esthétiques, de Malraux. Je lui suis donc supérieur » . Malraux ? « Un Bossuet verbomane et trotskysant ». On imagine la satisfaction de l'obscur folliculaire d'avoir si bien « réduit » Malraux, à la façon des Jivaros.
À quoi répond Georges Mounin, en 1946 : « Sur le chemin de Sartre, le Malraux de 1939 était déjà plus loin que Sartre aujourd'hui. »
*
Oublier Camus ? Le Camus lyrique de L'Exil et le Royaume et de Noces, qui aurait pu dire, comme Bernanos : « Quand je serai mort, dîtes au doux royaume de la terre que je l'aimais plus que je n'ai su dire. » Oublier le chantre du soleil, de la mer, et de tout ce qui réjouit, épanouit nos sens ?
L'avenir aura grand besoin de ce Camus-là, comme il aura besoin du Camus fraternel, solidaire, appelant à la révolte collective, afin de «  créer du bonheur pour lutter contre l'univers du malheur ». De l'artiste qui fut, toute sa vie, mû par une exigence de justice et de liberté, servi, au surplus, par des styles qui, toujours respectent le lecteur – du style dionysiaque des premiers ouvrages, exaltant la communion des hommes entre eux et avec la nature ; de «  l'écriture blanche » de L'Étranger, jusqu'au style classique de la fin qui lui valut le reproche de trop bien écrire. Ce qui est oublier le mot de Proust : « en littérature, seul le beau, le musical, est juste, vrai. »
Camus eut, bien sûr, ses détracteurs, ses ennemis. Et le dénigrement tenace pour l'auteur de L'Homme révolté se trouve attesté par « Les Temps modernes » et les Mémoires de Mme de Beauvoir. Comment le Couple aurait-il pu pardonner à Camus d'être authentique, lui ? Qu'il s'agisse de Résistance, de dénonciation du marxisme, de toute une vie de dignité, il ne pouvait être que la mauvaise conscience de Sartre.
(Que ses mânes, seraient-elles encore meurtries de tant de coups reçus, se rassérènent : les yeux s'ouvrent.)



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