* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


lundi

1er mai L'écriture au féminin II (3)


L'ECRITURE AU FEMININ II
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La Vieillesse selon Simone de Beauvoir
3
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Roland Barthes, dans Le Degré zéro de l'écriture, voit dans L'Étranger, l'exemple d'une « parole transparente », d'une « écriture indicative » « de journaliste », « impassible » ou « plutôt une écriture innocente », par laquelle s'accomplit « un style de l'absence qui est presque une absence idéale du style […] »
Je n'aurai pas l'outrecuidance de chiffrer le degré de l'écriture dans La vieillesse, ouvrage valeureux, d'inspiration généreuse et d'une information qui confond. Je sais seulement que nous attendons encore qu'une femme « qui sache qu'écrire est un art », quitte à s'exposer au reproche fait à Camus de (trop) bien écrire pour être crédible, nous dise, par un Journal rédigé avec une lucidité suraiguë, ou par le biais d'une œuvre de fiction, ce qu'elle éprouva quand les hommages masculins qui l'importunaient par leur fréquence et leur lourdeur, se firent plus rares ; quelles griffures de l'âme lui causèrent le premier cheveu blanc, la ride qui ne devait rien au sourire ou à l'étonnement, l'encombrement de la taille, la démission des seins. Et comment vivre une ère d'indéfinis renoncements dans la mise, les fêtes, les loisirs, la vie affective …
Comment vivre la désaimantation d'un corps, quand il garde, lui, des exigences qu'il faut taire. Ce qu'il ressent, déjà, quand les caresses qui lui donnaient le courbe éclat d'un pommeau de merisier, se font réticentes, embarrassées qu'elles sont par la granulation, la flaccidité de votre peau.
Quelles pensées viennent à celle qui s'interroge : « Ai-je passé le temps d'aimer ? Celui de l'être ? », ou qui retrouve une liasse de lettres d'amour, des portraits du temps où un homme, des hommes, se donnaient l'illusion, par la photographie, d'avoir prise sur elle. Et passe encore, en leurs clichés, leur convoitise irritée de ne jamais posséder, de votre corps, que son image – alors que vous n'avez plus que le statut de figurante ou de donatrice, dans les tableaux de famille.
« Regardez-vous toute votre vie dans une glace, dit Cocteau dans Orphée, et vous verrez la mort travailler comme des abeilles dans une ruche de verre ».
Quelle femme nous dira ses rapports, au fil du temps, avec les glaces et les miroirs ? On les enfermait autrefois en de riches bordures de bois, de métal ouvrés – pour donner à la beauté qui s'y mirait un cadre digne d'elle ?; pour balancer les ravages des ans ? Ceux du logis se laissent apprivoiser, c'est affaire d'éclairage, d'approche selon un angle favorable. Mais, au dehors, les glaces des magasins – à l'état sauvage – plus promptes que vous, ainsi que toujours le regard que vous décoche la mer précède le vôtre, vous cinglent à pleine face, d'une image où vous lisez votre défaite.
Irrécusables, sont cette peau jadis au plus juste, qui s'engrisaille, se fronce, et laisse sourdre l'envers qu'elle contenait si bien ; ce visage d'une inconnue qui pourrait être votre aïeule.
Pour avoir mesuré les pouvoirs sur l'homme de son apparence quand ses contours étaient ciselés, la femme vieillie à la « sincérité intrépide » que nous appelons de nos vœux, ne devrait nous taire ses confrontations successives avec la glace de la salle de bains ; ses sentiments devant le portrait d'elle qu'une eau douce devenue eau-forte lui renvoie. Le temps écaille les peintures sans en rien révéler qui ne soit connu. Mais le visage qui se distend, se fissure, laisse transsuder ce que le vernis de la jeunesse nous masquait.
Nous importeraient les états d'âme de celle qui voit sa mansuétude intrinsèque s'épandre sur sa face, estomper ses rides ; à demi combler, comme brume de vallée, les sillons qui mettent sa bouche amincie, désaffectée, entre parenthèses.
Mais bien davantage les pensées des femmes chez qui l'écaillure du visage met à nu, désormais patentes, l'inanité, la bêtise ou la vilenie, et que leur miroir vitriole de la grimace figée, indélébile, des Vieilles de Goya.
Il n'y eut jamais, chez elles, de lampe intérieure ; mais une peau dense, un modelé plaisant, captaient, s'assimilaient l'éclat du jour, se conciliaient les regards. Que les traits se distendent, que la peau ternisse, et le visage laisse paraître l'assise, ainsi qu'élimée, une riche étoffe montre sa trame.
Raviné, délaissé des regards, il devient figure – et qui n'a jamais rencontré celles d'étourdissantes caqueteuses dont certaines maniaient avec brio, un rien forcées, exclamations de surprise et d'admiration ?
Encore, les entendant jouer leurs sentiments, ne percevions-nous que leur futilité sous-jacente. Mais est-elle éteinte, la race des commères qui, dans les petites villes de province, écartaient le coin d'un rideau de fenêtre ?
La vie est, pour chacun, une mise à découvert. Celle-ci a plus de rigueur pour la femme dont les grâces extérieures dissimulaient la noirceur d'âme. Pour elle, qui ne peut plus s'avancer « masquée », la défroque charnelle procède, à l évidence, jusqu'à la caricature, des manques, petitesses et vices du tuf. Voici, manifestes, l'acrimonie, la dureté, la hargne foncières. Elles marquent non moins des visages de vieillards ? Mais, les voyant, avons-nous alors le sentiment d'une imposture qui aurait pris fin ?
C'est que longtemps, notre convoitise aidant, la femme peut faire illusion ; l'homme inférant, du dehors, une vie intérieure accordée à l'apparence.
La vieillesse n'est, au féminin, trahison, motif à déplorer une « marâtre nature », que pour celles dont la vie, le commerce avec autrui, trouvaient en leur aspect, cette conformité de forme et de fond qui nous réjouit dans un beau style.
La femme d'âge qui voit faire surface, avec la gangue originelle, ses carences d'âme et de cœur que pulpe et carnation nous déguisaient, aurait-elle le courage de se dire – de l'écrire : – « Je ne puis plus donner le change. Se peignent à nu ma difformité de cœur, mon étroitesse d'esprit, une malignité active qui n'eût de trêve – que les fards, loin de les voiler, accusent. Et je conçois que les regards se détournent d'un visage cisaillé, distendu par la malveillance. Ce que je ferais, me rencontrant. »
Ce qui précède n'est que linéaments d'un univers charnel, mental, affectif, à inventorier et à traduire. Alors porterions-nous sur nos compagnes vieillissantes, sur leur difficulté de composer avec le temps, bien plus grande que la nôtre, l'empathie que ne sut tout à fait tirer de moi le savant, le volumineux ouvrage que je referme.
Du moins en garderai-je, pour mon usage, ces paroles judicieuses : « Pour que la vieillesse ne soit pas une dérisoire parodie de notre existence antérieure, il n'y a qu'une solution, c'est de continuer à poursuivre des fins qui donnent un sens à notre vie : dévouement à des individus, des collectivités, des causes, travail social ou politique ; il faut souhaiter conserver dans le grand âge des passions assez fortes pour qu'elles nous évitent de faire un retour sur nous. »
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
L'âme, le cœur et la chair confondus et dispersés ainsi que le sont mes cheveux par grand vent : la terre est mouvante aujourd'hui…
Avec toi, je puis accepter ce qui altère ou détruit – et d'abord le temps.
Vieillir ? Avec toi, oui, je consens à vieillir.
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L'amoureux
Il faut se conduire, dans l'amour, comme si – tels les dieux de l'Olympe – l'éternité nous était consubstantielle.
« Ma gloire est sur les sables », dit le Poète. Et moi, plus modestement, je tiens que ma gloire est sur ton corps. La gloire de mes mains. Et je l'affirme : je ne me passerai pas de cette gloire-là !
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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samedi

15avril L'Ecriture au féminin II (2)

II LA VIEILLESSE SELON SIMONE DE BEAUVOIR
2
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Se déploient en l'essai de Simone de Beauvoir les ressources d'un esprit éminemment, exclusivement logique ; et comme celui du lecteur n'est pas dépourvu de cohérence, qu'il goûte le jeu des idées, il peut anticiper sans grand risque d'erreur le mot qui va suivre. Avec l'écrivain de race, c'est un autre mot qui va survenir, inattendu mais fort d'une évidence qui nous le fait paraître irremplaçable ; d'une nécessité qui nous surprend et nous convainc dans la même impulsion. Un mot à longues franges, ou dont le sillage nous rappelle celui qu'un vin généreux laisse en notre gorge.
L'entendant, notre attention s'accroît, comme si tout le corps se mettait en état de mieux percevoir ce qui, exprimé de façon si étrange, lui donne un sentiment d'aubaine.
Un conférencier, un professeur, s'adressent à un auditoire. Voici qu'on nous parle, en manifestant une telle suprématie de vision, de formulation, que nous lui faisons d'emblée soumission. Quelqu'un nous fait paraître approximative, émaciée, toute autre voix que la sienne..
Ainsi fait la rumeur marine ou l'expiration forcée, indéfinie, d'une forêt sous le torse du vent. Ainsi fait – et cette voix aussi semble descendre de l'éther – l'alouette invisible qui disperse ses trilles à la ronde, et l'azur en brasille.
Nous écoutions un être bien-disant. Celui qu'on nous cite est parfois sans manières ; un grammairien sourcilleux critiquerait sa manière d'assembler les mots. D'où vient donc son pouvoir d'alerter d'autres sens que notre ouïe, d'autres facultés que notre entendement ? De nous faire aller, avec bonheur, de menues surprises en infimes dérangements, remises en cause ? Puisque nous comprenons l'auteur cité, c'est donc qu'il parle le langage qu'on nous apprit, sauf qu'il ne fait pas le même usage que nous du lexique ; qu'il sait ménager, entre les mots, des mariages et de raison et d'amour ; qu'il image son propos. Et c'est ainsi qu'on voit des unions saugrenues voire improbables, avoir une postérité refusée au commun, à croire que sa parole, telle celle de l'Esprit fécondant Marie, a des vertus séminales qui opèrent sur tout notre être.
Notre intellect acquiesce quand on lui assure qu' « aucune impression cénesthésique ne nous révèle les involutions de la sénescence. » Ou que, pour comprendre comment le sujet vit sa vieillesse, « on ne peut prendre de celle-ci ni un point de vue nominaliste, ni un point de vue conceptualiste. » Mais celle qui nous parle est si consciente des limites de son discours, qu'elle nous dit : « L'écrivain […] ne prétend pas livrer un savoir, mais communiquer ce qui ne peut pas être su : le sens vécu de son être dans le monde. Il le transmet à travers un universel singulier : son œuvre. L'universel n'est singularisé, l'œuvre n'a une dimension littéraire que si la présence de l'auteur s'y manifeste par le style, le ton, l'art qui porte sa marque. Sinon on a affaire à un document, qui livre la réalité dans son objectivité impersonnelle, sur le plan de la connaissance extérieure, et non en tant qu'intériorisée par un sujet. »
Le mélomane sait distinguer, dès les premières mesures, Chopin de Liszt, Mozart de Haendel. Un bon lecteur sait, dès les premières phrases, quel grand auteur s'adresse à lui. Ne lui aurait-on pas indiqué qui on allait citer, qu'il ne s'y tromperait pas. « Hier soupire l'un ! Demain, soupire l'autre ! Mais il faut avoir atteint la vieillesse pour comprendre le sens éclatant, absolu, irrécusable, irremplaçable de ce mot : aujourd'hui ! » – Cette véhémence martelée, ces mots qui chargent, se serait dit le lecteur, c'est bien là Claudel. Le propos que l'on me cite à présent, scrupuleux, dont les termes sont pesés au trébuchet, c'est tout Gide ! Et si l'essayiste m'avait mis sans préambule devant le fier incipit : « Grand âge nous voici ! … âge de braise et non de cendre ! … », je me serais exclamé : « Et voici Saint John Perse ! » En revanche, comment, privé de référence, le même lecteur pourrait-il attribuer avec sûreté le discours qu'on lui tient à tel auteur entre mille ?
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
Que j'ai de plaisir à marcher avec toi dans les rues, quand on s'effleure, se heurte à peine, tant on s'éprouve, on se veut proches… (« Viens dans ma poche !… » me disait ma mère, agacée de cette entrave à son flanc.) Sans compter ce que tu me glisses alors à l'oreille !
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L'amoureux
Tu me fais vivre dans le luxe – et d'abord dans l'ordre temporel où j'accueille désormais les heures avec une avidité qu'on pourrait qualifier de douce rage de vivre. Mais tu connais bien sûr ce présent où l'on devance le temps, fort de tout le passé.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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dimanche

1er avril L'Ecriture au féminin II (1)



L'ÉCRITURE AU FÉMININ

II LA VIEILLESSE SELON SIMONE DE BEAUVOIR
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1
µ

« Il y a quelque chose que personne n'a jamais fait et qui serait un sacré livre, c'est le livre de la vieille femme. Cette expérience d'après, qui est très grande, qui n'a presque plus de mots. Je veux dire que les mots n'expriment guère ; qui est en quelque sorte au-delà des mots et qui est une expérience très profonde, biologique. La grand-mère qui ne serait pas un personnage ridicule de chansons, mais quelqu'un qui dirait la vérité. Ce serait une création extraordinaire, alors que le grand-père, on s'en fout. »
(André Malraux à Madeleine Chapsal, 1976)
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André Malraux avait-il lu La Vieillesse de Simone de Beauvoir paru en 1970 alors que l'auteur avait 62 ans ? Fruit d'un long labeur, l'ouvrage vaut par la fermeté, la clarté du propos, l'ampleur et la diversité des lectures préalables à sa rédaction. L'exposé, qui se veut exhaustif, entend dénoncer la condition faite aux vieillards en nos pays « civilisés ».
Le propos est daté ? Notre regard sur le grand âge, le sort qu'on lui réserve, ont-ils tant changé ? Maintes analyses du livre où s'exercent pénétration, sagacité, échappent au temps et au lieu.
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Je lis. Ou plutôt j'écoute une brillante conférencière de grande culture traiter son sujet en ethnologue, sociologue, philosophe, militante, historienne, humaniste, clinicienne, sexologue. De quoi tenir l'esprit en cette disposition que lui donne un propos intelligent auquel il peut souscrire. « Je "comprends" ce qui m'est dit. Je le fais mien dans une adhésion continue. J'aurais donc pu le formuler ! Quelle aise me vient à m'éprouver pleinement "roseau pensant" ! Quelle sécurité d'esprit je ressens à m'aventurer en une contrée mal connue de moi avec une guide qui en a exploré tous les recoins ! Que de faits, d'anecdotes, j'ignorais, dont elle émaille avec pertinence ses remarques ! Qui, pourvu d'altruisme, ne saluerait la péroraison finale aux accents de réquisitoire : "La vieillesse dénonce l'échec de toute notre civilisation." ? Qui ne partagerait le vœu – pour utopique qu'il fût –, par lequel s'achève l'ouvrage : "C'est tout le système qui est en jeu et la revendication ne peut être que radicale : changer la vie."»
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De ce livre salubre, nécessaire, on sort informé. Comme nous le sommes par un quotidien, une revue, même si la plume du journaliste, du chroniqueur, n'a pas l'autorité de celle de Simone de Beauvoir. L'auteur, au seuil de la vieillesse ne pouvait nous donner « la création extraordinaire » dont rêvait Malraux. L'eût-elle voulu (ce n'était pas son projet), qu'elle ne nous aurait pas plus touché, modifié, qu'en ces 900 pages qui semblent épuiser le sujet. Et c'est ici que paraissent les limites d'une écriture qui ne nous dit jamais plus que ce qu'elle exprime. L'écriture du strict constat, de la simple relation : « Je vous rapporte uniment ce que j'ai lu, constaté ; ce que nous enseignent témoignages et statistiques – et qui m'a indignée… »
La voix est entraînante, assurée. Catégorique. Sans un flottement, on dépeint, analyse, explicite. La langue ? Celle, sans fioritures, du commerce entre esprits rationnels, de bonne compagnie. Nous ne pourrons plus nous dire ignorants du « naufrage » de la vieillesse, du sort que la société lui réserve.
*
Le dernier mot formulé nous rend au décor de notre vie, à nos soucis, nos projets ; à notre perpétuelle distraction, celle qui nous permet de ne pas envisager notre propre déclin. L'immédiat, au reste, nous requiert. Aussi l'ouvrage rejoindra-t-il, en notre mémoire, les traités, enquêtes, reportages que doit connaître l'honnête homme.
C'est l'auteur même qui nous dit en passant : « Savoir n'est pas éprouver ». Ce qu'illustrent cent citations de grands écrivains ayant gémi sur leur vieillesse. Et, chaque fois, celui qui écoutait de confiance se dévider un exposé clair et nourri, sent une voix singulière, étrangement captivante, pénétrer en lui bien plus avant que celle de la pédagogue. On lui parlait dans la langue commune, qui suffit aux échanges. Mais cette voix qui s'élève, – à la lettre inouïe et néanmoins d'emblée intelligible, au point de lui paraître relever de sa langue natale, oubliée, tant sa nouveauté lui est sensible –, cette voix s'imprime en lui avec une instance qui l'étonne.
Il croyait écouter ; il ne faisait qu'entendre, et suivre à mesure le mouvement d'une pensée de bon aloi. Il entendait couler sans heurt, sûr de sa pente, un menu flot, égal et clair. Lequel se mue, à chaque citation, en une parole plus ou moins chargée d'amers, au cours inégalement embarrassé, mais d'une autre essence, ainsi de l'agate incluse en la meulière.
Cela tient parfois de l'expiration d'un être à bout de souffle ; mais que cela sait donc éveiller en nous des fibres bien enfouies ! Et nous prendre à témoin, et nous faire partager une expérience à la fois universelle et unique. En termes garants par leur choix, leur agencement, de sa véracité.
Lisant, nous vérifions qu'il est des voix à brève propagation, comme s'éteint, d'un doigt posé, le bord d'un gong qu'on a frappé, du verre de cristal qu'une chiquenaude faisait vibrer. Et d'autre voix que l'on tiendrait pour murmures, balbutiements, mais qui s'établissent en nous par leur coloration, leur timbre, leurs accentuations.
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Les Murmures de l'amour
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L'amoureuse
Tu as, en m'aimant, tiré de moi un être dont je reconnais les traits, dans la glace (ce sentiment du déjà vu…) et cependant dont l'étrangeté me fait, avec angoisse, interroger mon reflet – et moi-même : – Qui donc es-tu, au juste ?
Oui, qui est-elle, cette étrangère en moi, que tu aimes ? Et du coup se révèlent de grandes régions innomées
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L'amoureux
Il y a les moments où tu me fais face, et ceux, non moins délectables, où tu es, en marge, la figure de ma patience.
Les moments, encore, où je lis, j'écris, et où tu surgis sans crier gare et submerges les mots (la belle et douce dévastation !) avant de reprendre ta place, à gauche, un peu en retrait, là où est ma lampe.
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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.
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