* * * * * Textes divers, dont une chronique "En marge du site Mireille Sorgue".

Bienvenue...

sur le blog de François Solesmes,
écrivain de l'arbre, de l'océan, de la femme, de l'amour...,
dédicataire de L'Amant de Mireille Sorgue.


Le 1er et le 15 de chaque mois, sont mis en ligne des textes inédits de François Solesmes.

Ont parfois été intégrées (en bleu foncé), des citations méritant, selon lui, d'être proposées à ses lecteurs.


La rubrique "En marge du site Mirelle Sorgue" débute en juin 2009 , pour se terminer en juin 2010 [ en mauve]. Deux chapitres ont été ajoutés ultérieurement, dont un le 1er octobre 2012. A chercher, dans les archives du blog, en mai 2010 (1er juin 2010), à la fin de la "Chronique en marge du site de Mireille Sorgue".
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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE

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LA FEMME
Les Hanches étroites (Gallimard)
La Nonpareille (Phébus)
Fastes intimes (Phébus)
L'Inaugurale (Encre Marine)
L'Étrangère (Encre Marine)
Une fille passe ( Encre Marine)
Prisme du féminin ( Encre Marine)
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L'AMANTE
L'Amante (Albin Michel)
Eloge de la caresse (Phébus)

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L'AMOUR
Les Murmures de l'amour (Encre Marine)
L'Amour le désamour (Encre Marine)

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L'OCEAN
Ode à l'Océan (Encre Marine)
Océaniques (Encre Marine)
Marées (Encre Marine)
L'île même (Encre Marine)
"Encore! encore la mer " (Encre Marine)

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L'ARBRE
Eloge de l'arbre (Encre Marine)

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CRITIQUE
Georges de la Tour (Clairefontaine)
Sur la Sainte Victoire [Cézanne] (Centre d'Art, Rousset-sur-Arc)

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EDITION
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant, 2 volumes parus (Albin Michel)
Mireille Sorgue, L'Amant (Albin Michel) [Etablissement du texte et annotations]
François Mauriac, Mozart et autres écrits sur la musique (Encre Marine) [ Textes réunis, annotés et préfacés]
En marge de la mer [ Texte accompagné de trois eaux-fortes originales de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Galets[ Texte accompagné des trois aquatintes de Stéphane Quoniam ] Éditions "à distance".
Orages [ Texte accompagné d'aquatintes de Stéphane Quoniam] Editions "à distance".

Textes publiés dans ce blog / Table analytique


Chroniques
Mireille Sorgue
15/03/2009; 15/06/2009-1er/06/2010
L'écriture au féminin 1er/03-15/12/2012
Albertine (Proust) 15/01-15/02/2011
Les "Amies" 1er/03-1er/04/2011
Anna de Noailles 1er / 11 / 2017 - 1er / 01/2018
Arbres 1er/06-15/08/2010
L'Arbre en ses saisons 2015
L'arbre fluvial /01-1er/02/2013
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 15/10 - 15/11/2015
Mireille Balin 15/11/10-1er/01/2011
Rivages 15/02-15/04/2013
Senteurs 15/09/2011; 15/01-15/02/2012
Vagues 1er/10/2011-1er/01/2012
"Vue sur la mer" été 2013; été 2014; été 2015; été 2016
Aux mânes de Paul Valéry 11 et 12 2013
Correspondance
Comtesse de Sabran – Chevalier de Boufflers 15/01/14-15/02/14
Rendez-nous la mer 15/03 - 1/06/2014
Séraphine de Senlis 2016

Textes divers
Flore

Conifères 15/06/2014
Le champ de tournesols 15/07/2010
La figue 15/09/2010
Le Chêne de Flagey 1er/03/2014
Le chèvrefeuille 15/06/2016
Marée haute (la forêt) 1er/08/2010
Plantes des dunes 15/08/2010 et 1er/11/2010
Racines 1er/06/2016
Sur une odeur 1er/03/2009
Une rose d'automne 15/12/2015-15/01/2016
Autour de la mer
Galets 1er/07/2010
Notes sur la mer 15/05/2009
Le filet 15/08/2010
Sirènes 15/09/2018
Autour de la littérature
Sur une biographie (Malraux-Todd) 1er/05/2009
En marge de L'Inaugurale 1er/01/2009
Sur L'Étrangère 15/06/2010
De l'élégance en édition 15/06/2009
En écoutant André Breton 15/01/2009
Lettre à un amuseur public 1er/02/2009
Comment souhaiteriez-vous être lu? 1er/06/2009
Lettre ouverte à une journaliste 1er/09/2011
Maigre immortalité 10 et 11 / 2014
Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 2015
La Femme selon Jules Michelet 2016
La Mer selon Jules Michelet 2016
Gratitude à Paul Eluard 1/05/2016

Autres textes
L'ambre gris 15/10/2010
Ce qui ne se dit pas 15/06/2010
La blessure 1er/12/2015
La lapidation 1er/09/2010
Où voudriez-vous vivre? 1er/04/2009
Pour un éloge du silence 1er/10/2010
Sur le chocolat 15/04/2009
Annonces matrimoniales 15/04/2011
Tempête 15/02/2009
Le rossignol 1er et 15/05/2011
Nouveaux Murmures mai et juin 2013
Variations sur Maillol 15/01/15
Sexes et Genre 02/15 et 01/03/15
Correspondances


OEUVRES INEDITES
Corps féminin qui tant est tendre 1er janvier - 1er septembre 2018
Provence profonde 15/10/2016 - 15/10/2017
Sirènes (pièce en 5 actes) 1er octobre - 1er décembre 2018


lundi

1er Août


MARÉE HAUTE



Que de fois me serai-je exalté au spectacle de la marée montante, de l'étale de flot ! Écrasé par la puissance mise en œuvre, j'admirais que lune et soleil pussent arracher des masses prodigieuses à l'inertie, les déplacer comme nappes de charriage pour les jeter, à grand fracas, sur un rebord de continent. Et je conviens que l'exploit mérite les exclamations qui montent des plages, l'exubérance qu'il y suscite, par mimétisme : voici, indéfiniment prodiguées à l'homme, la vigueur et la nouveauté, la patience et l'invention, la permanence et la métamorphose.


Je mis longtemps à m'aviser d'une autre marée qui, elle, ne dure pas six heures mais six mois ou davantage ; dont l'amplitude extrême n'est pas de quinze mètres mais peut dépasser la centaine ; qui peut se contempler en maints lieux, où pousse l'arbre, et qui mérite non moins l'enthousiasme.


L'une nous arrive de l'autre côté de la terre. Massive, impérieuse, et tonitruante, elle est l'Ailleurs des marins au long cours, dont les horizons, à bout de course, viendraient se dépenailler sous nos yeux. – « Courir grand largue et repousser tout rivage ! » dit le flux.


– « Demeurer où je suis et m'y fixer avec opiniâtreté, dit l'arbre. Ce n'est que dans Macbeth, que les forêts se mettent en marche ! » Et toutes les forces conjuguées de la terre et du ciel ne le convaincraient de faire un seul pas. – « Se déployer, donner l'assaut, reconquérir ! » clament les eaux turbulentes. – « Se satisfaire d'un horizon, mais s'étoffer, mais s'ériger pour le distendre, murmure l'arbre. Et s'il se peut, culminer, car j'ai affaire avec les airs. »


L'étendue marine pullule de cimes d'un instant ; le faîte d'un arbre a vocation d'étoile fixe – à la clarté de nacre. Aussi, me tenant dans une futaie de trois siècles (c'était bien là marée de syzygie !), et concevant qu'on pût se mettre en route vers une étoile apparue dans le ciel, ne me lassais-je d'interroger chaque feuille ultime. Et d'admirer la toute-puissance du soleil.


C'était bientôt l'été. Nul ne se souvenait de la dernière averse. Qui eût creusé une tranchée profonde en la clairière, n'aurait vu suinter la roche. Mais l'on eût dit que, par le truchement du végétal, l'aspiration de l'astre suscitait l'eau sous nos pieds, ses molécules s'assemblant comme oiseaux qui se disposent à migrer, gagnant une obscure chevelure capillaire, puis les canaux de l'aubier, jusqu'à déboucher dans la verte clarté d'un limbe, ou le demi-jour d'une aiguille.


Je t'ai souvent salué, Soleil ! quand tu prêtes main-forte à la Lune pour brasser un océan ainsi que la ménagère, sa couette, mais tu ne me parais jamais plus puissant qu'à super (tels ceux qui boivent avec une paille), une eau improbable jusqu'à ce qu'elle se sublime au plus haut et, avec elle, fibres, liège, et parenchyme, et les ténèbres minérales et la nuit végétale.


Les eaux libres ne vous savent gré des marées latérales où vous les engagez. Vous les rendez hargneuses, vous les poussez à bout au point qu'elles s'entremordent ; vous les harassez tant, qu'elles s'essoufflent en quelques heures alors qu'elles peuvent, des jours, suivre leur cours. Mais l'eau rare que Tu hisses, Soleil, Tu la vois étager vers Toi, larges ou menues mais innombrables, des paumes reconnaissantes.


Pour moi, un arbre feuillu est tel ces vagues rejaillissantes, pleines d'ajours, qui naissent du heurt des eaux et de la roche, sauf que lui ne s'effondre, ne se résout pas en écume, mais qu'il accueille l'oiseau en sa masse spongieuse comme le massif corallien fait du poisson.


Serais-je las des tribulations d'eaux irrésolues, divagantes, jouets du décor terrestre et des humeurs du ciel ? Je me dirige vers la forêt comme vers une marée haute non plus latérale, transverse – erratique, mais verticale et figée, où la divagation est inconnue.


J'y pénètre avec le sentiment d'être admis dans un temple à multiples colonnades, à pavage ocellé, où l'office est commencé (on en est à l'élévation !) ; sauf que ce n'est pas là un édifice mais une puissante assise d'eau qui, sous l'impulsion du soleil, se serait muée en troncs, branchages et feuilles – et l'ombre même y est une eau impalpable, astringente, qui évase vos narines, quand la véritable les colmate et occulte votre vie.


M'aurait-on trop longtemps assourdi à grands fracas de galets rabroués ? de masses de graviers qu'on hale par accès au long des grèves ? ou du grésillement d'un sable sec aux prises avec les mailles de l'écume ? Il faut ici la brise pour qu'on entende la sève se hisser – par quels interstices ? – ou redescendre, nourricière, par les tubes criblés du liber, dirait le botaniste. J'ai longtemps aimé la fougue tumultueuse des eaux atlantiques jetant leur gourme, et leurs voltes de cavales sauvages toutes encolure et crinière. J'aspire à une rumeur qui soit chuintement de bourre, de pongé, de tussor, de chantoung … Et que vienne ici le vent, après la brise : quand il trame les fibres de chaîne d'un bois, dirait-on pas le ronflement des antiques métiers à tisser, en quelque vallée ?



Je n'attends pas d'une forêt, une sérénité dont elle est dépourvue : on s'y dispute la lumière, on y atrophie, on y étouffe à distance tout rival ; et l'ombre même y est venin. Une vague marine abat, emporte l'obstacle ; l'eau qu'une poigne a étreint, au long d'un tronc, manifeste sa puissance explosive dans la ramure et le feuillage ; sa consistance jusqu'à faire, de l'arbre, une roche verdie, taraudée par les pholades.


Je demande à l'arbre, à toute frondaison, des effets d'un autre ordre, et d'abord des plus communs. J'ai bien pu parler de l'ombre de la mer : je me tenais sur un rivage qu'elle avait plus déboisé que dans une coupe à blanc de forestier. Quand la touffeur estompe nos contours, empoisse nos paumes, emperle le front, j'invoque, ainsi que chacun, un sous-bois de feuillus dont l'ombre me ferait une peau dense et ajustée, une démarche allègre tentée par la danse.


Mais j'ai d'autres motifs, plus singuliers, de hanter les marées hautes végétales. Là-bas, chaque vague s'abattant dispersait mes pensées comme, à frapper dans ses mains, on fait voler en éclats une assemblée d'oiseaux ; là-bas, les pages « tout éblouies » s'envolaient – en feuilles mortes. J'apprends ici la contention jusque dans l'exubérance, et la sagacité à la vue d'un hallier. Ici où prévaut l'unanime, on ne met pas ma pensée en pièces, mais on m'ordonne et m'édifie – pour « une conquête méthodique ». Ici, j'entends ce que je dis !


Là-bas, lune et soleil jettent les flots de part et d'autre ; ils les mêlent, les malaxent et les barattent, en font des forcenés ; mais l'eau demeure l'eau. Tandis que se tenir en un bois de châtaigniers, sous le tilleul de la cour, c'est voir ce qu'un soleil à la minutie de ciseleur, à la patience de brodeuse, peut faire d'un peu d'eau, de sels minéraux et de temps. Sans omettre l'odeur, et ni l'abeille qui la rend sonore.


Encore n'ai-je tout dit. Trop de vent du large, trop de fracas littoral, rendent stériles les frondaisons marines. C'est d'un verger enclos de murs soutachés de lichen, que devrait s'écrire un éloge du soleil qui lui rende pleine justice. Car si c'est une prouesse que de hisser un linéament d'eau, d'une longue aspiration, jusqu'au point où cille et cligne le vertige, c'est prodige de changer l'eau en sève et celle-ci en suc irradiant une pulpe de sa saveur.


Aussi, ne quitterai-je le couvert que pour le lieu où Soleil, Suc et Saveur arborent le mieux leur commune initiale.


– Celle aussi du Serpent ! me glisse une voix insidieuse.


Raison de plus !


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Murmures


L'amoureuse

Dans cette promenade qui devait me mener à ma perte, ce fut moins le désir qui me défit, que le dais d'un ciel tendu de rumeur marine, l'odeur de la résine, la cendre du sable sous nos pas, entre les touffes de bruyère, et ma main devisant avec la tienne : tu sais choisir tes complices, tes entremetteurs !


* L'amoureux

Il est bon que l'océan soit tout proche de notre logis pour nous parler de bouleversements, déracinements, embrassements, saccages… Et bon qu'il y ait une forêt littorale – tiède fourrure lustrée de vent de mer – où entendre se magnifier notre ferveur à maints jointes.


*François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine.



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jeudi

15 juillet




LE CHAMP DE TOURNESOLS

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Suivant, à soleil levant, une route qui longe un champ de tournesols, je m'étonne d'être l'objet d'une attention soutenue, et unanime. Argus avait cent yeux. Ce sont mille et mille qui me dévisagent fixement, à vous en faire perdre contenance. Me serais-je accoutré, à mon insu ? N'ont-ils jamais vu d'homme ? Une foule – ébahie ? ou bien hilare ? – tourne vers moi, écarquillés, d'énormes yeux d'insecte ciliés de jaune. On se hausse, ici et là – sur la pointe du pied ? – pour mieux me voir, ainsi que, dans l'étendue marine, surgissent des vagues, le temps bref de jeter un coup d'œil circulaire.

C'est moins une foule qu'un bataillon à qui on eût fait faire volte-face et qui se tiendrait immobile, raidi dans l'expectative de ce qui peut survenir en un point désigné de l'horizon - moi, en la circonstance.

(Mais, qu'on le sache, je ne me laisserai pas intimider, et rendrai regard pour regard.)

Au long d'une forte tige ligneuse, droite comme un mât de Cocagne, s'étagent, espacées, des feuilles alternes, cordiformes, dentelées, dirait le botaniste, aussi rêches au toucher que leur long pétiole. Et il faut bien la rigidité d'une tige stabilisée par des ailettes pour ériger une manière d'astre végétal auquel ne manquent pas même les protubérances solaires ; il est vrai, aussi sagement disposées en couronne, que les flammes bleues lancéolées du réchaud à gaz.

Chaque « fleur » (en capitule) brille comme une pièce de dinanderie suspendue dans une cuisine ancienne. Foin de la discrétion des pâquerettes, du nostalgique myosotis ; foin de la corolle tourmentée, dilacérée, de l'iris, invaginée de l'aloès ; et foin du débraillé des inflorescences de glycine : nous avons de la tenue, éclat et dignité confondus. Pourquoi, au reste, n'y aurait-il pas des fleurs qui portent beau, qui se pavanent, l'air avantageux ? Celle-ci s'affiche, sans doute, mais elle semble si cordiale et débonnaire, qu'elle appelle l'enjouement, qu'elle emporte l'adhésion.

Faut-il que l'homme soit imbu de lui-même ! Je me croyais l'objet d'une curiosité proche de l'inconvenance. Mon ombre, à présent distincte, me ramène à une plus juste appréciation : c'est vers le soleil qui s'élève derrière moi, que se tournaient ces faces réjouies. De confiance, avant même qu'il parût à l'horizon. Assurées qu'il ne pouvait décevoir leur attente, fût-il empêché de briller.

Toutes les fleurs puisent en lui leur forme, leurs couleurs, leur parfum, leur postérité. La fleur de tournesol le vénère jusqu'à se faire sa plus fidèle réplique. Et l'image de l'ostensoir nous vient, évidente ; celle aussi du «règne» qu'on suspend au-dessus du maître-autel…

Mais non, cette corolle ne rayonne pas : elle s'offre en cible à la lumière – et, d'avance, s'en épanouit d'aise. Je me trompais en lui prêtant de l'arrogance : c'est tête à peine inclinée – comme on fléchirait un peu la paupière, que l'on se tourne vers le dieu, hardiesse et soumission mêlées.

Maintenant que l'astre touche de ses rayons la foule droite et digne des célébrants, j'entends monter, venue du fond des âges, l'acclamation de ceux qui tenaient pour un miracle que l'astre leur offrît un nouveau jour, que le soleil se nommât alors Horus, Ammon Râ, Osiris, Apollon, Phébus ou Hélios.

« Tu rayonnes de beauté à l'horizon du ciel,

ô vivant soleil qui vécus le premier !

Tu te lèves, oriental,

et tu remplis chaque pays de ta beauté.

Tu es beau, tu es grand,

tu étincelles et tu es au-dessus de toute contrée.

Tes rayons embrasent les terres

et tout ce que tu créas.

Tu es Râ, tu atteins leur extrémité,

Tu les enchaînes de ton amour pour ton fils.* »

La fleur du colza est modeste ; il lui faut la pullulation pour se muer en une goutte de ces nappes étales d'or fluide, flottant, instable, qui appellent les grands aplats chez le paysagiste. Le tournesol de juillet nous vaut ses strates minces sur de grêles pilotis, dont un peintre venu du Nord tenta, dans la campagne provençale, d'atteindre, au péril de sa raison, « la haute note jaune ».

Grâces soient donc rendues à ce champ-ci, tel qu'une aurore tangible et que le fabuleux Camp du Drap d'or, de nous rappeler quelle dévotion est due à la munificence d'un nouveau jour quand le soleil y brille sur les frondaisons, les vergers, les fontaines et leurs platanes, les rivages et leurs femmes.

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* Hymne d'Akhnaton (Traduction A.Erman.)

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Murmures*urmures

L'Amoureuse : Quand il y a collision de nos lèvres, je pense à ces roses d'automne « plus qu'une autre exquises » : c'est toujours une floraison inespérée que connaît mon visage, quand tu m'embrasses.

L'Amoureux : Tu prends jour par ton visage comme le tournesol par son capitule.

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*François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre marine (Suppléments)

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1er juillet

Terrestres, aériennes, l'océan a ses franges, plus ou moins longues suivant son humeur.

D'une collaboration avec le peintre Stéphane QUONIAM, naquit, il y a peu, un « petit livre d'artiste »1 où trois eaux fortes font, pour moi, office de ces trouées dans un feuillage littoral par lesquelles, tant de fois et toujours en vain, je tentai de surprendre l'Élément sans être vu.

Le texte que voici aurait pu prendre place dans l'ouvrage.

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GALETS

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Qui a longé une côte rocheuse sait que le galet est grégaire et se rencontre le plus souvent en colonies. Au pied de la falaise, au fond d'une crique, s'amoncellent des minéraux de toute grosseur aux formes ovoïdes, aux dehors bénins.

On ne se baisse pas pour ramasser une pierre, sauf pour la lancer à son chien ; un caillou, à moins qu'on ne soit géologue, n'a rien à nous dire. Mais tout galet, pour peu qu'il soit dans nos prises, suscite en notre paume une sensation de conformité, d'adhésion possible et souhaitable ; il lui donne une vocation de coupelle.

Est-ce parce que les cumulus de beau temps, les dirigeables, nous semblent par leurs ovales, s'affranchir de la pesanteur, que nous croyons le galet plus léger qu'il n'est ? Notre poignet est toujours surpris de le trouver plus pondéreux que nous l'estimions, comme si sa densité s'accroissait de sa douceur d'accueil.

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Le galet est un caillou de l'espèce des gens policés qui savent arrondir les angles jusqu'à se montrer si évasifs, qu'ils nous paraissent fuyants, insaisissables. La roche peut arborer son antiquité ; elle ne suggère pas, comme le galet, l'écoulement du temps – dont le fleuve invisible, conjugué au vent, n'en finit pas de polir ceux de la Crau.

Qu'il soit façonné par la vague ou les flots du torrent, il doit d'abord à l'onde. Seule, elle est assez souple, enveloppante, pour lui imprimer sa fugacité. Une hamada s'affûte et siffle et s'insurge à la face du ciel ; une troupe de galets accumule des quant-à-soi plus cadenassés qu'un rognon de silex.

Il doit à l'onde, mais seul un flot agile, obstiné, inlassable, peut le revêtir d'ellipses – à la fois en le roulant, en le frottant à ses pareils, et en le suçant jusqu'à lui donner des contours de dragée. Les eaux courantes creusent ou remblaient ; leurs effets s'étirent sous nos yeux en lignes plus ou moins lâches. Le galet est, de leurs fruits, celui qui, ramassé en une coque quasi infracassable, témoigne le mieux de leur résolution, de leur ténacité.

Jamais il « n'amassera mousse », à moins d'être au pied d'une falaise morte. Hormis par mer calme, quand le banc de galets s'apparente à une frayère que la semence d'écume viendrait féconder, il ne s'affirme que dans le déversement d'une benne basculant sa charge de moellons dans un fracas de ressac..

(Mais que la jonchée d'œufs ternit vite, entre deux saillies de la vague ! À l'image du galet que nous avions ramassé, luisant d'un récent ondoiement et qui, tôt, se fane à l'air. La suprême déchéance étant pour lui de reposer sur un rayonnage ou de faire office de presse-papier, son polissage à jamais suspendu.)

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De toutes les sortes de galets, ceux de silex ou d'ardoise tentent plus volontiers ma main. Ma paume fait alors, avec eux, assaut de finesse, mais doit s'avouer vaincue ainsi qu'au contact d'une joue d'enfant, d'une corolle de rose. Et le mot de nudité me vient aux lèvres. Tout se passe comme si la pierre commune se revêtait de gangue, ou de ses aspérités ; mais l'égalité, la suavité de grain propres à certains galets sont de la nudité. C'est à elle qui nous devons, avec la sensation de l'immédiat, celle d'un galbe dont le toucher nous serait onction en ce qu'il s'épandrait, s'abolirait en nous à demi d'aise, à témoigner de l'infime et de l'infini confondus. Au point que l'étreinte n'est pas, n'est plus nôtre mais celle de ce que nous pensons tenir.

À cela près que, si toute roche consistante peut devenir galet, tout galet ne comble pas le toucher. Ainsi de celui de basalte que je viens de saisir. Ses dehors poreux criblent ma peau de minuscules alvéoles ; ils n'épousent pas assez étroitement l'épiderme. Parce que l'unanimité de mes papilles tactiles ne s'accomplit pas, la sensation du rêche prévaut. Tempérée mais patente, l'hostilité de la pierre est en vue.

Alors qu'à reprendre un galet de silice, le toucher rencontre une manière de convenance dans l'adhésion, de mutuelle reconnaissance, qui lui valent plénitude. Où je vois que le minéral peut éduquer une peau de vivant et lui enseigner qu'une caresse lente, voire statique, peut gagner des régions reculées, parfois inattendues, pour peu que le discernement l'anime. De là qu'un amant avisé tire grand profit du galet satiné qu'il vient de ramasser et qu'il laisse tiédir en sa main.

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Faut-il, pour autant, se fier à la mansuétude du galet ? Les armes contondantes peuvent causer de graves désordres, et il n'est de pierre qui, mieux que lui, s'ajuste à un poing, affermit d'un dur noyau une boule de neige.

Simplement, le temps l'achemine-t-il vers des formes de plus en plus bénignes jusqu'à n'être plus que gravier dont chaque vague de jet tire le grouillement d'une multitude dérangée ; que sable qui grésille avec des finales d'assouvissement ; que limon avide de nos chevilles, et que telle une assomption du minéral, grain infinitésimal d'une rumeur mi-errante par l'étendue marine.

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1. François Solesmes, Stéphane Quoniam, En marge de la mer, Saint-Rémy, « à distance », 2010.

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Murmures

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L'amoureuse:

Je ne te recèle jamais plus complètement que dans la solitude. (Non, non, ce n'est pas une couventine parlant à son dieu!) Ton pouvoir sur moi n'est jamais plus grand que dans l'absence: c'est alors que je te préfère, te choisis dix fois par jour et pour autant de raisons différentes.

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L'amoureux:

Quand tu parais? Une vague a, du plus loin, mis le cap sur moi; et d'avance, je vacille sous le heurt, chevilles et poignets friables. Avec, au coeur, (pourquoi? pourquoi?) un chagrin d'enfant pauvre.

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François Solesmes, Les Murmures de l'amour, Encre Marine.

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